Ce mercredi, j’étais invité au café numérique de Bruxelles pour parler police et médias sociaux. L’occasion de faire le point sur les opportunités et les dangers des réseaux sociaux pour nos forces de l’ordre en compagnie de Pascal Renes, qui travaille à la Commission Permanente de la Police Locale (CPPL) en tant que secrétaire adjoint, et Sandra De Tandt qui gère le compte Twitter de la police de Bruxelles.
I. Introduction
N’importe quelle organisation est aujourd’hui concernée par les réseaux sociaux. La police ne fait pas exception même si la plupart de ses installations ont été tardives. Ainsi, il a fallu attendre l’année 2013 pour que la Police Fédérale Belge s’installe durablement avec une stratégie. Quels objectifs pour la police ?
- Image (stratégie surtout mise en place par Police nationale française) : le but est de travailler l’image des forces de l’ordre et faire valoir l’action publique.
- Contact avec la population (stratégie surtout mise en place par les deux) : établir un contact avec la population afin de développer de bonnes relations qui serviront en cas de catastrophe ou d’appels au public.
- Information (stratégie surtout mise en place par la Gendarmerie française) : dans les deux sens, à savoir partager des informations, mais aussi faire remonter des informations.
II. Informations
Lors des attentats de Charlie Hebdo, lorsque les noms surgissent sur Twitter, il suffit de réaliser une simple recherche Google pour découvrir que Cherif Kouachi se trouvait déjà dans la liste des terroristes en 2011. On trouve également sa description dans Libération. Enfin, on le retrouve dans un autre article alors qu’il était poissonnier pour le compte de Monoprix. On arrive donc à retracer son parcours en quelques clics. Ce constat sera de plus présent au fur et à mesure des années.
Une fois le nom de la compagne de Coulibaly donné, on peut ainsi retrouver ses positions dans certains articles :
Pour Amedi, on découvre dans Le Parisien qu’il avait visité Sarkozy en 2009 :
Parce qu’il est un fait désormais indubitable : nous laissons des traces partout. Or il serait difficilement pensable que la police n’exploite pas tout le potentiel de ces informations. Sur Twitter, on peut ainsi retracer tous les intérêts d’une personne. Par exemple, j’ai fait le test sur un de mes anciens professeurs de l’ULB dont on peut voir qu’il a un fort intérêt pour les francs-maçons :
Sur Facebook, on peut arriver à des listings très précis. Ainsi, avec open graph search de Facebook, on pouvait trouver des Iraniens homosexuels :
En ciblant des mots-clefs précis comme Cannabis et autres, il est possible de faire de la prévention en direct comme le fera la Police de York :
La Police américaine a bien compris le potentiel et a créé de faux comptes Instagram pour espionner les gens. Un juge leur a d’ailleurs donné raison dans leur démarche. Preuve que si les réseaux sociaux ont un réel intérêt, c’est bien dans la quête d’information en tout genre.
III. Communication
S’il est certain que la police ne buzzera jamais comme les One Direction, il y a certains points qui méritent une attention particulières :
Les employés comme source de crise.
Avec les réseaux sociaux, les employés comme facteurs de crise. Vos employés sont plus que jamais une source de risque. Avant si vous receviez une doléance d’un client ou si un client se plaignait dans la presse, vous pouviez toujours nier ou bouter en touche. Désormais tout est filmé.
Aujourd’hui, on peut suivre l’assaut du GIGN en direct,
Le crash d’un avion qui se crashe à Taiwan est filmé,
Le directeur de l’école 42 se fait filmer dans une salle de cours en train de donner la fessée à une de ses collaboratrices.
La police est dans la même situation dans la mesure où les actes de ses employés peuvent être visibles par tout un chacun. Ainsi, deux policiers ont été punis pour dérapages sur les réseaux sociaux. Une vidéo interne a filtré sur les réseaux sociaux où les policiers de la ville d’Anvers se ridiculisent :
Chaque intervention peut également être filmée et le contexte de l’interpellation caché :
https://www.youtube.com/watch?v=h4BKZICF9u4
Face aux rumeurs, être une source d’information
L’enjeu sur les réseaux sociaux, devant la multiplication des sources est d’être considérée comme étant une de celles-ci. Il faut dès lors annoncer clairement que l’on va fournir des informations.
Cela permet de limiter le nombre de rumeurs et surtout de nourrir les journalistes qui seront peut-être moins tentés de se la jouer paparazzi sur des terrains d’opérations. Devant la multiplication des sources disponibles, l’enjeu sur les réseaux sociaux est d’être considérée comme une de celles-ci.
Une communication plus souple et plus proche des gens
Le nombre de caractères d’un tweet permet une communication beaucoup plus souple qu’un communiqué de presse. Cela permet donc de donner de petits conseils, de donner des informations rapidement et d’être plus proche des gens. On est moins tenu de mettre un ensemble de détails qu’on a pas forcément envie de communiquer. On peut dès lors offrir une information principale et la décliner par la suite. La police de Boston, lors de l’arrestation du tueur du marathon n’a fait que communiquer via un tweet. Bien plus simple, direct et cela permet aux habitants de se sentir en sécurité. Viendra ensuite les éléments de détails.
Cependant attention, plus proche des gens ne doit pas faire croire que tout le monde nous aime. C’est l’erreur qu’a commise la police de New York en 2014. Pour « redorer » son image, la Police de New York avait lancé une opération sur Instagram et Twitter demandant aux gens de poster une photographie avec un policier via le hashtag #myNYPD. L’opération n’a pas eu l’effet escompté puisque cela a rapidement tourné à des photographies un peu moins conventionnelles.
