Le résumé officiel
La crainte d’un bad buzz sur la toile n’est pas l’apanage des grands groupes. Les PME, commerçants, restaurateurs, artistes, élus, associations, ONG, agences de communication… sont tout aussi concernés. Mutisme, langue de bois, pression sur les médias, action juridique, mensonge sont autant de recettes encore trop souvent utilisées en gestion de crise traditionnelle qui ne fonctionnent plus sur la toile. Avec cet ouvrage, Marie Muzard propose de partager sa démarche méthodologique qui s’appuie sur une vingtaine d’années d’expérience de gestion de situations sensibles, « on » et « off line ». L’objectif est de circonscrire un bad buzz afin d’éviter qu’il dégénère en crise et pouvoir ainsi mieux rebondir. Elle révèle les étapes clefs de la gestion d’un bad buzz en les illustrant par de très nombreux cas d’école et met en garde contre les maladresses et les pièges les plus courants qui conduisent tout droit au « very bad buzz ».
Ma lecture
Soyons parfaitement honnêtes dès le départ, j’avais autant envie de lire ce livre qu’un chien a envie de prendre un bain. Non pas parce que le sujet est proche du mien (au contraire, même), mais parce que les différentes interviews qui ont suivi l’apparition du livre m’avaient rebutée.
Rien que le titre “Very Bad buzz” me faisait déjà sourire. Qu’est-ce qu’un “VERY” bad buzz ? Ensuite, dans la presse, j’ai pu noter le “Grand Méchant Bad Buzz” comme s’il fallait agrandir la chose. (De là à ce que l’on s’amuse à des jeux de monstres bad buzziens à l’aide de “L’abominable Bad Buzz des Internet”, “Le Petit Bad Buzz Rouge”, “Le Fantôme du Bad Buzz”, “Pierre et le bad buzz”, il n’y a qu’un pas dont j’estime qu’il ne doit pas être franchi. )
Bref, vous l’avez compris, j’étais déjà avec un a priori plus que négatif, et j’ai donc ouvert ce livre avec un sens critique plus qu’exacerbé. Pourtant, cela commençait bien, puisqu’en page 14, l’auteure stipule que “nombre d’échecs sont liés à des malentendus de départ, le premier consiste à confondre bad buzz et crise.”
Je me dis que mon Grand Mechant Bad buzz n’est peut-être qu’une posture sémantique pour faire vendre. Surtout que 7 pages plus loin, j’ai à nouveau la même idée (ce qui dénote aussi du mauvais classement argumentatif du livre, où des affirmations se retrouvent parfois à 18 endroits différents) : “dans le domaine du Web, certains ont un peu trop tendance à considérer que le moindre buzz est une crise pour/’entreprise et optent pour un traitement de choc avec les effets secondaires que cela implique, là où un remède homéopathique suffirait.”
Bref, je gagne un peu en confiance et ma lecture se fait moins crispée jusqu’à ce que : “Fruit de quinze ans d’expérience dans le domaine de la communication sensible dont plus de six ans à gérer des bad buzz sur la toile pour le compte de grands groupes“. (p.16)
Je me dis, Wow 6 ans. Pas mal. Puis, je fais un petit calcul dans ma tête. 2015-6 = 2009. Il n’y a à l’époque que 11 crises via les réseaux sociaux qui ont eu lieu à ce moment-là. Et le seul cas français n’est qu’une petite erreur sur un site Web. Donc soit mon historique est factuellement faux, soit on a une experte du sujet, qui était sur le coup “pour de grands groupes” avant même que le phénomène survienne. Stupéfiant. (Erreur N° 1)
Dès le début du livre, j’attends une définition du bad buzz qui ne viendra jamais. J’ai d’ailleurs eu un gros problème sémantique lorsque j’ai voulu m’en faire une sur base de ce qu’on en disait dans le livre, puisque les mots utilisés pour qualifier la crise ne sont jamais les mêmes.
