Aujourd’hui, les terroristes de l’Etat islamique se servent allègrement des réseaux sociaux pour leurs campagnes de communication. De Youtube à Twitter en passant par Facebook, les messages de propagande foisonnent. Pointé comme une véritable force par les analystes et les journalistes, cela pourrait bien être également une faiblesse. Explications de méthodes afin de retourner leur arme contre eux.
I. Méthodes
il faut comprendre le réseau social Twitter. Sur Twitter, nous suivons les gens non pas par familiarité mais par intérêt. Et sur le réseau social, nous pouvons définir chaque relation entre les gens comme étant une relation entre un point A et un point B :
De plus, il se peut que Mathias suivent Markus mais que ce dernier ne suive pas Markus. En clair, il peut y avoir une relation « in » ( on reçoit un follower) et une relation « out » ( on suit quelqu’un) . A petite échelle, cela ne nous intéresse pas plus que cela mais si l’on prend tout cela à une grande échelle cela peut devenir intéressant. En effet, on va pouvoir identifier les centres ( ceux qui sont suivis par beaucoup de personnes) et les communautés/clusters ( ceux qui ont beaucoup de connexions entre eux mais peu avec l’extérieur). Sur ce schéma par exemple :
On peut voir les centres (1 et 2) suivis par beaucoup et le fait qu’ils ont beaucoup de connexions entre eux mais peu avec les autres. ( le cluster 2)
En quoi cela va nous intéresser ? Tout simplement parce qu’une fois que l’on pourra disposer d’une liste de terroristes sur Twitter, on pourra isoler les différentes composantes et exclure les biais. Pour effectuer une liste, on peut utiliser deux méthodes (il y en a peut-être d’autres, mais ce sont celles auxquelles je pense)
1. La triangulation
J’avais effectué ce travail il y a de cela 2 mois mais il a aujourd’hui une résonance toute particulière. Mon désir ? Etablir une cartographie de départ des acteurs de la propagande islamique. Pour ce faire, je suis parti de compte dont il est certain qu’ils appartiennent à des membres de l’état islamique. Comment ? Deux solutions faciles :
- Partir de comptes identifiés par les médias comme étant des comptes à but de propagande. Tout simplement en tapant « Etat islamique sur les réseaux sociaux »
- Utiliser l’outil Followerwonk pour scanner les bios des utilisateurs de Twitter. Pour notre petit test, j’avais à l’époque voulu des utilisateurs parlant le français. J’avais donc tapé « Etat islamique ». On peut ainsi trouver ce genre de profil :

Une fois un certain nombre d’utilisateurs identifiés, on va pratiquer une technique proche de la triangulation. Je suis certain que l’ensemble des comptes appartient à l’état islamique et met en place des techniques de propagande. Il y a fort à parier donc que les gens qui suivent ces comptes aient un intérêt pour l’état islamique. Je vais donc extraire l’entièreté des followers de chacun de ces comptes. Je croise ensuite les fichiers de followers entre eux pour voir les concordances de followers. Si quelqu’un suit l’entièreté des comptes, il y a fort à parier que son intérêt pour l’état islamique est grand. Jusqu’à 30/40 % de comptes suivis ( en fonction du nombre total identifié au départ), on peut être plus ou moins certain de l’intérêt.
J’avais schématisé la méthode pour les surveillances de compte d’ONG pour certains groupes internationaux :

Pour cette carte, je suis parti de différents accounts dont celui-ci:

Je suis arrivé à la liste suivante :
- abou_uthman_5
- ultime77
- Dihya95
- TibOreiller
- SoulaymanCongo
- un_serviteur
- Abu_Yusuf_1
- Officiel_Omar
- Muslim_in
- AnisseAlmansour
- KAlmouhadjir
- GensDeLaSunna
- SalimIbnAdam
- Adina6395
- m1988m2014
J’ai pris 30% de concordance entre les followers de chaque acteur. Cela nous donne la cartographie de communautés suivantes :
Après quelques recherches, on voit que la communauté en vert/jaune est celle des plus radicaux : ainsi, on peut voir le compte @Gensdelasunna retweeter ceci :
https://twitter.com/FrDesouche/status/554278366573264896
@Anondawla tweet ceci :
https://twitter.com/ProphetsKhilafa/status/554339493189529603
Ce n’est pas pour rien que dans cette communauté, nous trouvons tous les analystes :

