Ce 15 septembre, Samsung organisait un gigantesque événement sous le hashtag NewEdgeNight. Au programme, de nombreux peoples et influenceurs des réseaux sociaux autour de la célèbre piscine du Molitor. Tweet sponsorisés, climat consanguino-parisien, ambiance carton-pâte où l’on se sent obligé de tweeter “excellente ambiance” plutôt que de la montrer, tout y était pour montrer à quel point les marques n’ont rien compris au marketing d’influence et qu’elles pratiquent de l’éolienne marketing : produire du vent avant toute chose.
I. Le commencement
Ca y est ! C’est le grand jour. Après des semaines d’entraînement où tel un grand sportif, le Gros Klout a du soigné son e-pénis d’influence à coup d’images récupérées sur Reddit ou 4chan, c’est enfin la récompense.
Le graal est venu sous la forme d’un courrier invitant à la soirée parisienne où il faut être. The Place to Be. Être de la partie, c’est prouver au monde (délimité par le périphérique parisien) que l’on fait partie des influents. Le gros Klout n’aura peut-être pas reçu une recharge batterie iPhone par Orange et son dernier Perk, mais il sera à la soirée dont tout le monde va regarder qui est présent. Parfois, le drame s’est joué à deux Klout, autant dire que à un gif de chat près.
Mais une fois sur place, il y a plusieurs types de personnes :
- La folle furieuse/le fou furieux : Périscope, Vine, Tweets, tout doit être sorti pour que l’on montre que l’organisateur n’a pas fait un mauvais choix en nous nommant. On maximisera ainsi un maximum tous les hashtags possibles et imaginables.
- Le nouveau venu : il n’en croit tellement pas ses yeux qu’il va faire des tweets de photo partout. Une photo sur deux sera bien entendu un selfie.
- L’égo influent : il sait ou pense que sa place à ces soirées est acquise et se contente donc du strict minimum. Juste un tweet pour montrer qu’il fait bien partie des élus.
- Le gros influent : il est là, mais personne n’a besoin de le savoir puisque tout le monde le sait.
- L’absent jaloux : l’absent va opérer une véritable veille sur le hashtag, même s’il n’est pas à l’événement. Il passera sa soirée entre son navigateur Web (ouvert sur Twitter Analytics, Klout et autres pour comprendre ce qu’il a raté) et la colonne du hashtag sur Tweetdeck à favori le moindre tweet négatif sur l’événement ( mais surtout sans lâcher le moindre retweet ou tweet de peur d’être blacklisté pour le prochain événement)
Comme la plupart du temps ces tweets n’ont absolument aucun intérêt, on aura aucune mention ou retweet ce qui va conduire à un nombre de points isolés énormes, sauf s’ils daignent répondre ou retweet un autre influent. Cela donne ainsi tout un banc d’isolé dans la cartographie des tweets : (en haut à gauche)
Remarquons également au passage que les stars ont également fait un véritable flop sauf Kev Adams ou Tal. L’ensemble ne fait donc que 6000 tweets tandis que les meilleures stars n’ont pas dépassé les 4000 clics sur le streaming. Reste un dispositif de “live advertisment” sur TF1 qui a peut-être ramené beaucoup de trafics, sans oublier que les fans de The Avener ou Mika pourront accéder par la suite au concert via le site de Samsung. Toujours est-il que le prix investi doit être très conséquent.
II. Les raisons d’un fiasco
1. L’utilisation d’égérie ? Vous n’avez pas tout compris.
Au commencement, l’utilisation des égéries dans la publicité avait un but simple : gommer l’entreprise comme émettrice pour y placer une personne avec laquelle son public avait une connexion émotionnelle. C’est en réalité un contexte de mise en abîme introduit par Fresnault-Deruelle. On cherche à mettre l’ensemble du dispositif comme celui-ci :
Cacher la fonction d’émetteur dans la publicité pour proposer un émetteur auquel les gens s’identifient plus facilement. On peut également faire immerger le récepteur en l’introduisant dans le concept publicitaire. Ainsi, cette publicité est un parfait exemple :
La femme nous regarde pour nous intégrer dans la publicité et nous devons nous identifier à l’homme qui porte le produit. On a donc une parfaite mise en abîme où “les images miment la communication”.
