En février déjà, je me montrais virulent envers la manière dont la presse vendait son âme au diable sous diverses formes. Si je me contentais d’une analyse sur une semaine, ceux qui me connaissent savent que je garde des petits dossiers sur chaque sujet afin de prouver une idée générale sur base de microévénements. Je suis maintenant arrivé à une collection exhaustive qui me permet de dresser, point par point, tous les éléments qui font que la presse est en train de se flinguer.
1. Le problème d’argent
Pour contrer les problèmes d’argent, la presse essaie de se diversifier et de nouer des partenariats en tout genre. Seulement, parfois ces partenariats empiètent sur l’information.
Lorsque le dimanche 18 mai 2014, un homme meurt aux 20 km de Bruxelles, la plupart de la presse titre sobrement « 20 KM de Bruxelles : un homme de 28 ans décède après un malaise ».
Pendant ce temps-là, la RTBF (La Radio Télévision Belge Francophone) réagit un peu en retard et avec un titre pour le moins surprenant :
On ne comprend pas le cadrage de l’information qui a l’air de faire passer le décès pour un pourcentage négligeable. Après tout, cela ne représente que 0,002272 % des participants : un dommage collatéral. Et pour cause, la RTBF est sponsor de l’événement. Son partenariat influence donc le traitement de l’information. Edit: A noter qu’apparemment l’intention n’était pas du tout de minimiser l’événement raison du partenariat. L’incident proviendrait plutôt d’une mauvaise gestion humaine.
Il arrive également que le titre de presse profite de la notoriété de sa marque pour le décliner. Ainsi, le quotidien La Dernière Heure, un des plus lus du pays, a décliné sa marque en un site de paris en ligne et une radio. Cela sera l’occasion de retrouver des pures publicités sur la page Facebook, en plus avec pour cible les fans des pages des autres radios :


Le compte Twitter est également utilisé pour rappeler qu’il faut absolument parier sur son équipe :

Quand des articles outrageusement sponsorisés ne viennent pas fournir un peu de fin de mois : (La Libre Belgique, pourtant un quotidien « sérieux »)

On a donc des moments où informations et publicités se mêlent, et où l’information est influencée par des partenariats commerciaux.
2. Le problème du clic
Corollaire du problème d’argent, comme les ventes de papier sont en chute libre, il faut compenser cette perte par de l’investissement publicitaire pour le site Web. Pour avoir de l’investissement publicitaire, il faut des visites ; pour avoir des visites, il faut du clic ; pour avoir du clic, il faut de la polémique, du cul ou du trash !
a) Du cul du cul du cul
Si les articles sur le cul foisonnent çà et là, des conseils sexe fournis par une sexologue (et si possible orchestré dans une saga de l’été et sans oublier de fournir des callcenters surtaxés pour avoir des conseils) à l’article insolite, on remarque de plus en plus que cela devient un fonds de commerce assumé par les journaux.

Ce screenshoot a été pris sur un article en ligne (véridique)
Cela ne manque d’ailleurs pas de nous fournir des moments de vie croustillants dans les commentaires des articles :

Une fois la série de tous les conseils sexe donnés, et le kamasutra complètement exploité, il faut dès lors rivaliser de ruses pour avoir du contenu. Heureusement, il suffit de traîner dans les tribunaux pour un terroir à exploiter :


Il reste également des études « rigoureuses » et insolites menées par des scientifiques assurément reconnus mondialement :

Merci l’AFP de nous fournir des dépêches de plus en plus pertinentes
Que feraient les quotidiens sans les stars ?

Et, encore mieux que l’article en lui-même, le plus croustillant est parfois de voir comment est articulée l’accroche de celui-ci sur les réseaux sociaux:

