Hier, nous sommes passés tout près d’un véritable carnage dans un Thalys. Cette situation de crise est pour moi intéressante par de multiples aspects (crise, communication, terrorisme, médias, France et Belgique). Il n’en fallait donc pas plus pour que j’en fasse une analyse via Visibrain Focus TM.
I. Le récit
Aussi incroyable que cela puisse paraître, le premier tweet de l’attentat du Thalys provient d’un utilisateur qui se plaignait “d’être à l’arrêt” et du service fourni par Thalys.
J’ai gommé son username car la personne souhaite manifestement garder son anonymat.
Le deuxième tweet nous vient d’Allemagne de la part de quelqu’un qui est alerté par un de ses amis au téléphone :
Il nous fournit également les premières photos qui circuleront parmi toutes les rédactions :
En réalité, de lui proviendront toutes les informations qui circuleront dans la presse par la suite. (Peut-être même sans savoir qu’elles surviennent de Twitter)
Pendant ce temps-là, des gens à bord continuent de ne rien savoir :
https://twitter.com/GregHubertParis/status/634762734106767360
Le plus intéressant, c’est qu’il n’est pas un utilisateur compulsif de Twitter, tout le contraire même. (2 tweets sans réponses qui proviennent d’un like YouTube) On voit qu’il se connecte pour avoir des informations. À 18 h 33, Thalys publie une réponse à un tweet :
Les premiers témoins externes surgissent sur Twitter :
https://twitter.com/vAzaxx/status/634768472065617921
Le premier journaliste, appartenant à la Voix du Nord, qui reporte l’affaire fera le tour des rédactions :
Il y a donc 50 minutes entre l’apparition de tous les éléments et la prise en charge d’un journaliste donnant des informations. Bien entendu, dans l’absence d’information, certains twittos ne rechignent pas à faire valoir leur jugement plein de sens :
https://twitter.com/vAzaxx/status/634769345860751361
18 h 54, La Voix du Nord sort l’information :
Pendant ce temps, des voyageurs ne comprennent pas ce qu’ils se passent à part les perturbations sur le trafic :
Gilles Klein est le premier qui mentionne les tweets ci-dessus :
Les images extérieures commencent à surgir :
France TV info commence son live :
https://twitter.com/francetvinfo/status/634772456729874432
Cependant, c’est La Voix du Nord qui reste le plus tweeté avec une mauvaise information : il est dit qu’il y a deux blessés par balles ce qui s’avéra faux.
Le mot attentat est lancé pour la première fois, mais pas par un journaliste :
Les commentaires continuent :
Alors que le porte-parole de la SNCF donne déjà un “statement” :
https://twitter.com/francetvinfo/status/634774643287695361
Des utilisateurs indiquent les bonnes sources, ce qui est une situation typique durant une crise :
Morandini et d’autres médias sortent alors du champ :
Hubert Ferret est alors le premier à donner l’information sur Anglade :
Ce qui est très rapidement répercuté par d’autres journalistes :
https://twitter.com/DenisMasliah/status/634775863813402624
https://twitter.com/jul_mm/status/634778797909372928
Même le premier politique à tweeter fait mention à Anglade :
https://twitter.com/ajpourmerlimont/status/634776785301934080
Les journalistes vont alors se lâcher sur tous les témoins possibles et imaginables.
https://twitter.com/melaninunes/status/634780238459858944
Tous les médias et le ministre de l’Intérieur sont maintenant sur le pont. Twitter ne fait plus que suivre le mouvement au lieu de le dicter.