Dans la communauté verte, c’est également des ultra ( mais en anglais) puisque @ShaheedSwag retweet ceci :
https://twitter.com/Jizyacollector/status/552501549575204864
n’est pas mieux, même si l’on peut remarquer qu’il est maintenant à sa 8 ème version du compte twitter.
en est également à son deuxième compte et occupe une place centrale via des isolés en rouge.
Les communautés bleus et mauves doivent être exclues car ils sont reliés par un intérêt pour la religion islamique mais en aucun cas pour les terroristes. Le problème est qu’ils suivent des gens qui ont un discours radical mais il s’agit souvent d’une pratique de following mutuel pour gagner des followers en rapport avec l’intérêt. ( l’islam) On peut le constater en regardant, les 5 comptes les plus suivis sont :
apprendrelislam : compte non extrémiste. Ils font du mass following ( plus de 30 000 comptes suivis, ce qui explique sa place dans le réseau !) |
kalmouhadjir : le profil disait » Compte tweeter tenu par un couple ! la sœur réponds aux femmes et le frère réponds aux hommes ! ». Les propos sont parfois très extrémistes. |
beautedelislam : compte non extrémiste. « Beauté de l’Islam se différencie par son contenu islamique de qualité et diversifié. » Ils font du mass following ce qui explique la place dans le réseau. |
romaincaillet : compte non extrémiste. Chercheur et consultant sur les questions islamistes. |
entremuslims : compte non extrémiste. Petites annonces & Entraide entre Musulmans, EntreMuslims.fr. Pratique le mass following. |
Cela montre l’importance de la cartographie pour éliminer les éléments « biais ».
2. La pêche
Les propagandistes sont comme des publicitaires ou comme nous : ils ont besoin d’un lieu de ralliement sur le Web. Pour ce faire, ils utilisent des hashtags très spécifiques. Ainsi, les hashtags #etatislamique ou الدولة_الإسلامية sont particulièrement utilisés. Récemment, avec la vague d’attentat qui a eu lieu en marge de Charlie Hebdo, on a vu émerger le hashtag #jesuiskouachi. C’est le moment rêvé pour établir une liste de comptes propagandistes. En effet, là où des cartographies par triangulation peuvent mettre plusieurs jours à être conçues, la cartographie de hashtag n’est qu’une question de minutes ou d’heures.

Ici, il ne s’agit pas d’une relation following mais d’une relation entre les interactions des différents acteurs. Cela permet de voir les meneurs. Si le compte moooouslima, othmanovich__ et d’autres sont aujourd’hui supprimé, khilafalgeria3 ( donc le 3 ème account qu’il fait) est toujours en exercice.
En réalité, la majorité des accounts ne sont même pas français puisque leur zone GMT se situe à Lubjana, et donc probablement de l’est de la Tunisie. On remarque aussi qu’une grande partie des accounts n’appartient pas du tout aux musulmans mais proviennent du FN. Si l’on comprend parfaitement la raison pour laquelle il fallait que ce hashtag émerge, cela pose la question : Qui bono ? Aux extrêmes. Les médias se sont ensuite emparés du hashtag ce qui a fait explosé le nombre de tweets alors que celui-ci, avant les médias ne comptaient que 1111 tweets. (dont ceux du FN)
Le problème de la technique de la pêche est que certaines personnes pensent utile de tweeter ce hashtag sans être islamistes ce qui va créer un bruit conséquent qu’il faudra par la suite filtrer. C’est également ici que la cartographie prend tout son sens.
II. Moyens d’action
Une fois la liste établie, que faire ? La censure sur le Web est souvent totalement inutile. Pour rappel, à l’origine, le Web était un réseau militaire développé pendant la guerre froide par le gouvernement américain qui cherchait à protéger ses installations en cas d’attaque nucléaire soviétique. Le but de ce réseau était de ne pas avoir d’épicentre, mais une multitude de nœuds….

… Et ceci de façon à ce que si un noeud cassait, tous les autres noeuds puissent prendre le relais : c’est la raison pour laquelle l’un des surnoms du World Wide Web est « la toile ».

Toutefois, même si ce constat est réel, il n’empêche que l’on peut très bien faire migrer les islamistes à l’endroit où on le souhaite. Comme nous l’avons vu de multiples accounts ont déjà été supprimés donnant naissance à une deuxième voire une 8 ème version. La censure pourrait faire croire que cela ne sert à rien. J’ai également pu croiser de nombreux profils qui étaient en mode privé :

Se reconstruire un réseau prend toutefois du temps : refaire ses followers, etc. Il y a donc fort à parier que ceux-ci vont développer de nouvelles approches et techniques et ce alors qu’il est très simple sur Twitter de localiser les différents réseaux comme ma petite expérience le prouve.
Sur Facebook cela est beaucoup plus tortueux : comptes privés, impossibilité d’établir les connexions entre les acteurs facilement. Il faut donc pratiquer la suppression de comptes autant que faire se peut.
Pour Youtube, plateforme de propagande de l’état islamique, il est également bon de censurer à vue. Même si les vidéos réapparaitront, celles-ci ne seront dans un premier temps visible que par les déjà-sensibilisés à la démarche.
Sur Twitter, on peut pratiquer la suppression de compte mis en privé pour laisser les comptes à la vue de tous afin de les observer. Mis dans un panel de veille, il est dès lors possible d’étudier les différents moyens de propagande mis en place, etc.
L’un des seuls soucis est la difficulté d’agir en offline par rapport à des acteurs qui se retrouvent dans des pays impossible à atteindre.
III. Conclusions
On peut remarquer différents enseignements de cette petite expérience :
- Les comptes censurés se recréent immédiatement. Le vice est poussé jusqu’à afficher le nombre de version du compte qui existe.
- Les propos et relations des acteurs sont étonnamment très accessibles. Je peux depuis mon ordinateur me constituer une véritable plateforme de veille de cela.
- Il ne faut pas tirer à l’aveugle. Des comptes de propagandistes sont suivis par des gens modérés. Le hashtag #jesuiskouachi a été tweeté par des adolescents ne sachant que trop peu ce qu’ils tweeteaient. Cela demande un travail d’enquête qui n’est pas accessible au premier quidam venu.
Le principal enseignement est qu’il faut finalement profiter des forces de son adversaire. Le Web est un endroit libre. Cette liberté permet déjà d’observer dans des conditions presque optimales les différents réseaux de relations de propagandes. Nul besoin donc de limiter celle-ci pour contrer l’obscurantisme car cela signifierait que ces derniers ont gagné.