Le 7 février, le scandale Swissleaks a défrayé la chronique et enflammé les réseaux sociaux. L’occasion rêvée d’analyser une crise médiatique et sa réception par l’opinion publique grâce à Twitter et au logiciel de veille Visibrain.
I. Compte-rendu
Le hashtag est lancé dans l’arène par le ICIJ :
Puis Le Monde lance l’article :
Après 1 heure, la situation est la suivante :
On peut voir que la majorité des expressions sont celles du titre de l’article du Monde. Même chose pour les mentions qui sont pour la plupart des journalistes ou titres qui appartiennent au Monde.
On peut donc dire que nous avons une phase d’information comme pour #jesuischarlie.
2 heures après, la situation est à peu près semblable, mais la viralité est tout simplement énorme :
D’autres médias partenaires comme Le Soir apparaissent. On peut également remarquer l’apparition timide de Gad Elmaleh.
Les expressions se diversifient même si la plupart proviennent des titres de presse. On voit des noms filtrer comme Gad Elmaleh ou le roi du Maroc Mohammed VI. Ce qui est intéressant, c’est que le public garde l’angle pris par les médias. Swissleaks reste le hashtag le plus choisi.
On est entre la phase d’information et celle de “framing” de l’actualité
Nous sommes maintenant 9 h du matin. J’ai appliqué un filtre (afficher uniquement que ceux qui ont 8 degrés, soit 8 interactions) pour rendre la cartographie plus visible (et surtout traitable par mon faible PC).
La situation est identique. Et pour cause, les gens sont allés se coucher. On fait donc un bon de 24 h :
Gad Elmaleh est devenu une des personnes les plus twittées, il y a clairement eu un “framing” sur sa personne. Mis à part Le Gorafi et un peu Franceinfo/Itélé, les autres médias n’ont pas réussi à s’imposer sur le hashtag. Signe que ce qui compte est le scoop initial.
Si l’on regarde la situation globale tout pays confondu :
On remarque à nouveau une courbe de Gauss, comme n’importe quel “buzz”. Le chiffre à retenir est le haut taux de retweets et de nombre de liens. Signe qu’il n’y a pas d’expression propre par rapport à la crise. On ne transmet pas d’émotions, mais uniquement l’information. Si je zoom via Visibrain sur une période plus courte :
On remarque que le pic de tweet après la nuit revient vers 10 h et atteint son maximum à 13 h pour décliner petit à petit. L’autre point intéressant, c’est que si je ne prends que les tweets en français, en occultant tous les autres :
On a presque les mêmes flux, signe que cette courbe est typique du phénomène.
II. Analyse
1. Répartition par pays : la spécificité espagnole
L’un des chiffres les plus étonnants est la répartition par pays :
L’Espagne y est la plus représentée alors que si l’on observe la situation par pays :
Elle n’y est pas parmi les plus touchées. Les autres pays ont tous fait partie des plus touchées par le scandale, le Mexique étant touché par le fait que la banque aurait caché de l’argent qui provient des cartels de la drogue.
L’explication de la place de l’Espagne ? Sans doute le climat actuel, à l’approche des élections où Podemos pourrait avoir sa carte à jouer. Cette information est utile politiquement.
2. La sémantique
Pour la sémantique, j’ai enlevé les retweets et les liens afin qu’il n’y ait aucun biais :
Mis à part l’expression “tollé contre l’impunité”, les mots sont relativement neutres. Il n’y a pas d’expression d’émotion. On remarque que le framing est particulièrement ” ad hominem”, à savoir que Gad Elmaleh et le roi du Maroc intéressant aussi que c’est le #swissleaks, mais pas le #hsbcleaks (1 % par rapport à Swissleaks !!)
3. Les tweets les plus retweetés :
On le voit donc, la plupart des tweets les plus retweetés sont humoristiques. Cependant, l’arbre du LOL ne doit pas cacher la visibilité réelle puisque les tweets les plus vus sont les suivants :
4. Le public
Essentiellement des journalistes qui participent au bruit de #swissleaks. L’intérêt le plus présent est bien entendu la politique. Finalement, cela ne fait que confirmer que le bruit autour de #swissleaks n’est pas un bruit citoyen mais un bruit informationnel.