En tout cas jusqu’à 4 h du matin où Ahmed Meguini fera parvenir une vidéo qui fera le tour du monde, mais dont il refuse de mentionner l’origine car il désire respecter l’anonymat des personnes qui lui ont transmis :
https://twitter.com/Meguini/status/634918684251848704
II. Analyse
a) Analyse des tweets
1. La ligne du temps
La première analyse est celle de la ligne du temps des tweets :
Plus de 160 000 tweets ont ainsi été échangés. Les multiples informations par les acteurs expliquent un ratio très élevé de tweets. (3 tweets pour 1 personne) Cela peut aussi expliquer si à l’intérieur des tweetos, il y a des gens qui vont ne faire que parler de cette thématique pour faire “monter la propagande”. C’est pourquoi je vais reprendre le moment où l’affaire sort via mes techniques de Social Network Analysis. Si tout d’abord, l’histoire que je vous racontais ci-dessus est filmée comme ceci :
La suite, une fois que les médias ont sorti l’histoire est moins drôle. Le graphique à partir de maintenant ne montre que les personnes de plus de deux relations (donc au moins 2 mentions pour être présent dans le graphe) et ceci montre jusqu’à aujourd’hui 13 h :
À noter que François Hollande est absent de ce graphe, car il n’a pas utilisé Arras, Thalys ou les comptes Twitter de Thalys.
Une communauté parmi celles-ci attire mon regard. Celle en vert et bleu clair. En ne prenant que le début de soirée, je remarque que les principaux points de ces communautés sont déjà présents : (cela rendra le graphique plus visible)
En réalité, je retrouve des visages déjà connus qui ciblent Bernard Cazeneuve :
https://twitter.com/robertMdeLyon/status/634809919477272576
https://twitter.com/adroitetoutes01/status/634809234815905792
Ainsi je retrouve une énième fois FrDeSouche :
https://twitter.com/FrDesouche/status/635037640191033344
https://twitter.com/FrDesouche/status/634825480894590976
On voit Pont d’Arcole :
https://twitter.com/PtdArcole/status/634779795168043008
J’ai pu trouver des nouveaux :
Nicolas Bay:
Et bien entendu Phillippot :
On remarque aussi que la communauté rouge est celle qui parle néerlandais. Eloigné de celle-ci, on retrouve Geert Wilders va récupérer l’affaire somptueusement puisqu’il va retweeter tous les messages où l’on voit ostensiblement qu’il s’agit d’un marocain :
Une grande part des tweets provient donc… de l’extrême droite ! Signe que le moindre événement sera toujours récupéré à son avantage par ces communautés, même s’il s’agit d’un drame évité.
2. Analyse sémantique
Les hashtags :
Thalys domine outrageusement les débats, capitalisant 57,2 % des hashtags présents. Arras suit. C’est donc une confirmation qu’il existe toujours un hashtag prenant le dessus. Suit presque toujours le lieu où se passe l’incident. On remarque qu’Anglade a été utilisé par la presse ce qui a fait une belle couverture. Le hashtag en arabe n’est présent que parce qu’il était en trending topic monde :
Les expressions:
Les militaires américains prennent largement le dessus sur le reste. (Tout comme héros américains) Cela montre un phénomène typique de Twitter : toujours se focaliser sur le positif. Par contre, on voit monter l’expression “personnels du thalys” après l’article qui interview Anglade.
Le Top tweet :
Les tweets les plus retweetés sont :
https://twitter.com/ArtBen/status/635060569415004160
https://twitter.com/EGuedel/status/634956334727864320
https://twitter.com/Cabinet_Noir/status/634830860915765249
https://twitter.com/jeremstar/status/635048096276180993
Les messages oscillent donc comme d’habitude entre message fédérateur et humour.
