Elles déchaînent les passions sur les réseaux sociaux depuis la naissance des ces derniers, on les commente en temps réel en décrivant ou commentant chaque mouvement de langue, chaque mouvement de bras, ou chaque petite phrase tandis que les partis politiques préparent le terrain, parfois durant des semaines et tentent de rallier des troupes à leurs causes. Elles, ce sont les apparitions politiques télévisuelles.
Si des chercheurs ont toujours tenté de savoir dans quelle mesure elles avaient une influence sur la décision de vote, les méthodes ont différé et ont toutes une certaine subjectivité : focus group, entretien qualitatif, observations participantes dans un bar, etc.
Sur Twitter, la discussion ne semble pas être toujours représentative de la vérité tant on prête au réseau social une importance stratégique dans la formation de l’opinion, sans doute influencé par les campagnes d’Obama aux États-Unis. La question est donc : comment se déroulent les discussions politiques sur Twitter ? Sont-elles représentatives de l’opinion ? Est-ce que des discussions de fond s’y déroulent ?
I. Méthodologie
Pour tenter de répondre à ces questions, j’ai eu la chance d’obtenir par le partenaire de ce blog, Visibrain , l’entièreté des tweets mentionnant les mots suivants :
- Sarkozy
- NicolasSarkozy
- TeamSarkozy
- AvecSarkozy
- #NSJTFrance2
- #NSJTFr2
- #NSJTF2
- SarkozyLeRetour
- #SarkoShow
- #SarkoMmence
- #SarkoMence
- sarko
J’ai décidé ensuite de ne prendre que les tweets francophones entre 20 h et 22 h ce qui fait un total de 124,314 tweets par 29,257 utilisateurs.
Je commencerai par un bilan de la soirée, pour ensuite analyser les conversations afin de voir comment les messages sont décryptés, et les communautés en place.
II. Analyse
1. Compte rendu
a) Courbe de vie
À 20 h 13, l’interview commence. On remarque donc logiquement une augmentation du pic de commentaires sur Twitter. L’interview durera 44 minutes.
On remarque que le pic de fin de l’interview est le plus grand, mais qu’une fois fini, le volume de tweets descend grandement.
On remarque donc qu’il n’y a presque pas d’effet de 3e mi-temps. Une fois l’interview, les gens parlent d’autres choses sauf pour certains, très minoritaires. À noter que cela est du au fait que la plupart des tweets et retweets proviennent de comptes officiels qui live-tweet l’apparition pour disparaître dès que celle-ci est finie.
b) Analyse démographique
La Belgique reste présente en tant que commentatrice du débat. Il est dans sa culture de commenter également la vie politique française dont elle est friande.
Confirmation des études selon laquelle les adeptes de politiques sont plutôt masculins.
Pour les occupations, on voit une grande part de journalistes et de militants/politiques dans l’échantillon. Preuve que les journalistes ont un rôle d’ambassadeur pour leur média et que les politiques sont mobilisés en ce moment important.
Données très importantes : ils sont 63 % à utiliser un terminal mobile pour commenter en direct la prestation de Nicolas Sarkozy. Cela implique que les messages sont plus longs à écrire, ce qui peut pousser à vouloir retweeter des messages qui pensent comme nous. Il est donc très important de fournir des messages prêts à l’emploi.
Le profil type du commentateur politique sur Twitter est donc un homme français et politisé, qui tweet depuis un appareil mobile (tablette ou smartphone)
c) Analyse des messages
Le top 5 des tweets les plus retweetés est le suivant :
On assiste donc à une bataille Sarkozy vs Le Gorafi. Mon hypothèse est que comme les tweets prêts à l’emploi n’étaient pas pris en charge par le PS, les militants anti-Sarkozy ont pris le Gorafi comme contre-choc. D’ailleurs, alors que le Top 15 des tweets est presque uniquement composé des tweets du Gorafi et de Nicolas Sarkozy, le Top par impression nous donne en 5e et 6e place d’autres tweets :
Tandis que la 9e est celle-ci :
Cela montre que pas mal des retweets provenaient de petits comptes dans une logique d’influence.
Ensuite, pour le mur de mot, j’ai enlevé tous les retweets pour ne voir que les messages « authentiques » :
On y remarque que les 4 choses qui ont le plus été commentées ont été :
– La litanie de mensonges sur le « Moi, président »
– Le fait que Sarkozy n’a pas été influencé (cerveau)
– Les neurones d’intelligences
– L’argument politique autour de Schengen
2. Propagation de l’information et influence
Comment l’information se propage-t-elle durant une apparition télévisuelle politique ? Pour ce faire, j’ai analysé l’ensemble des tweets. Pour la première fois, j’ai réalisé une cartographie de plus de 30 000 acteurs, ce qui a bien failli faire exploser mon ordinateur. (Il faudra que je pense un jour à faire des articles sponsorisés pour m’acheter un ordinateur digne de ce nom)
J’ai découpé l’ensemble en 4 moments clefs : 20 h 15, 20 h 30, 21 h et 22 h
a) 20 h 15
Les discussions commencent à propos de Sarkozy :
Il s’agit d’un community cluster. Chaque groupe a ses propres sources, et ses propres influenceurs. Ce Schéma ne changera pas beaucoup au cours du temps. Les isolés sont ceux qui commentent l’actualité sans mentionner la moindre personne. Ils sont donc « commentateurs ».
b) 20 h 30
L’interview est déjà bien engagée :
Les communautés prennent de l’ampleur, mais ne changent pas. Cela montre que les gens commentent l’émission avec les mêmes personnes, ou en citant les mêmes sources. Cela a son importance, car cela montre que nous restons essentiellement au sein de notre communauté, sans en changer.
c) 21 h
L’interview est désormais finie :
Chaque communauté grandit et certaines évoluent. On commence à dialoguer autour de la prestation de Nicolas Sarkozy. Certaines communautés, très petites au départ, discutent entre elles.
d) 22 h
L’interview et les commentaires d’après interview sont finis :
Version finale qui nous indique que la majorité des gens qui n’ont fait que commenter sans dialoguer est restée presque pareille.Ces gens n’interagissent donc jamais avec quiconque. À l’inverse, certains groupes citent Nicolas Sarkozy et le Gorafi.
