Coup sur coup, nous venons de voir deux non-événements être répercuté médiatiquement. Ces deux événements dénotent d’une évolution croissante où la presse n’est plus dupe ou victime, elle est tout simplement complice. Le modèle de la presse en ligne n’est plus un modèle qui vend de l’information, c’est un modèle qui vend du contenu.
I. L’historique
Aujourd’hui, le Gorafi vient d’annoncer sa fin. Comme cela, un lundi de rentrée, on annonce sa fermeture. Aucun frétillement, aucun signe annonciateur, rien. Aucun employé qui pleure, aucune annonce de bilan, mais toute la presse, particulièrement la Belge, embraie.
Et cela fonctionne :
Pourtant, on sait déjà que c’est un fake puisque c’est une simple redirection 302 :
https://twitter.com/Xefir_Destiny/status/638258800118657024
Ce week-end, mon téléphone sonne avant d’entrer en studio radio. Au bout du fil, une journaliste de BFM TV qui a vu une publicité faire le buzz. Cette publicité est celle de Vita Liberté :
En 10 minutes à peine, on déconstruit la ficelle et je pense que cela ne fera qu’un simple article qui n’aura pas plus d’écho. Après tout, on venait de déconstruire le truc et de prouver que cette publicité cherchait à obtenir de l’écho médiatique. L’article est d’ailleurs posté très tard le soir.
Le lendemain, un défilé de médias va relayer l’information en reprenant toutes les citations obtenues par la journaliste, mais en occultant TOTALEMENT toute l’analyse d’après qui montre que c’est voulu. Les médias ne sont donc pas piégés, ils sont complices.
Scène surréaliste, la page Facebook va se mettre à troller tous les médias en les postant sur leur mur dans un mur des cons improvisés :
Dans le premier cas, une simple vérification peut tuer l’histoire. Dans l’autre, on occulte carrément ce qui démontre la supercherie. Et pour cause, Le mécanisme du faux bad buzz est identifié depuis 3 ans, est toujours le même et se détecte de façon flagrante.
II. Le faux bad buzz
1.Définitions
Un faux bad buzz est une technique d’artefact de communication qui est de plus en plus utilisée par les organisations. L’artefact de communication peut être défini comme un « prétexte matériel ou immatériel qui sert d’appât pour la presse dans un but de visibilité ». Ce prétexte peut être une fausse étude, une fausse actualité ou tout dispositif suscitant la surprise aux récepteurs de celui-ci.
2. Quel mécanisme ?
Pour activer un faux bad buzz, l’organisation crée un artefact qui va susciter des réactions. Pour ce faire, celle-ci peut soit jouer sur les valeurs identifiées comme étant particulièrement porteuses de réactions comme le féminisme ou la nostalgie soit jouer sur des événements passés qui ont déjà montré un potentiel de viralité. Une fois le public appâté, l’organisation va délivrer un message juste avant que la courbe de viralité ne redescende. Ce message peut être :
- Un rappel de valeur de marque (l’humour pour Carambar, ici on a la fausse blague de Gorafi qui est son fonds de commerce)
- L’annonce d’un nouveau produit (Monopoly et son abandon de la case prison ; Nana et son Shredpad, nouveauté de Gorafi ? )
- Un simple message (Ryanair et ses sorties médiatiques pour faire passer le message qu’ils sont les moins chers)
Un autre mécanisme qui peut être utilisé est le paradoxe réactionnel que l’on peut définir comme « le fait de réagir négativement à un message qui ne plaît pas, et ce alors que cette réaction entraîne une visibilité à celui-ci. » Ainsi, il arrive très souvent que des organisations produisent un artefact destiné à un public qui ne correspond pas à leur cible dans le but que celui-ci réagisse, et ce pour obtenir de la visibilité auprès de la véritable cible de l’organisation.
Par exemple, Aoste a réussi à avoir un « bad buzz » auprès de la communauté végétarienne alors que ceux-ci sont loin d’être un stakeholder intéressant pour eux. Rue du Commerce a « trollé » les féministes, car ceux-ci sont des créateurs de bad buzz habituels. Cette technique est d’ailleurs également utilisée par les djihadistes pour leurs exécutions.
3. Indicateur de succès :
Les indicateurs de succès sont :
- Une amorce qui suscite l’engagement.
- Pas de discrimination envers une communauté quelle qu’elle soit.
- Communiquer au moment où le pic va redescendre.
- Avoir un vrai message (valeurs) à proposer, car une valeur ne nécessite pas de montrer le produit ou susciter un questionnement parmi le public sur la logique mercantile de la chose.
4. Comment les reconnaître ?
Comme la situation est souvent loufoque, il faut tenter de rendre l’annonce la plus crédible possible. Pour ce faire, le faux bad buzz sera généralement accompagné de nombreuses vidéos et/ou d’études qui apporteront un cachet. Dans le cas du Gorafi, on cherche à supprimer les pages pour faire “plus vrai”. Or, il s’agit d’une simple redirection. La communication opérée par la marque visera à faire monter les réactions. On verra donc de nombreuses réactions de l’organisation sensées raviver les messages de mécontentement. Souvent, l’agence de communication derrière l’opération veut également profiter de la visibilité et enverra les communiqués de presse aux médias spécialisés. Enfin, l’artefact de communication étant un moyen de sortir du lot, on aura très souvent une actualité phare dans un futur très proche. Par exemple, le 1 er avril pour Carambar, la journée de la femme pour Nana et son Shredpad, la coupe du monde pour Paddy Power, etc. Dans le cas du Gorafi, nous sommes comme par hasard le lundi de rentrée.
III. Conclusion
Le fait est que les fausses informations ou les bad buzz intentionnels sont des contenus et que le modèle de la presse en ligne vend du contenu et non plus de l’information. Même si la presse est au courant et n’est pas dupe, elle passe à l’état de complice parce qu’elle trouve quelque chose à y gagner. Tant que la presse sera gagnante comme le producteur de duperies (qu’importe qu’on dise qu’on y croit ou pas puisque l’attention sera porté sur eux/leur prochaine annonce), on observera ce schéma se reproduire encore et encore.
Edit:
Seulement à jouer à ce petit jeu, la presse est en train de préparer le cercueil dans laquelle elle reposera. Parce que la presse est le seul commerce du Web ou presque à ne pas faire la promotion de son business offline, elle s’entête à surfer sur le buzz, ce qui détériore son image et la coupe de futurs jeunes clients. Cette génération qui ne connaît que l’information en ligne n’aura aucune envie de payer pour ce que la version Web d’une gazette lui offre comme vitrine. Elle va donc se contenter de consommer son information sur Facebook ou Twitter.
Dans un business où le contenu est pauvre (un simple copié-collé), n’importe qui peut entrer et faire la même chose. Les putes à clics seront alors les premiers à pleurer de l’érosion de la presse et justifieront leur débauche par le fait qu’il ne reste plus que cela à faire : glaner des clics. Le schéma se reproduira donc encore et encore.
On a donc affaire à un véritable système qui perdurera tant que les médias se considéreront comme des vendeurs de contenus et non pas des vendeurs d’informations.