b) Comparaison entre Belgique et France
1. SNCF vs SNCB
L’organisation de Thalys est intéressante, car la filiale est détenue à 60 % par la SNCF et 40 % par la SNCB. Il s’agit plus d’une marque commerciale que d’une entreprise. Dès lors, il n’y pas à proprement parler de département de communication de crise, à l’inverse de la SNCF. C’est la raison pour laquelle la SNCF a pris la main sur la communication. Malgré une autre crise en cours suite à l’incendie d’un TGV près de Lyon, ils ont réussi à être partout où l’information est sortie en premier par l’entremise du porte-parole Christophe Piednoël. L’intervention diffusée sur les chaînes d’information continue respire l’expérience : rappel précis des faits, engagements de la SNCF et finition par des clarifications. Les informations sont tellement rapides et claires qu’il n’y a même pas besoin de tweeter via le compte de Thalys ou de la SNCF. De quoi laisser les autorités prendre la communication en main et d’utiliser Twitter pour tout ce qui est en rapport avec son service :
Ceci fait, on peut rendre un message plus émotionnel :
Si la SNCF a pu gérer tout cela d’une main de maître, même avec une double crise en cours, c’est parce qu’ils ont une véritable équipe de crise compétente et très formée à ce type de dispositif. On ne peut pas dire de même pour la SNCB. En 2010, la compagnie ferroviaire avait subi une véritable crise avec l’accident de Buizingen, et la communication avait été balbutiante. Ainsi, la SNCB préférait faire la promotion de son innovation plutôt que de parler de l’accident de train.
Tout avait été très froid et les victimes s’étaient véritablement plaintes de ne pas être assez informées.
La cellule de communication de la SNCB avait également réussi à prendre un des noms des victimes de Buizingen pour dire “que la vie était plus simple avec la SNCB”. Du grand art. Très récemment, la SNCB, qui porte la particularité de ne jamais envoyer la même personne sur un plateau TV deux fois de suite, utilisait les mêmes phrases sur le plateau TV qu’elle avait utilisé à la Radio un jour plus tôt. Le porte-parole utilisait aussi des mots techniques et professionnels, allant même jusqu’à dire “Stakeholders”.
J’attendais donc avec impatience la communication de la SNCB et je ne fus pas déçu.
La réponse est totalement froide, et niaise en plus d’être partiellement fausse, le train n’étant pas réellement dérouté. Les pensées vont “aux victimes” alors que l’on savait déjà qu’il n’y avait que les deux militaires et qu’il n’y a pour l’heure pas de mort. Par ailleurs, la SNCB “condamne toute acte de violence” constitue une niaiserie à la limite de susciter un fou rire.
On voit donc la différence de moyen entre la France et la Belgique, la première étant parfaitement formée au contraire de la deuxième.
2. Élysée vs BeGov
Deuxième axe d’analyse, la communication de crise des deux gouvernements. En France, c’est également un exercice classique qui est très bien compris par les autorités. C’est généralement le ministère de l’Intérieur qui intervient sur ces affaires. C’est donc normal que dès 19 h 46, le porte-parole du ministre Cazeneuve annonce que celui-ci se rendra sur place. À 20 h 45, il communique également sur le pronostic d’un des deux blessés. Sur Twitter, autant celui-ci que son ministre resteront totalement muets. L’affaire étant prise en main par le ministère de l’Intérieur, François Hollande communique en premier via Twitter : (ce qui est je pense, presque une première)
On suit ensuite l’ordre de succession :
https://twitter.com/manuelvalls/status/634803687806906368
À 21 h 29, Cazeneuve arrive sur place et communique les éléments du dossier. Il fait très attention aux mots choisis et se refuse à parler de terrorisme avéré. C’est lui qui gérera les informations relatives à l’enquête alors que François Hollande communiquera via l’Élysée qui sera ensuite retweeté par les différents communicants :
Du côté de l’opposition, on parle plutôt peu de cet attentat avorté.
