Les cas où les réclamations d’un client prennent de l’ampleur sur Facebook sont extrêmement rares. Pourtant, de temps en temps, ils surviennent et font parler d’eux dans la presse. La mécanique est toujours la même et je vais vous l’expliquer à travers différents cas dont celui de Zara.
I. Historique
Le premier cas date d’août 2012 où c’est la page Facebook d’Aquarelle qui va subir les foudres de fans et de non-fans pour avoir mal géré une situation de plainte d’un client. Le problème ici aura été la réaction du community manager absolument déplorable, allant jusqu’à supprimer des commentaires.
On a ensuite eu le fameux « sandwich au caca » de Monoprix :
https://www.facebook.com/Monoprix/posts/10151152609201455
Sur lequel le community manager avait su répondre de manière magistrale :

Vient enfin le cas de la FNAC où une cliente décide de se plaindre du service après-vente de la FNAC

Rapidement, le poste va atteindre des milliers et des milliers de likes. (15 000 au total)
Et forcément, cela va se régler très rapidement :

Voilà pour un rapide étalage des cas dont je me souviens.
II. Analyse du cas Zara
On en arrive maintenant au cas de Zara où une cliente poste sa mésaventure :
https://www.facebook.com/Zara/posts/10153385505190907
Le tout va monter pour atteindre 42 194 likes et deux réponses de la marque.
On remarque que la plaignante énumère tout un tas de choses pouvant porter problème chez Zara. Il est donc facile en tant que client de s’identifier à une de ces situations, apportant un grand nombre de likes. J’ai donc extrait tous les commentaires pour analyser la polémique.
Analyse sémantique

Les mots les plus utilisés, à savoir vendeur (320), client (308), Zara (189), magasin (116), vêtement (105), article (94), enseigne (89), cabine (87), travailler (70), vente (55), et service (55) montrent bien que nous sommes face des discours parlant du lieu de vente et du service (55 fois utilisés) qui y est donné. Une large partie des discours parlent d’ailleurs au passé :

Et l’utilisation des adjectifs se fait majoritairement à charge. Ainsi, l’adjectif mauvais se retrouve largement associé avec « expérience » :