Plutôt que de vous dire quelles couleurs représentent quelle communauté, je trouve préférable de vous montrer les communautés en place via Gephi :
Pour des raisons de santé de mon ordinateur, j’ai enlevé les gens avec moins de 19 degrés, c’est-a-dire moins de 19 connexions. Toutefois l’algorithme de modularité (qui définit les couleurs de l’appartenance à la communauté) est calculé sur base de l’ensemble des acteurs. J’ai également enlevé Sarkozy pour obtenir une cartographie plus visible.
Pour rappel, la couleur termine l’appartenance à une communauté, la grandeur du point, son importance dans la conversation et les acteurs les plus cités par l’ensemble des communautés se trouvent au centre.
- Sarkozy’s fan-club qui cite François Hollande et Valls et des comptes spécial Sarkozy.
- La droite dure, avec Marine Le Pen, Phillippot, etc.
- La gauche qui cite Le Gorafi, humour de droite et nain_portekoi, mais aussi Jupé et Morano.
Ce qui m’impressionne à la vue de cette cartographie, c’est que contrairement à la majorité des cartographies que je vous confie sous Gephi, il ne s’agit pas d’une cartographie sur base de la relation followers/Following, mais sur base des discussions sur Twitter. Or, à part pour les « têtes de Turc » de chaque camp (Morano, Hollande, Jupé), on obtient des communautés très homogènes, telles qu’on aurait pu le voir via des relations follower/following. Signe que finalement, on ne communique qu’avec les gens qui ont les mêmes opinions politiques que nous.
Cela permet également de faire l’inventaire des influenceurs par type de communautés afin de cibler ces personnes spécifiquement, par exemple en les invitant à un événement. Si je garde précieusement la répartition par communautés, voici le top 20 des plus grandes mentions autour de Nicolas Sarkozy:
- nicolassarkozy
- fhollande
- le_gorafi
- manuelvalls
- humourdedroite
- laurentdelahous
- itele
- mouloudachour
- booba
- guybirenbaum
- france2tv
- francoisfillon
- leconquiosetout
- thomaswieder
- sarkozypourlump
- jwaintraub
- lafranceapeur
- valeurs
- macescaron
- lamortlavraie
Si ce Top 20 n’apporte pas grand chose, la structure des communautés entre gauche et droite est extrêmement intéressante et peut permettre davantage d’applications comme des stratégies RP 2.0 ou une politique de veille stratégique.
III. Conclusions
Il n’y a pas de débat sur les réseaux sociaux
Souvenez-vous, sur le cas de #Jesuisparisienne, on pouvait remarquer un changement dans la typologie de conversation sur Twitter. Quant au GIF de la propagation de la crise, il est formel : l’évolution des commentateurs est constante. Jamais ceux-ci ne sont engagés dans un dialogue : le schéma de community cluster de la typologie des conversations n’évolue jamais.
Les communautés restent pareil. Il n’y a pas d’influence mutuelle. On a donc en réalité des communautés qui discutent entre eux, mais qui ne dialoguent pas. Chacun a sa propre opinion et la reproduit sur les réseaux sociaux avec des gens semblables à eux-mêmes. Même les commentateurs qui ne citent personne ne dialoguent pas.
Il n’y a pas de 3e mi-temps sur les réseaux sociaux
Une fois que la « prestation » est finie, il n’y a plus aucun débat. Les articles de décryptage sont présents, mais il n’y a pas de débat en tant que tel. Les gens passent directement à autre chose.
Il y a peu de gens non politisés sur les réseaux sociaux
On ne trouve pas de communautés “neutres”. L’analyse des profils Twitter par Visibrain confirme ce constat. La logique d’astrosurfing est donc inutile. On crée du bruit pour rien. On n’influence rien. Le but serait uniquement d’assurer la cohésion du groupe pour partager un moment collectif.
Limites de l’étude
Si les schémas de conversations sont clairs, cela ne constitue qu’une étude par conversation. Je n’analyse à aucun moment les audiences. Il se peut que des profils ne discutent qu’avec des gens UMP, mais que les messages soient visibles et soient influents auprès de personnes, dites “neutres”.
Également, le type d’intervention (interview tv) est générateur de biais. En effet, il n’y a pas vraiment de version différente comme on pourrait le voir lors de l’émission “des paroles et des actes.” Il n’y a que Sarkozy. Il faudrait confirmer ces constatations lors d’autres interventions télévisées. Pour ce faire, je fais confiance à Visibrain, un outil qui m’étonne de jour en jour, tant les possibilités deviennent énormes.
La conclusion est que la logique d’influence n’est pas aussi évidente qu’il n’y paraît. Des chantiers supplémentaires devront confirmer les constatations faites. En attendant, comme pour le bad buzz, il y a comme l’impression que l’importance de Twitter est surestimée.