En Belgique, la première communication provient de la ministre… des Transports !
https://twitter.com/jgalant74/status/634795120555114497
https://twitter.com/jgalant74/status/634795173856329729
Elle dit suivre la situation de près, mais ne twittera plus du tout sur les événements. Tout porte à croire qu’on lui a subtilement dit que Charles Michel reprenait la main dont la réaction est un peu plus tardive :
Spécificité belge, il faut que Charles Michel communique également en néerlandais :
Du côté du ministre de l’intérieur belge, il ne faut manifestement rien attendre, celui-ci ne tweetant qu’en néerlandais. (Il faut souligner qu’il appartient au parti NVA, parti flamand séparatiste)
Il est à noter que du côté de Charles Michel, on ne prend pas de gant avec la notion de “terrorisme”. La Belgique est beaucoup moins tatillonne sur l’exposition des faits et n’a pas pour habitude de prendre des gants sur des considérations techniques pour la simple raison qu’une erreur de ce type n’est pas aussi critiquée par la presse ou l’opposition qu’en France. La même annonce qu’Hollande est communiquée par son directeur de la communication :
Il faut dire que l’homme de communication est presque aussi suivi par les journalistes belges que Charles Michel. Là où le Premier ministre est suivi par 235 journalistes belges, ils sont 228 à suivre Frederic Cauderlier.
Ajoutons pour être complet qu’un des membres du MR semble adepte de la théorie du complot, ce qui fait un peu tache :
Du côté de l’opposition PS et CDH (respectivement), cela ne passionne vraisemblablement pas :
En conclusion, on peut donc dire qu’il y a un sens de la hiérarchie claire et nette du côté du gouvernement français.
2. Média français vs Média belge
Si l’on observe la propagation parmi les journalistes dans les deux pays : (avec un biais qui fait que le panel français comprend également les blogueurs)
On remarque que la plupart citent des journalistes ou l’AFP. C’est eux qui avaient les informations principales. Gilles Klein a ainsi été un des premiers comme nous l’avons vu.
Du côté belge, on cite par contre les quotidiens de références avec seulement deux journalistes qui prennent des parts de voix. Si cela ne nous avance pas à grand-chose dans la comparaison, les courbes sur les pannels de journalistes sont assez intéressantes :
Panel français :
Panel belge :
Dans l’un, la courbe était montante, c’est-a-dire que les journalistes publiaient encore et encore. Dans l’autre, on a pas eu de gros effets. La situation est ainsi beaucoup moins concurrentielle entre les médias belges qu’avec les médias français où la course au scoop est intense.
III. Conclusion
Comme d’habitude !
Tous les grands classiques sont là. On a par exemple évidemment les miraculés :
https://twitter.com/RemiMathis/status/634776939761401860
On a eu les bots de propagandes qui ont fait circuler l’information :
La théorie du complot est née comme d’habitude directement après.
https://twitter.com/djamnet/status/634822426455605248
Un hashtag a comme d’habitude pris le dessus. Le deuxième est comme d’habitude le lieu où l’événement se déroule. Les messages positifs gagnent toujours lors de la propagation.
Confirmation que les milieux de l’extrême droite sont hyper connectés
Une confirmation s’il en fallait une après les événements du bikini de Reims que les milieux de l’extrême droite sont très connectés et réagissent très rapidement à tous les événements dont la récupération politique peut être effectuée.
Twitter, ce lieu commun de l’information
On pourra me dire mois après mois que Twitter ne convainc pas les investisseurs, qu’ils n’arrivent pas à monnayer leurs services, que le grand public a du mal à le rejoindre, il n’en reste pas moins que Twitter est impressionnant en tout point. Plus d’une heure avant les principaux journaux, tout était sur Twitter. Sa force est telle que l’on remarque même un passager du train s’y connecter uniquement parce qu’il sait que si l’information est quelque part, il l’aura sur Twitter. Un bon journaliste, ça sera un journaliste qui maîtrisera Twitter, ses astuces, et surtout ses dédales. Oui, Twitter est plus rapide que les médias, c’est sa principale force et son principal piège. Car n’oublions pas un point important :
https://twitter.com/lioventurini/status/635045500216037376
La vérification, ça prend du temps. Et mieux vaut vérifier deux fois qu’une. Twitter peut se permettre de se tromper, pas un média.