III. Enseignements
A. Les phases de propagation
Souvenez-vous, à l’occasion de #jesuischarlie, j’avais isolé les différentes phases :
- La phase d’événement : annoncer partout l’information
- La phase émotionnelle : la commenter avec son ressenti
- La phase de transition : l’attente et le partage avec les autres
- La phase de rationalisation : organisation de l’espace collectif. Réunion autour d’un hashtag commun et d’éléments de langage commun. Exclusion des gens qui se retrouve en dehors de l’espace commun.
- La phase d’intérêt : production ou apparition d’éléments nouveaux et d’éléments saillants
- La phase de déstructuration : isolement de la majorité. Le rejet de cette dernière va définir leur identité.
Celles-ci ne sont pas les mêmes pour la crise médiatique. Afin que l’on soit sur la même longueur d’onde sur ce que j’entends par crise médiatique, il s’agit d’une crise dont l’origine provient d’une information négative divulguée par un média. On peut y classer les hacks de base de données, et les licenciements.
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La phase d’information :
le media sort l’information. Celle-ci se propage par des tweets
Tweet typique :
Il n’y a aucune place à l’émotion. J’ai d’ailleurs trouvé très peu de tweets qui se montraient virulents envers la Banque HSBC. Un des rares était par exemple celui-ci :
https://twitter.com/A_et_V_PAM/status/564551450320441348
La plupart en appellent en fait à des réactions normatives : que faire face à la fraude ? C’est donc plus le système qui est critiqué que la banque HSBC. La preuve du fait que l’on parle d’un système, il y a un certain fatalisme :
https://twitter.com/reZga/status/564545611895414784
C’est la même fatalité que l’on va trouver dans les hack de base de données, où même si des informations particulièrement sensibles sont fuités, il y a une sorte fatalité selon laquelle n’importe quelle organisation peut subir un hack et qu’il s’agit “de la faute à pas de chance”. Lorsqu’un licenciement survient, c’est à nouveau la fatalité qui prédomine. Ceci explique à mon sens le manque de réactions émotionnelles.
2. La phase de reprise par les autres médias :
Les médias, alertés par le bruit, vont reprendre l’information.
Il n’y a toujours pas de phase émotionnelle. Seule l’information prend de l’ampleur. On a donc une situation comme celle-ci : (H+1)
À savoir de multiples centres “médias” qui sont diffusés par les gens. Petit à petit, les réseaux vont grandir et il y aura d’autres médias qui répercuteront l’affaire. Certains influenceurs qui tweetent l’article vont également être retweetés : (H+2)
On remarque qu’il y a très peu d’isolés (contrairement aux cas de bad buzz) et que chaque média dispose de sa propre audience.
3. La phase de “framing” :
Le media qui a lancé l’affaire établit déjà un framing. On l’a vu avec Le Monde qui a orienté les discussions sur #Swissleaks, voulant jouer sur le fait que plus tôt, il y avait eu le #luxleaks. Le public va ensuite ajouter son propre cadrage de l’événement. Généralement, c’est le moment où l’on va cibler une personne en particulier. C’est le phénomène des égéries éphémères qui cristallisent tous les maux. Ici, c’est Gad Elmaleh qui va tout prendre :
https://twitter.com/ADAN_Officiel/status/564540015523663873
Que cela soit en positif ou négatif, tout vient nourrir la discussion :
Les médias voyant que Gad Elmaleh est un des plus cités vont alors faire le focus sur son cas, ce qui va finalement mener au loop médiatique, à savoir que le média vient nourrir le média.
4. La phase de récupération
Le sujet est le plus parlé. Il faut donc récupérer l’actualité pour son propre intérêt. Il y a alors une recherche du buzz où la palme revient à celui qui fera la plus belle blague, ou celui qui aura l’information insolite :
C’est également le moment de la récupération politique :
https://twitter.com/GracchusX/status/564544954769231875
https://twitter.com/Geekenvrac/status/564549114239938561
Voici pour moi les 4 phases qui constituent une crise médiatique. Le plus important là-dedans est de savoir qu’il n’y a pas de crise émotionnelle. Il est donc possible de répondre avec des arguments rationnels tout en étant entendu. Ce n’est pas la même situation pour Gad Elmaleh puisque celui-ci est directement visé émotionnellement. Il lui faudra donc attendre que cette phase disparaisse pour apparaître médiatiquement pour donner ses réponses.