Après mauvais, désagréables et aimables sont les plus utilisés. Pour le mot aimable, en réalité, c’est… pour parler de la concurrence :
Ericka Coppin
À Haussmann de vraies buses aussi ! O moins chez H & M ils sont aimables… pas la même politique
Analyses des intervenants
Il est intéressant de faire une revue de la typologie des personnes qui discutent sur ces posts et qui donnent du « volume de buzz ». J’ai réussi à identifier les types suivants :
1. Les opportunistes: ils profitent de l’écho médiatique pour faire passer leur message et leur propre souci par rapport à la marque visée.
YoZee Ok:
« Arrêtez de vous prendre pour Gucci a augmenter vos prix comme ça, vos concurrents directs c’est H & M, Pull n bear, C & A grand max »
Chris Krizbé Braz : (294 likes pour ce message)
« Oooh, les pauvres petits « chous » que sont les « vendeurs » ET les « clients », trop dure la vie, que dire de la vie de « CEUX » qui fabriquent ces vêtements, conditions de travail et salaires de misère, Pakistan, Chine ou ailleurs… »
Karine A. Loyer (110 likes pour ce message)
« Merci à un vendeur de Zara qui m’a demander d’aller remettre à sa place (étage en dessous) une paire de chaussure alors que j’avais des béquilles »
Carla Frillici (70 likes pour ce commentaire):
« Merci Zara de m’accuser de voleuse, car je porte un parapluie ou sac à main de la collection précédente !!! »
2. Les « First » : ce sont ceux qui veulent prouver qu’ils avaient tout compris bien avant et que cet acte n’a rien de nouveau. Entre critique de la marque visée et quasi-qualification de la plaignante en « pigeonne », le sous-entendu est que la véritable faute incombe plus à cette dernière dans le sens où elle n’aurait jamais du aller chez eux.
Mooney dessy:
« Moi perso, ça fait longtemps que Zara m’a perdu…. Avec un budget shopping à 100€ au Moins par semaine et hors soldes ou nouvelle co. Ou j’explose ma carte. Franchement avec le comportement des employés… Je me dirige beaucoup plus facilement vers H & M qui c’est dire bonjour, voir Primark à 2,50 le T-shirt, ils y arrivent le bonjour, merci, aurevoir c’est OK. Ou grande boutique, ou limite on s’excuse de ne pas avoir ma taille ou la coupe. »
3. Ceux qui acquiescent des deux mains : ceux-ci rejoignent le bruit et y participent, trop contents de voir que cela prend de l’amplitude.
Gladys Brvs (993 likes pour ce message)
« Enfin quelqu’un qui ose dire ce que tout le monde pensent tout bas ! »
Camille Dubois
« Voilà pourquoi je n’achète pas chez Zara, des prix trop chers par rapport à la qualité, un magasin où les vêtements sont toujours tachés, abîmés et piétinés et de plus des vendeurs mal aimables. Merci à toi d’avoir dit ce que tout le monde pense. »
4. Les vendeuses (experts du domaine) : elles/ils connaissent le domaine et viennent distribuer leur analyse de la situation.
Audrey Smith Petrot (630 likes pour ce message)
« Je travaille dans la vente, et je suis totalement d’accord avec ce qu’elle a écrit. Maintenant, dans la plupart des magasins les équipes en ont plus rien a faire des clients, mais c’est plus un problème de management que des conseillers en eux-mêmes qui ne sont certainement pas motivés par leur salaire dérisoire. Mais même si des sanctions viennent à être appliquer, le minimum dans les métiers du commerce c’est de rester courtois, poli et souriant. Le client ne doit PAS subir les problèmes internes à la société. Et refuser de reprendre un article Parce qu’il est froissé ; surtout chez Zara, c’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité quand on voit l’état de leurs fringues après quelques jours passés sur les portants… »
Faustine Bernardet (223 likes pour ce message):
« J’ai travaillé dans un des plus grand magasin de chaussures de France et je peux vous dire que la aussi les gens ne respectent ni les produits, ni les vendeurs. Tous les lundi à 7 h du matin il fallait ranger tout le magasin que les gens avaient mis en bordel le dimanche sans aucun scrupules. Et c’est encore pire quand il faut ranger la journée pendant que les gens font leur shopping sans prêter attention à ce que tu fais pour eux. Quand les clients viennent vers toi une chaussure à la main en te disant « c’est ou ça ? », « tout d’abord Bonjour ! », bah tu fais abstraction, un joli sourire (un peu faux cul certes, mais un sourire quand même) et tu fais ton boulot sans rechigner (ou alors tu critiques avec tes collÊgues dans la salle de pause à l’abri des regards indiscrets). Bref tout Ça pour dire que ce soit les vêtements, la bouffe, les chaussures ou autres, quand une personne veut acheter ton produit ou le ramêne car mécontente, un peu d amabilité ne fait pas de mal, mieux la personne sera satisfaite et rachètera qqch par la suite. Alors arrêtez de dire que c’est la faute de la direction etc Ça ne marche pas. Oui certaines consignes peuvent être abusives, mais c’est vous qui êtes censés faire passer la pilule auprès du client, donc faites le nécessaire pour le satisfaire et vous irez critiquer et crier de rage après le taf quand personne ne vous entendra. »
5. Les attaquants : ils/elles attaquent directement l’entreprises pour ses pratiques/process dans son ensemble.
Marine Humbert (393 likes pour ce message)
« Le même problème se rencontre dans tous les Zara, ce ne sont pas les employés le problème, mais la politique de l’enseigne qui se fiche de fidéliser sa clientèle »
Sabah Nour (335 likes pour ce message)
« Bon post pour revoir les critères d’embauche chez Zara. Peut être devriez vous embaucher aux compétences et non plus au physique »
6. Les trolls : le troll va amener une grille de lecture que personne n’avait pris jusqu’alors dans le seul but d’ajouter des commentaires. Ainsi, il va toujours prendre choisir le côté que personne ne prend de façon à créer une opposition.
Sarah Boddy (155 likes pour ce commentaire):
« Sympa Flore… maintenant les « conseillers » dont tu parles vont pouvoir se faire licencier pour faute grave. Le magasin qui les emploie, leur donne des consignes strictes sur les retours qui peuvent Être acceptés et est probablement à l’origine de ce climat désagréable, lui perd les 20 euros par an que tu y dépenses… Quelle justicière tu fais ! »
Manon Rolland (70 likes pour ce commentaire):
« Si vous êtes pas content(e) s aller faire vos boutiques ailleurs et point final. Vous allez pas prendre le chou a tout le monde en dégradant les vendeurs et vendeuses pour un t-shirt et un jeans ! Apprenez les bonnes manières en remettant les choses à leurs places et en respectant le travail des autres avant de critiquer. Bande d’ingrats »
7. Les défenseurs : ils prendront le parti de la marque.
Julie Grasse Pettinato Salomon (141 likes pour ce commentaire):
Putain ‘faut arrêter les conneries !!! Je suis moi-même vendeuse dans un magasin de fringues et quant tu dois te coller les clients complètement cons 9 h par jours, il y a de quoi péter un plomb ! Quand tu passes 1heures a plier des habits et qu’un client met 10 secondes a tout te mettre en boule, qu’on te demande « y’a du 38 là ? » sans un « bonjour » ni un « s’il-vous-plaÎt », que tu dois bosser au milieu de l’odeur de transpi dans les cabines, des gamins qui piaillent et des parents qui se croient tout permis… « le client est roi » ? Mon cul ! avant de critiquer les vendeurs revoyez votre éducation, et tout se passera bien.
Rémi Geslan (97 likes pour ce commentaire):
« Vous me faites bien rire !! Allez y bosser ne serait-ce qu’un mois, et nous verrons si vous avez le même discours !! Quand on ne sait pas on se tait… »
III. Conclusions
1. Pour qu’un commentaire sur Facebook prenne de l’ampleur il faut un de ses éléments :
- Un community manager mal habile (suppression de commentaire, mauvaise réponse, etc.) : voir le cas Aquarelle.
- Un storytelling appuyé : voir le cas du sandwiche au caca ou la Fnac.
- Une marque connue : 42 000 j’aimes pour une page de 22 M de personnes. Pour le cas Fnac et Monoprix, les likes représentaient 3 %. Le fait est que cela représente une tempête dans un verre d’eau, car les réseaux sociaux rendent grands ce qui est petit. Avoir 3 % de ses fans qui réagissent à un commentaire de client, cela arrive pour toutes les marques. Mais toutes les marques ne sont pas égales.
- Brasser le plus large possible : dans chaque bad buzz qui fonctionne via Facebook, ce n’est pas l’histoire du plaignant qui compte, c’est son potentiel d’auto-identification par rapport à celui-ci. Cela se prouve par l’utilisation du passé dans la plupart des commentaires. J’avais donné ici ce phénomène :

