Alors que le monde entier compte les sous qui ont échappé au Fisc, que l’on essaie de voir les personnalités contestées, les Français ne parlent que d’une seule chose : Gad Elmaleh et LCL. L’affaire n’est pas neuve puisqu’il s’agit d’un bad buzz latent d’une publicité que les gens n’aimaient pas et qui prend un dénouement totalement inattendu.
La problématique des égéries est de plus en plus actuelle dans un monde où les révélations de faits gênants sur des stars sont facilitées par le Web, car tout peut être filmé et tout est enregistré. Analyse d’un phénomène de société qui pourrait bien changer l’approche des marques en la matière.
I. Introduction
1. Éléments de théorie
Le point de départ de l’utilisation de stars dans les publicités est le concept de leaders d’opinion. Cela comprend les experts, les médecins, les chercheurs, les stars… mais cela peut être aussi des personnes qui connaissent très bien le produit (passe du temps sur le terrain, dans les magazines, etc.)
Le leader d’opinion peut exercer une influence directe ou indirecte (via les médias) :
- – Indirect : j’utilise un expert dans une campagne publicitaire
- – Direct : j’utilise des personnes qui sont centrales dans un réseau défini
Comme cette personne est référent dans le groupe, elle va influencer celui-ci.
Un leader d’opinion peut être amené à prescrire certains produits ou certaines marques, mais peut également être amené à freiner leur diffusion.
Pour qu’un leader d’opinion puisse exercer une influence, il faut qu’on soit capable de s’identifier à cette personne. Le pouvoir de référence est ainsi lié à l’autorité que peut exercer un leader d’opinion. Les marques construisent ainsi ces personnes pour qu’un plus grand nombre de personnes s’y identifie.
On peut citer Georges Clooney pour Nescafé ou David Beckham pour Vodafone.
Des études prouvent que les gens sont moins énervés avec un témoignage d’expert que les fameux « testimonials »
(Aaker, D.A. and Bruzzone, D.E. (1985), « Causes of Irritation in Advertising », Journal of Marketing, 49 (Spring), 47–57.)
Ils provoqueraient même plus de réponses émotionnelles positives.
(Wang, A. (2005), ‘The Effects of Expert and Consumer Endorsements on Audience Response’, Journal of Advertising Research, 45 (Dec.), 402–12.)
Ce n’est donc pas un hasard si les marques ont utilisé cette technique marketing au maximum. Une étude stipule qu’en 2001, une publicité sur 4 aux Royaumes-Unis et une publicité sur 5 aux USA utilisaient des égéries.
(Erdogan, Z., Baker, M.J. and Tagg, S. (2001), « Selecting Celebrity Endorsers: The Practitioner’s Perspective’, Journal of Advertising Research, 41(3), 39–48)
C’était donc l’âge d’or de l’utilisation de célébrités. Les effets positifs de celles-ci sont :
- Un intérêt du public agrandi, mais également des médias. Par exemple, Cindy Crawford pour la campagne « Won’t Kiss Off Test » d’un rouge à lèvres avait embrassé des journalistes ce qui avait amené beaucoup de couvertures médiatiques, et ceci pour 0 euro.
- Impact positif sur la publicité en elle-même.
- Effet positif sur la position par rapport à la marque.
- Intention d’achat en hausse. (Pepsi aurait augmenté ses ventes de 8 % (Mickael Jackson en 1984)et de 2 % (Pepsi en 1997)
Par contre, les célébrités doivent être crédibles dans leur expertise du produit ou doivent être de confiance. ( Le coefficient d’honnêteté et de croyance perçues) Par exemple, un footballeur qui a prouvé ses connaissances footballistiques est plus apte à promouvoir Nike ou Adidas qu’un autre. Deux scientifiques ont ainsi comparé une publicité avec un acteur et un athlète et une barre énergétique et un bonbon.
(
Till, B.D. and Busler, M. (2000), « The Match-Up Hypothesis: Physical Attractiveness, Expertise, and the Role of Fit on Brand Attitude, Purchase Intent and Brand Beliefs’, Journal of Advertising, 29(3), 1–13.)
La publicité avec l’athlète et la barre énergétique était beaucoup plus utile alors qu’il n’y avait aucune différence entre les deux pour le bonbon.
L’égérie doit également être attrayante pour le groupe visé. Ainsi, si Mick Jagger est assurément une star, les One Direction auront beaucoup plus d’impact sur les adolescents.
