Le résumé
Que nous apprennent les débats sur le statut des femmes, ou encore sur les bonus en temps de crise ? À travers de tels cas de figure, cet ouvrage montre que la polémique publique tant dépréciée joue un rôle capital dans nos démocraties pluralistes. Elle n’est pas un désordre de la communication, mais une modalité argumentative. Axée sur l’opposition irréductible, la division en groupes antagonistes et le discrédit de l’autre, elle exacerbe les différends. Cependant, la gestion du conflit dans le dissensus crée du lien social et remplit d’importantes fonctions identitaires, protestataires, pragmatiques, etc. Mais surtout, la polémique qui se construit dans la circulation des discours autorise une coexistence dans le dissensus. Celle-ci est indispensable dans la démocratie pluraliste où le conflit est de règle et le triomphe de l’accord illusoire. Soutenu par des analyses concrètes et encadré par une réflexion théorique, ce livre, rédigé par l’auteur de L’argumentation dans le discours et de La présentation de soi, éclaire l’un des aspects essentiels de notre modernité.
Quelques citations intéressantes
Ruth Amossy commence son livre en introduisant la notion de dissensus et consensus. La recherche de ce dernier est omniprésente et crée un paradoxe :
La polémique remplit des fonctions sociales importantes précisément en raison de ce qui lui est généralement reproché : une gestion verbale du conflit effectuée sur le monde du dissentiment. Cette affirmation peut paraître paradoxale dans la mesure où la rhétorique s’attache à la recherche du consensus.
Or, Ruth Amossy rappelle son importance :
La discorde est fonctionnelle dans les groupes sociaux où des forces convergentes et divergentes sont toujours en interaction, créant une dynamique qui est source de vie.
Lorsque l’académique israélienne aborde la polémique, je me suis plu à retrouver certaines caractéristiques du bad buzz. Ainsi :
La polémique est éphémère et souvent aussi rapidement oubliée que prégnante au moment où elle éclate.
La polémique s’avère riche d’enseignements dans la mesure où elle en dit long sur la société et l’époque dans lesquelles le discours politique circule sur la place publique
Elle rappelle également grâce à l’exemple une photographie du drapeau français avec lequel un individu se torche l’arrière-train que la polémique
comporte des enjeux de société plus ou moins importants dans une culture donnée.
Vers la fin, elle conclut que l’étude des cas de figure montre clairement que si la polémique est profondément dialogique, elle n’en est pas pour autant dialogale. Ces deux notions sont très intéressantes dans le sens où les individus qui sont en état d’indignation ne recherchent plus forcément un dialogue et une recherche du consensus.
Enfin, j’ai particulièrement aimé cette citation qui m’a fait penser à la théorie du marqueur temporel
Chaque énoncé reprend des discours antécédents et leur répond directement ou indirectement pour mieux les disqualifier. Elle comporte en elle de multiples traces de discours rapporté pris sous ses formes les plus diverses.
Avis général
Dans l’ensemble, le livre est particulièrement intéressant d’un point de vue académique. Il ravira donc les chercheurs et apprentis chercheurs sur la notion d’indignation, de polémique et de bad buzz. Par contre, sa structure, son écriture et son large récit d’études de cas feront fuir les professionnels, d’autant que le livre ne leur fera pas connaître de nouveaux horizons.