- “Le bad buzz peut prendre source sur le Web avant d’être relayé par les médias off fine. Mais c’est loin d’être toujours le cas.” (p.21) Un bad buzz n’est donc selon l’auteure pas forcément né online. Elle considère donc également toute crise commentée sur les réseaux sociaux comme étant un “bad buzz”
- “Domino a « essuyé » un bad buzz important sur la toile puis dans les radios et télés. Son activité a commencé à être impactée, confirmant dans ce cas bien précis la pertinence de l’équation : very bad buzz = bad business . . .” (p.30) Problème, elle utilise le mot “very bad buzz” cette fois, sans en définir la différence. Est-ce qu’un bad buzz est bon pour le business au contraire d’un very bad buzz ?
- “C’est pourquoi la campagne de Guerlain « La légende de Shalimar » aurait eu une vie aussi courte au cinéma, à l’automne 2013. Il faut dire que le film publicitaire diffusé notamment dans les cinémas français a été victime d’un Web bashing*, c’est-a-dire qu’il a été sévèrement critiqué.”(p.30) Sur la même page, c’est le terme “Web bashing” qui est utilisé. Sans qu’on sache la différence. Par ailleurs, la publicité Guerlain n’a pas du tout eu une vie plus courte que prévu et a continué à être diffusée jusqu’au bout. (Erreur n° 2)
- “En 2010, BP, confronté à une crise majeure, n’a pas résisté à la tentation. Face au Web bashing*” A nouveau.
- “Quand François Hollande annonce en mai 2014 dans le Journal du Dimanche que le « retournement économique arrive », sous-entendu : la crise sera bientôt derrière nous, il suscite un bad buzz.” (p.114) La fin éclaircit un peu le concept de bad buzz puisque si ceci est un bad buzz, alors toutes les polémiques ou les commentaires de l’actualité deviennent un bad buzz. C’est donc un gros fourre-tout.
Par moment, j’ai également eu de gros soucis théorique :
- “Prendre conscience que la peur est/’émotion la plus susceptible de générer une crise.”(p.43) : je n’ai jamais eu la moindre crise sur le Web qui venait de l’émotion “peur”.
On a également tous les moments d’expertise de psychologie sociale sans aucune source ou avec des apports qui prêtent à sourire, notamment la mobilisation de l’étude des primates :
- “même si notre raison nous commande d’être vigilants à l’égard des infos sur le Web, dans les faits nous avons tendance à y croire, plus que de raison.” (p.47)
- “L’éthologie, l’étude du comportement des primates en particulier, apporte des réponses et permet de mieux appréhender le phénomène de viralité des réseaux sociaux qui est à la base du bad buzz.” (p.65)
- “On peut penser que notre propension à échanger sur la toile avec d’autres personnes plus ou moins proches trouve notamment ses fondements dans un besoin profondément primate : le grooming, une activité très répandue et appréciée chez nos cousins les singes.” (p.67)
- “Dans certaines sociétés de singes comme les bonobos, le grooming s’exerce de manière très « physique » les primates simulent une monte (ou copulation) pour exprimer leur attention à un de leur pair. Cela étant, on peut « groomer » plus ou moins bien ses pairs. Certaines caresses virtuelles permettent de renforcer plus durablement les liens. En d’autres termes, certains messages sont plus efficaces que d’autres.”
Lorsqu’enfin une citation de théorie en psychologie survient, un sourire survient à la lecture de “Cerveau & Psycho, juillet-août 2013, n° 58, p. 30. 140” qui est à la science en psychologie ce qu’est Closer à la politique.
Il y a également beaucoup de cas où le livre ne connaît clairement pas ses classiques. Ainsi, pour illustrer un cas où la remplacibilité (en gros, on réagirait positivement aux demandes si la cible des critiques peut être remplacée) ne pouvait pas être utilisée :
“En 2011, Greenpeace lance une campagne anti-Barbie. Elle reproche à Mattel, société qui fabrique la célèbre poupée, de participer à la destruction de la forêt indonésienne pour réduire ses coûts de packaging.