2. La tendance actuelle : les égéries éphémères.
De plus en plus, le public adore isoler des égéries éphémères qui étaient de parfaits inconnus avant. Parce qu’on aime ne pas être mainstream et noter le petit détail, elles font le buzz et les médias adorant celui-ci en font des stars. Lors de la manifestation des attentats, tout le monde ne parle que du garde du corps d’Hollande :
Même constat lors du mariage de Kate Middleton, tout le monde ne parle que de Pippa :
À la coupe du monde, le match n’intéresse personne au contraire d’Axelle Despiegelaere ( analyse complète ici )
Problème de ces égéries, le public habituel à qui ils ont affaire n’est plus le même une fois l’exposition médiatique. Du coup, des images du passé en inadéquation avec le statut de personne public surviennent :
II. La problématique actuelle des égéries.
Problématique pour des marques : lorsqu’on se fait avoir par la visibilité éphémère d’une égérie, car on n’a pas pris le temps de vérifier le background de celle-ci. La marque L’Oréal avait ainsi Axelle comme égérie :
Avant de la jeter comme un vulgaire Kleenex après l’affaire de la photographie :
« L’idée, c’était d’utiliser l’image de cette jeune fille dont on parle sur le NET, les réseaux sociaux et dans les journaux, pour générer du trafic dans les salons de coiffure avant d’aller voir le match (…) C’était une opportunité particulière à un moment particulier (…) »
La marque réalise ainsi une métaphore de la beauté éphémère et perd en crédibilité alors qu’elle cherchait par une égérie à faire le contraire. De plus en plus, on assiste à ce phénomène qu’a bien connu l’ONG Oxfam suite à la publicité de son égérie Scarlett Johansson pour Soda Stream. Elle est dès lors accusée de cautionner « l’exploitation des travailleurs palestiniens » dans une colonie israélienne « illégale ».
Une blogueuse de mode belge Valérie de Pever, lassée d’entendre une publicité Weight Watcher se fend d’un tweet critiquant celle-ci en insérant une mention du compte Twitter de Maurane.
La chanteuse n’a visiblement pas apprécié le tweet et lui répond en faisant une insinuation envers les rondeurs de la blogueuse : « Je comprends… En regardant votre photo de profil, je me dis que la jalousie, c’est vraiment con… » suivi d’un « J’évite de respirer les poubelles ».
Cette réaction incendiaire n’a pas manqué de susciter les réactions des internautes et a été matérialisée par un article de blog de Valérie de Pever.
L’affaire a été ébruitée sur les différents sites d’actualité et journaux télévisés. Mauranne s’excusera par la suite ( différents tweets disponibles sur l’article en question).
En août 2014, c’est le groupe Little Mix qui suscite le rire parce qu’ils sont l’égérie de la marque Tati :
Le manque de cohérence entre une marque vieillotte et un groupe pour adolescent en est particulièrement la cause.
Même chose pour Coca-Cola qui pour le lancement de son service personnalisé de bouteille Coca utilise Naoelle, gagnante de Top Chef. Or, celle-ci était particulièrement détestée ce qui n’a pas manqué de faire réagir les internautes et de demander à Coca Cola pourquoi diable avait-il choisi celle-ci ?
En effet, pour une marque qui veut communiquer sur les valeurs de partage, c’était une égérie tout à fait inadéquate dans la mesure où la candidate ne semblait pas du tout y adhérer. Finalement, Coca Cola a supprimé toutes les vidéos Youtube et n’a plus diffusé ce spot à la télévision
III. Conclusions
Les problématiques suite à l’utilisation des égéries sont la suivante :
– Le marqueur temporel qui ressurgit. (cas Axelle de Spiegelaere) Une trace négative dont n’était pas au courant la marque surgit. C’est typiquement le cas de Gad Elmaleh puisque son implication dans le Swiss Leaks refait surgir la publicité LCL avec un tout autre regard. LCL apparaît donc dans une mauvaise posture, bien malgré elle.
Gad Elmaleh subit lui-même des marqueurs temporels :
On le voit également nier avoir un compte en Suisse :
– Le manque de cohérence entre égérie et marque ( cas Naoelle/Tati et Little Mix) : il y a un manque de cohérence logique dans le fait qu’une banque (LCL, gage de sérieux) soit promue par un humoriste (Gad Elmaleh, gage de rire)
– Nouvel élément négatif : (Cas Mauranne et Weight Watcher / Oxfam et Scarlet Johansson) un nouvel élément négatif survient qui met en cause le partenariat. Ici, le partenariat était déjà fini entre Gad Elmaleh et LCL, mais LCL a continué le même format de publicité, mais avec un autre acteur. Pour ne pas associer le scandale avec LCL, la banque serait bien inspirée de couper sa campagne le temps que cela se tasse.
Il devient donc de plus en plus délicat pour les marques de reposer sur des célébrités dans un monde où tout va plus vite, et où le couac/bad buzz peut survenir à chaque moment, et ce même pour les personnes les plus intègres. LCL en a fait la dure expérience puisqu’elle devient associée avec un scandale financier bien malgré elle. Toutefois, LCL aurait du évaluer les critères qui font une bonne égérie : crédibilité et confiance n’était pas au rendez-vous dès le début.