Pour cela, il faut qu’il y ait deux processus qui fonctionnent : un processus d’identification (“la personne est comme moi”) et un processus de projection (“je suis comme la personne”). C’est le principe utilisé par la célèbre campagne “Je suis une”.
Cela explique le fait que pour qu’un leader d’opinion puisse exercer une influence, il faut qu’on soit capable de s’identifier à cette personne. Le pouvoir de référence est ainsi lié à l’autorité que peut exercer un leader d’opinion. Les marques construisent ainsi ces personnes pour qu’un plus grand nombre de personnes s’y identifie.
On peut citer Georges Clooney pour Nescafé ou David Beckham pour Vodafone.
Ceci permettrait d’augmenter l’intention d’achat (Pepsi aurait augmenté ses ventes de 8 % (Mickael Jackson en 1984)et de 2 % (Pepsi en 1997), mais à condition que les célébrités soient crédibles dans leur expertise du produit ou doivent être de confiance. ( Le coefficient d’honnêteté et de croyance perçues) Par exemple, un footballeur qui a prouvé ses connaissances footballistiques est plus apte à promouvoir Nike ou Adidas qu’un autre. Deux scientifiques ont ainsi comparé une publicité avec un acteur et un athlète et une barre énergétique et un bonbon.¹ La publicité avec l’athlète et la barre énergétique était beaucoup plus utile alors qu’il n’y avait aucune différence entre les deux pour le bonbon. L’égérie doit également être attrayante pour le groupe visé. Ainsi, si Mick Jagger est assurément une star, les One Direction auront beaucoup plus d’impact sur les adolescents.
Donc on résume :
- Il faut que l’on puisse s’identifier aux personnes
- Il faut qu’ils soient crédibles
- Il faut que l’on ait confiance en leur expertise quant au produit
a. L’identification
Il m’apparaîtrait assez cocasse dans un climat de crise que la clientèle possible de Samsung parvient à s’identifier à tout un clan VIP de Parisiens faisant la fête devant la piscine d’un palace tout en écoutant le concert privé de Mika et The Avener. Tout cela m’a l’air bien trop jetset pour le commun des mortels. Du coup, il est très compréhensible que tous ces VIPs peinent vachement malgré leurs centaines de milliers de followers à amener du trafic :
https://twitter.com/#!/gonzague/status/643897448650440704
Disons plus crument que Paulo de Lens s’en fout carrément des petites sauteries consanguino-parisiennes organisées par Samsung, et qu’entre regarder une bande de VIP s’égosiller sous un concert de musique privée, et regarder le Mentalist, le petit Paulo a vite choisi.
b. La crédibilité
La crédibilité n’est pas vraiment le fort de l’opération. Ainsi, on ne me fera pas croire qu’Audrey Lamy, en voyage à Rome, va passer sa soirée à mater un vieux streaming avec des gens qui dansent près d’une piscine dans une ambiance de mort.
Même chose pour Eric et Ramzy qui du fond du Canada n’ont rien d’autre à faire de leur journée (vu le décalage horaire) que de rester dans leur chambre d’hôtel à regarder comme deux idiots des gens danser :
On y croit ! Autre moment magnifique, celui où Tony Parker qui rentre de son match nous annonce qu’il va assister au concert en live :
https://twitter.com/#!/santeixarmand/status/643892033757777920
On y croit ! Trop frais.
c. L’expertise quant au produit
Le meilleur point. Là où un mannequin peut nous vendre un paquet de shampoing sans trop de souci, le fait est que dans la considération de l’achat d’un futur smartphone, je doute que de savoir que Kev Adams se prélassait le bord d’une piscine de luxe grâce à Samsung influence la moindre chose dans celle-ci. Un smartphone étant un investissement conséquent pour la majorité des ménages, l’achat se passe généralement par recommandations du “GEEK LE PLUS PROCHE” ou sur base d’articles de sites technologie. Or, l’événement rate sa cible en terme d’égérie puisque comme le diront les “testeurs” tech habituels, ce surplus de stars donne à l’événement un caractère anxiogène où le spécialiste ne se sent pas réellement à sa place.