Une interview au 20 h à prévoir dans les prochaines semaines ? Je parierais beaucoup pour cela, car le fait qu’il ait réglé ce souci avec le FISC depuis longtemps déjà lui donne une carte à jouer tout à fait jouable. Il lui suffira de paraître honnête et de se victimiser sans trop avoir l’air d’y toucher pour regagner des galons dans l’opinion.
B. Le framing des médias : diablement important.
Ce qu’il est intéressant de remarquer, c’est que le framing du média qui lance l’alerte est celui qui va donner le ton. Le choix du hashtag sera respecté à la lettre par tous. Le focus sur les célébrités touché sera également largement repris.
Tous les autres médias qui parlent de l’affaire n’auront pas le même succès que Le Monde. D’ailleurs, il est intéressant de voir que pas mal de médias n’ont pas opté pour le hashtag #swissleaks, préférant d’autres voies.
C. Le silence de HSBC, une erreur stratégique ?
J’ai pu voir de nombreuses analyses de communication de crise qui fustigeaient le silence de HSBC, lui reprochant de ne pas prendre la crise au sérieux. Notamment parce que son site ne dispose pas du fameux “dark site”, sorte de stratégie vantée par tous les consultants alors qu’il s’agit d’une technique bien plus utile pour les accidents naturels ou industriels que pour de grands scandales médiatiques. Pour ma part, je ne serais pas si catégorique, allant même jusqu’à dire que la stratégie peut être très bonne.
Certes, elle détonne dans un monde de la communication de crise qui vante la prise de parole, qui prône la transparence et qui obligerait presque à gesticuler à la Sarkozy sur tout ce qui bouge.
Je pense que cette vision est une vision parfaite pour certains types de crises, mais pas pour celle qui nous occupe. En effet, si l’on se souvient de la crise de la viande de cheval, crise qui a touché presque tous les vendeurs de plats préparés et qui pourtant porte le nom de “Findus”.
Celui-ci avait été une des premiers à communiquer et faire amende honorable dans un jeu de transparence qui lui coûtera cher, car Findus n’était pas prêt à gérer la crise : la marque a mis plusieurs semaines avant de sortir son site dédié, Spanghero n’était pas encore clairement identifié par l’opinion bloquant leur stratégie de bouc émissaire, etc. Ce qui était une crise de système est alors devenu une crise Findus. Chaque annonce de marques de plats préparés des marques distributeurs à Panzani est devenu “Crise Findus : X est également touché”.
Je pense qu’avec HSBC, nous sommes dans une situation où :
- L’affaire date de 2008. Elle fait partie inhérente de la crise des subprimes dans l’imaginaire collectif alors qu’il n’y a aucun rapport. C’est le symbole de tous les maux du système bancaire.
- Il s’agit du Swissleaks. C’est presque le système bancaire suisse qui est attaqué. HBSC jouera d’ailleurs très finement le coup en isolant la problématique à sa filiale suisse. Comme si le mal de la banque était la “suissitude” (excusez-moi pour ce mot qui aurait pu être inventé par Ségolène Royal) de sa filiale.
- Le focus est mis sur les personnalités. Les vrais coupables aux yeux de l’opinion sont les gens qui font de l’exil fiscal. Le roi du Maroc, Gad Elmaleh sont ainsi clairement les plus attaqués.
Dès lors, la stratégie du déplacement latéral pour faire d’une crise locale une crise globale, celle de tout un système est celle que je préconiserais. Il est d’ailleurs très facile de trouver des tweets qui vont dans ce sens :
Communiquer trop sur cette crise viendrait à fournir aux médias de l’information pour traiter ce cas par l’angle de HSBC. Il n’y a qu’à voir que lorsque celle-ci fait une lettre-publicité dans un média britannique, elle fait la une des journaux. Le silence est donc une stratégie risquée, mais qui me semble adéquate. L’avenir me dira si j’ai eu raison ou pas.