En Grande-Bretagne, on va même plus loin puisque l’on envoie des « journalistes » draguer des politiques et récupérer des photos compromettantes tel un broutteur de Bamako pour ensuite dénoncer un scandale monté de toute pièce par la presse. Bravo !
b) Du trash
Disclaimer : certaines images ne sont pas belles à voir. Si vous êtes sensibles, je ne saurais que vous conseiller de passer cette partie.
Cet été fut rocambolesque, à tel point que j’avais failli écrire un article nommé : « La prison de l’image : vous reprendriez bien un peu d’indignation pour le dessert ? »
Souvenez-vous, l’été avait magnifiquement commencé par l’accident d’avion en Ukraine où, au nom de l’image et de l’information, on m’a offert les corps calcinés, sans doute pour me prouver qu’ils étaient bien morts, et bien cramés.
Nous avons ensuite enchaîné sur Gaza et sa guerre sans fin où chacun des camps se livrait à une bataille de l’image où au nom de l’information, il faudrait nous montrer chaque jour un quota de cadavres d’enfants comme pour nous prouver qu’une guerre existe.
Lorsque les médias ne le font pas, les supporters des deux camps ne se gênent pas pour nous abreuver d’horreurs pour que l’on satisfasse leurs désirs d’indignation.
Si vous n’aviez pas encore votre petit vomissement quotidien après le journal de 20 h, on pouvait toujours vous fournir les images des décapitations de l’état Islamique, et ceci sans aucun recul sur l’information puisque les médias ont joué exactement le jeu des terroristes.
La presse n’a désormais plus aucun remords ou recul pour nous fournir l’horreur sur un plateau.
Lorsque la fusillade de musée juif de Bruxelles a eu lieu, la Dernière Heure, encore elle, décide de montrer le scoop et l’exclusivité :

Oui, lecteur, si ton désir était de nier la mort des 4 personnes comme celles des victimes de l’holocauste, sache que la DH te confirme qu’ils sont bel et bien morts.
D’ailleurs, voici leurs photographies baignant dans une mare de sang et ceci, uniquement quelques minutes après la tuerie. Tellement habitués à côtoyer les cadavres à l’affût du moindre scoop, certains journalistes en oublient la décence.
Que dire de cette dépêche AFP dont le trash est l’essence même de l’information :

Quant à la vidéo de Bianchi tous les quotidiens l’ont diffusé pour voir le moment où un homme a peut-être perdu la vie, et ceci pour notre voyeurisme.
c) Engagez-vous qu’ils disaient
Se comportant comme des marques, certains sites d’information n’hésitent plus à adopter des règles de community manager de marque.
L’objectif des community manager de service de presse n’est donc plus l’accès à l’information, mais de fournir des KPI d’engagement.
Du coup, comme leurs actions sont légitimées par le fait que leurs publications soient likés, commentées et partagées, ils ne se concentrent plus que là-dessus :


Notre fil rouge, à savoir La Dernière Heure, n’est d’ailleurs pas en reste :


On assiste ainsi à une pseudo démocratisation de l’information où le but est de ramener les gens par des moyens détournés. Le Point et Le Figaro ont ainsi eu la palme des sondages de bas étage :


Du coup, petit à petit, l’accroche ne devient plus l’actualité en elle-même, mais un moyen d’engagement :

La situation ultime est celle où l’engagement est dans le titre :

3. Toujours plus vite
L’information doit aussi circuler plus rapidement. On prend les premières photographies d’illustration que l’on trouve :

On remarque aussi de plus en plus que les journalistes, pour certains événements, deviennent des live-twitteurs en folie, au plus proche de l’événement et en temps réel.
Ces reporters des temps nouveaux nous mettent en 140 caractères ce que leurs yeux voient.
Le problème est que le journaliste ne doit justement pas être l’œil qui voit les événements, mais celui qui va prendre le recul nécessaire sur la situation pour nous informer de manière la plus complète possible.
Durant les manifestations anti-Israël, nous avions ainsi des récits complètement différents entre journalistes, et des situations ubuesques de chaos qui sont nourries par ceux-ci.
Ceux qui appellent cela du journalisme reviennent à dire que n’importe qui doté de deux yeux, d’un iPhone et d’au moins un doigt peut être appelé journaliste.
Conclusion
Tout cela fait perdre de la crédibilité aux journaux qui délaissent petit à petit l’éthique pour le profit. Pourtant, les initiatives qui fonctionnent sont celles qui ont basé leur travail éditorial sur la crédibilité et le fond. Si la situation continue à évoluer dans le mauvais sens, j’ai bien peur que la confiance des gens envers leurs médias ne s’effrite et que l’on se retrouve dans une situation difficile.
P.-S. Il y a beaucoup de choses provenant de la DH, vu qu’ils paraissaient les meilleurs clients, je me suis concentré sur eux. Je n’ai absolument rien contre eux puisqu’ils me permettent même d’aller voir des matchs de football !