Communiquer oui, mais pas n’importe quoi.
Cependant, si la communication peut être plus souple, il ne s’agit pas de communiquer n’importe comment et surtout pas comme un vulgaire clown. Si cela semble marcher en Espagne, l’utilisation du rire se doit d’être parcimonieuse et la stratégie ne doit pas devenir populiste.
Ainsi, la Police française du 67 avait fait un sondage pour demander ce que ses followers préféraient le plus. Sans surprise, l’insolite, les faits divers et les petites pointes d’humour l’ont emporté haut la main. Parce que si l’on demande aux gens ce qu’ils veulent, ils répondent toujours par un populisme défiant toute concurrence. Demandez ce que les gens veulent voir comme film au cinéma, et vous vous retrouverez avec 50 salles tournant Fifty Shades of Grey.
Cela donne des résultats comme ceux-ci :
Seulement, il ne faut pas perdre de vue qu’il y a ce que les gens veulent et ce que l’organisation a comme mission publique.
Pourtant, de temps en temps l’humour peut aider à propager des messages de prévention puisque l’on vit une bataille de l’attention. Les gens consomment l’information sur un flux qu’ils parcourent à toute vitesse. Une image bien drôle peut permettre d’attirer le regard et de développer un message utile.
Le contraste avec la même blague ici est saisissant :
Même blague, mais l’une est utile, l’autre n’est qu’un attrape-mouche à retweet lancé par quelqu’un qui pense être un community manager mais qui n’est qu’un clown qui veut être la star du jour. Parfois, cet humour est bien plus grave puisqu’il sacrifie l’organisation sur l’autel du rire :
Car après le sourire, on se demande comment un détenu peut-il mettre le feu à un matelas si ce n’est par une erreur humaine. “Comment a-t-il pu mettre le feu à un matelas sans avoir un briquet ?” Dès lors, l’organisation est en cause et c’est son propre community manager qui la cloue au pilori. Le pouvoir que le community manager a désormais entre les mains et qu’au moindre faux pas, cela peut tourner au ridicule :
De la même façon, il faut se mettre en situation d’empathie pour voir comment le message va être perçu. La ville de Laval a ainsi suscité la polémique en souhaitant de joyeuses fêtes en habit de fêtes :
Une situation qui n’est pas sans rappeler le bad buzz de la ville de Bézier qui s’est déroulé hier :
Le rôle de la police n’est pas de faire peur mais d’informer.
Enfin, il ne faut pas perdre de vue tous les aspects juridiques propres à la police comme le secret de l’instruction, la présomption d’innocence, etc. :
Que se passerait-t-il si un avocat reconnait son client et que l’on voit clairement que les policiers ont instruit à charge ? ( toutlemondeycroit)
Un des intervenants disaient également qu’un cas s’était déroulé où la presse avait fait circulé un visage, retweeté par la police. Or, pour diffuser un portrait, il faut l’accord du parquet fédéral, ce qui n’avait pas été obtenu. Signe qu’il ne faut pas se perdre dans la rapidité ambiante des réseaux sociaux.
III. Conclusions et pistes de réflexion
Ne pas oublier les fondamentaux du community manager
L’utilisation d’image pour illustrer les nouveaux posts Facebook est un prérequis pour tout community manager. Les messages de gauche ressemblent à une bouteille lancée à la mer qui ne trouvera jamais le moindre utilisateur dans une timeline où tout le monde ne cherche que l’attentation à l’aide d’image, de vidéo, etc.
L’utilisation d’images d’évocation ou autres illustrations peut ainsi permettre d’attirer le regard des gens à travers leur timeline. De même, il faut soigner son image et l’utilisation d’un logo pixellisé renvoie une image peu professionnelle.
Profiter de la segmentation accrue des réseaux sociaux
Sur les réseaux sociaux, la cible est paramétrable. C’est une arme de choix pour une police qui a souvent besoin de cibler des gens d’une localité très précise. Facebook est ainsi l’arme de précision absolue :
Tout comme peut l’être Twitter avec son outil Twitter Alert et sa géolocalisation en cas d’urgence.
Mieux vaut parfois payer 10 euros pour un message qui touche sa cible en plein coeur, que payer un community manager à envoyer 45 messages dans l’espoir qu’il touche une cible. Il convient alors de comprendre que les réseaux sociaux sont une arme de précision chirurgicale et que c’est là sa principale force.
User centric
Comme les entreprises, la police fédérale se doit d’être user centric, car elle repose sur son audience plus que n’importe quelle autre organisation. Du coup, il faudrait scinder le compte en deux : un pour les néerlandophones et un pour les francophones, de façon à ce que chacun ne soit pas spammé par deux messages à chaque annonce :
Ce défaut est d’ailleurs un gros problème de beaucoup de marques belges qui pensent plus à leur propre petit confort qu’à celui de leurs publics. En résumé, il convient de :
- Faire bon usage des traces numériques
- Établir une charte des usages des réseaux sociaux à l’intention des employés
- Donner des informations pour éviter les rumeurs.
- Communiquer oui, mais pas n’importe quoi.
- Penser à l’utilisateur
- Tirer profit des campagnes ultra-ciblées
Au final, pour la police, il n’est pas trop dur de s’adapter aux réseaux sociaux puisque la majorité des options qui s’offrent à elle sont la plupart des choses qu’elle mettait déjà en place : contact avec la population, appel à témoin, travail sur l’image. Signe que plus que jamais, ma citation préférée sur les réseaux sociaux restera : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.