Il faut multiplier les sujets sur une même thématique de façon à ce que tout le monde puisse parler de ce qui l’intéresse. On le remarque bien avec la typologie des opportunistes, un bad buzz n’est pas en fait jamais une seule personne, mais beaucoup d’autres. À travers un cas, c’est une problématique de process de l’organisation qui est donc pointée du doigt.
2. Confirmation de la typologie des publics durant un bad buzz
Dans la majorité, cela rejoint la typologie des publics durant un bad buzz que j’avais schématisé comme ceci :

Nous avons donc observé pour ce cas très précis du « support network » :
Type de public |
Définitions |
Les supporters |
Ceux qui acquiescent des deux mains. Ceux-ci rejoignent le bruit et y participent, trop contents de voir que cela prend de l’amplitude. |
Les opportunistes: |
ils profitent de l’écho médiatique pour faire passer leur message et leur propre souci par rapport à la marque visée. |
Les « Firsts » |
Ce sont ceux qui veulent prouver qu’ils avaient tout compris bien avant et que cet acte n’a rien de nouveau. Entre critique de la marque visée et quasi-qualification de la plaignante en « pigeonne », le sous-entendu est que la véritable faute incombe plus à cette dernière dans le sens où elle n’aurait jamais du aller chez eux. |
Les experts |
Elles/ils connaissent le domaine et viennent distribuer leur analyse de la situation. |
Les offensifs |
ils/elles attaquent directement l’entreprises pour ses pratiques/process dans son ensemble. |
Les trolls |
le troll va amener une grille de lecture que personne n’avait pris jusqu’alors dans le seul but d’ajouter des commentaires. Ainsi, il va toujours prendre choisir le côté que personne ne prend de façon à créer une opposition. |
Les défenseurs |
ils prendront le parti de la marque. |
3. Le community manager
Pour le cas du community manager, on remarque clairement une évolution en 3 temps. Premièrement, le community manager répond selon les process de l’entreprise. Voyant la crise monter, il se décide à répondre à d’autres personnes et décide enfin d’en rajouter une couche sentant que la réponse processuelle doit être complétée.

Finalement, cela donne la métaphore de cette crise. Les process sont pointés du doigt par les publics, et le community manager s’est empêtré. Il se sent obligé d’ajouter une couche parce que le poste a pris de l’ampleur. Chaque organisation devrait répondre de la même façon à ses clients, que cela soit devant 40 000 personnes ou devant une. Quitte à laisser le bruit faire la seule chose qu’il sait faire : du bruit.