2. L’attribution du produit
Chose cocasse, on en oublierait pourquoi l’événement avait lieu : faire la promotion du Samsung Edge. Or, les termes les plus tweetés sont :
- newedgenight (logique vu que j’ai crawlé via le hashtag)
- Live (2014 mentions)
- Mika (1711 mentions)
- Molitor (1703 mentions)
Samsung arrive bien après avec 1437 mentions (via leur compte Samsung France en plus)
Dans les associations de mots, les associations les plus tweetées sont :
- Piscine Molitor (1143)
- Le Live (850)
- Grosse ambiance (757)
Le fait est que la majorité des images et des illustrations font plus la publicité du Molitor que du Samsung Edge. De plus, en publicité, on crée l’attribution par la répétition. La répétition créant l’attribution et la mémorisation que l’on calcule en GRP pondéré par un coefficient Beta/Alpha où la norme est de transformer tout en GRP TV. Ce n’est pas quelque 6000 tweets et une pub sur TF1 qui vont créer une attribution ou une mémorisation. Ici encore, l’opération rate le coche.
3. Hey il y a la ficelle de ta comm’ qui dépasse
Alors que tout était fait pour que la communication soit moins visible (l’utilisation des égéries avait pour but de gommer la société émettrice d’une publicité, que le buzz avait pour but de faire des gens les émetteurs d’une communication), ici tout est visible et tout sonne faux. C’est ainsi que la majorité des peoples ont tweeté l’image du Molitor, sans aucune ambiance ni aucune référence à Samsung :
Tiens c’est dingue d’ailleurs, ils ont tous la même photo !
https://twitter.com/FauveDanse/status/643877514453118976
Évacuons également les nombreuses personnes qui tweeteaient avec un iPhone :
Chacun avait reçu également un numéro à son URL, tel un bétail dont on doit compter les kilos de viande qu’il rapportera. Là encore la ficelle est trop grosse.
Les Vines de mise en ambiance qui étaient sensée nous faire retranscrire l’énorme ambiance ont l’air assez statique :
https://vine.co/v/eUWPHudVWTh
III. Conclusion
Le tout n’est pas égal à la somme des parties
Une somme de stars ne fait pas une bonne opération comme une somme de starlette de football ne fait pas la meilleure équipe du monde. Les coûts engagés pour cette grosse opération sont sans doute bien trop énormes par rapport à la visibilité et l’attribution générée. La communication n’est jamais aussi forte que lorsqu’elle n’est pas visible. Ici, on ne brise jamais l’incrédulité des publics, tellement les ficelles sont grosses.
Des stars qui jouent avec le feu
On observe également un danger pour ces stars qui se vendent sur Twitter. Très récemment, Adriana Karembeu mettait en scène son arrivée sur Twitter pour une marque. Les codes sur Twitter ne sont pas les mêmes que ceux de la publicité. Là où une star peut apparaître dans une publicité du fait que celle-ci possède certains “codes” qui délimite le champs promotionnel, c’est beaucoup moins évident sur les réseaux sociaux. Les stars pourraient avoir une perte de crédibilité conséquente à jouer au feu de l’affiche publicitaire sur les réseaux sociaux.
Le bruit pour le bruit
Coup sur coup, deux opérations ne sont créées que pour du bruit : pourvu que ça buzz. Il est plus qu’essentiel que les marques se coupent de la recherche du bruit pour le bruit pour créer du sens et de la relation. Mieux vaut utiliser une telle somme d’argent pour créer des relations à long terme qui rapporteront plus sur la durée. Samsung paraît ici pour une marque qui n’a rien à proposer sinon de l’événement pour parigosphère tandis que Laurent Guyot fait étalage de son carnet d’adresses conséquent et que le Molitor a eu une publicité gratuite. Tout cela n’est au final que du vent, et le marketing d’influence ne devient qu’une gigantesque éolienne sur patte où le bullshit trône désormais comme seul roi.
¹Till, B.D. and Busler, M. (2000), « The Match-Up Hypothesis: Physical Attractiveness, Expertise, and the Role of Fit on Brand Attitude, Purchase Intent and Brand Beliefs’, Journal of Advertising, 29(3), 1–13.