Si l’action de Mattel n’a pas dévissé, contrairement à celle de Nestlé qui avait elle aussi subi une attaque de l’ONG un an auparavant, c’est peut-être parce que les actionnaires savaient que la poupée Barbie – produit star de Mattel – était difficile à remplacer. Et les utilisatrices de Barbie, les fillettes de moins de dix ans, n’étaient probablement pas encore réceptives aux arguments écologiques de l’ONG . .” (p.59) Or, l’ouvrage ne place pas la grille d’analyse où il faut. En effet, l’action de Greenpeace avait seulement 784 tweets postés et 22 800 vues sur YouTube après 24 h. Les actionnaires n’ont pas tant du s’imaginer “remplacer Barbie” que dû rire devant le flop généré par l’ONG. (Erreur n° 3)
Ou encore, lorsque le livre aborde le cas de l’antennegate :
“La firme californienne n’a guère réagi sur Twitter, alors que la twittosphère* publiait de nombreux commentaires critiques. On peut se demander si elle ne considère pas ce réseau de microblogging* uniquement comme un espace de défoulement pour les internautes. À noter que l’action Apple a reculé de plus de deux points après l’annonce et que la réaction de déception des clients Apple aurait mérité d’être gérée en crise avec un traitement spécifique du bad buzz sur le Web. Cela étant Apple est connue pour son engagement faible sur les réseaux sociaux. Elle privilégie encore une communication top down, y compris dans un espace de dialogue comme Twitter.” (P.91) Or Apple, mis à part via Apple Music, n’a aucun compte Twitter. Normal donc qu’elle ne réagisse guère sur Twitter et tout le reste. (Erreur n° 4)
Ce manque de connaissance se retrouve jusque dans certains concepts qui dans le contexte sont bien utilisés, mais qui lorsqu’il en donne la définition sont totalement faux. Ainsi, pour l’auteure, l’astroturfing est “figurer dans les premiers résultats qui s’affichent sur Google quand on tape un mot-clef en rapport avec avec le site.” (p73, note de bas de page) (Erreur n° 5 )
On aura également bien ri lorsque l’auteure nous explique malgré une expérience dans des grands groupes internationaux qu’elle évalue le bruit d’un bad buzz sur base de Google et qu’elle prend la précaution “d’élargir la recherche avec google.com en cas de buzz très international”.
De même, le “baromètre du bad buzz” est pas mal dans son genre :
Le livre est aussi maître dans l’art de dire quelque chose tout en disant presque son contraire par la suite. Par exemple :
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“Même si un bad buzz n’a pas de conséquences graves pour l’entreprise, la multiplication de problèmes sur la toile crée un terrain propice aux crises” (p.54)
- “Est-ce que l’entreprise est la seule mise en cause dans cette affaire ? Si tous ses concurrents directs le sont également, la situation est non moins grave. Dans le cas d’une entente sur les prix entre concurrents, si toutes les marques ont été condamnées, pourquoi les clients changeraient de fournisseur ? Cela étant, dans ce domaine aussi, il faut rester vigilant.” (p.60)
- “L’effet mouton : Dans le buzz, on retrouve souvent un guide (blogger influent par exemple), mais aussi les autres membres de la secte (communauté d’internautes). Il suffit que certains épousent le comportement du modèle pour que les autres suivent.” (p.75), mais deux pages plus loin “un bad buzz n’est pas nécessairement lancé par un modèle, une seule personne influente ou anonyme. Il peut parfois se développer sur la base de réactions de colère spontanée “
- “Le bad buzz peut prendre source sur le Web avant d’être relayé par les médias off fine. Mais c’est loin d’être toujours le cas.” (p.21)
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“Même si les commentaires des twittos ne gênent pas vraiment la lecture de votre fil étant donné que seuls vos tweets (voire vos réponses) sont directement visibles, néanmoins ils perturbent le dialogue avec vos followers. (p.183)
Très rapidement. Des fois, le livre se pose en commentateur version magazine féminin.
- “C’est dommage que sa déclaration ait été si peu entendue, parce que la seule personne qui a réagi à ce statement était plutôt convaincue par la réponse. “(p. 184)
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Visiblement, cette fausse circulaire était déjà présente sur un site Internet depuis plusieurs mois. Dommage que le groupe ne l’ait pas identifiée, (p.235)
- “Quand elles constatent un « pic » de mentions critiques d’une marque, elles donnent l’alerte. C’est intéressant” (p.21)
Un des points positifs du livre est assurément son glossaire puisque tous les buzzwords possibles et imaginables sont présents :
- “Dans le cas où vous êtes victime de « chantutation » (ou chantage à l’e-réputation), vous n’êtes pas censé céder. La « chantutation » est une nouvelle forme de chantage qui consiste à menacer des organismes de l’intention de porter atteinte à leur image, dans l’espoir d’un gain financier. sceau de la confidentialité.”
- “Blogoler : signifie « graisser la patte » d’un blogger, par exemple en lui envoyant un cadeau en même temps que le produit qu’il doit tester.”
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Ce serait dommage pour votre « net réputation » ( On connaissait Web Réputation, E-réputation, online réputation, voici la net réputation)
Vers la fin, l’auteur semble se rappeler qu’elle écrit ce livre pour vendre ses services et nous rappelle contrairement au départ, que tout cela n’est pas érable par n’importe qui :
- “Quand un buzz est crisogène et largement relayé par la toile éditoriale (sites, blogs), quand il « pollue » vos différents espaces de dialogue sur le Web (Twitter, Facebook…) et surtout quand il dure dans le temps ou qu’il devient chronique, vous avez intérêt à choisir un traitement de choc.” (p.211)
- “Cela suppose des ressources internes significatives comme nous le verrons dans la partie consacrée à la prévention” (p 219)
Pour conclure, ponctuons le tout en disant que le livre semble avoir été écrit par une apprentie blogueuse mode et que les répétitions sont légions dans ce livre au style léger. Par exemple, la tournure “même si” est un grand classique, se retrouvant dans 65 pages avec parfois plus de 4 fois l’expression sur une page :
Et comme le livre dit tout et son contraire, le nombre de “mais” est tout simplement incroyable. Encore plus irritant quand il se trouve en début de phrase puisqu’il s’agit d’une erreur grammaticale, cependant tolérée quelques fois pour relancer le discours, mais qui alourdit largement le style.
Le livre n’échappe pas non plus aux multiples “rapidement” qui sont des erreurs de style habituelles quand on écrit sur le bad buzz (moi le premier)
Enfin, on aura également les habituels pléonasmes qui alourdissent comme :
- “C’est un raccourci un peu rapide”
- “Les messages les plus extrêmes”
- “Les journaux ont d’abord commencé”
- “Ainsi, par exemple/ “Comme par exemple”
Bref, tout cela alourdit fortement la lecture d’un livre pourtant écrit de manière légère. (Comme quoi, je suis également capable de dire tout et son contraire)
Avis général
Je pense que l’on a bien compris que cela ne sera pas mon livre de chevet. Le fait est que l’ensemble des éléments que j’avance (que j’espère avoir bien illustré pour montrer que je ne fais pas de la méchanceté gratuite) n’est qu’une critique de ce qui se retrouve dans le livre. Or, je pense que le plus triste constitue ce qui ne se trouve PAS dans le livre. Aucun recul historique, aucune définition, aucun cadre théorique, aucune mention des livres antérieurs sur le bad buzz (Boussicaud & Dupin, Babkine & Hamdi, Bloch, etc.) ou même sur la crise. (Libaert, Coombs, etc.) Tout au plus une citation de mon blog Reputatio Lab pour l’étude annuelle que je réalise. Bien gentil pour moi, mais très réducteur par rapport à tous les autres auteurs.
De plus, l’ouvrage manque cruellement de structure et de récit. Le tout est une succession d’illustrations de cas sans connaissance de ceux-ci. (Tout le monde peut faire de même en consultant le Hall Of Bad Buzz de Reputatiolab)
On se demande quand même un peu ce qu’Eyrolles, qui nous a pourtant habitué à beaucoup mieux, est allé faire là-dedans, d’autant qu’un livre sur le bad buzz bien mieux réalisé figurait déjà dans leur collection.
Si depuis l’arrivée du Web 2.0, on savait que n’importe qui pouvait publier n’importe quoi, on sait désormais qu’il en est de même pour un livre lorsqu’on dispose d’un tant soit peu de relations.
Soyons néanmoins bon joueur, si vous souhaitez commander le livre, c’est par ici