S’il est un mot que tout le monde prononce quand on parle d’e-réputation, c’est bien le mot « trace ». Nous laisserions des traces partout à travers le Web comme un chien dans un parc. Seulement si ces traces ne semblent pas toujours poser problème sur le moment, il se peut que cela évolue au cours du temps. C’est dans cette problématique que s’inscrit la théorie du marqueur temporel avec ses multiples déclinaisons.
Introduction
Les cas se succèdent de plus en plus où l’on fait remonter à la surface des anciennes traces. On peut faire une sorte des typologies :
1. La trace qui ressort quand l’intensité de visibilité change
Ainsi, en juillet le joueur du PSG, Serge Aurier, avait vu un de ses tweets remonter à la surface :
Le PSG avait alors supprimé son compte et le principal intéressé avait du s’expliquer.
Le phénomène avait aussi frappé la supportrice des diables rouges, Axelle Despiegelaere. La supportrice belge avait connu une célébrité soudaine durant le mondial de football. Des internautes avaient réussi à se procurer une photographie d’elle auprès d’un animal abattu vraisemblablement par ses soins.
2. La trace qui prend une toute autre signification à la lumière d’un autre événement
Par exemple ce tweet d’un passager de l’avion de la Malaysia qui allait se crasher quelque temps plus tard :
Le commentaire, particulièrement anodin avant le crash, prend tout son sens en fonction du framing de la situation présente.
3. La trace qui va être déterrée
Particulièrement le cas pour les politiques, où les internautes vont aller fouiller dans les « archives » afin de trouver la petite phrase qui prend soit un nouveau sens, soit qui contredit une phrase actuelle. Lorsqu’il a fallu rembourser la dette de l’UMP, on a vu ressortir de vieux tweets comme celui-ci :
Aux moments des affaires le concernant, on a également vu ceci :
Dans un autre contexte, lorsqu’on a appris le nom des avocats de Mehdi Nemmouche, le tueur du musée juif de Bruxelles, des internautes ont retrouvé des connexions avec Dieudonné et notamment une photographie où on les voit faire une « quenelle ».
Les traces numériques laissées sont donc un enjeu stratégique, même si ce constat n’est pas nouveau.
Analyse
Comme pour un bad buzz, il faut inverser le processus : qu’est-ce que cela peut fournir comme opportunité ? Partons des symptômes et des constats :
- Lorsqu’une personne ou une entreprise est prise à partie par beaucoup de gens, il lui devient difficile de communiquer. De plus, toute action postérieure à la manifestation massive devient « intéressée » et moins crédible dans un climat où ce qui importe est d’être vraisemblable et non d’être dans la vérité.
- Une entreprise ou personne sera jugée de plus en plus sur les traces qu’elles laissent qui leur reviendront en plein dans la figure plus tard.
Dès lors, il convient de mettre en place des processus afin de contrer ses deux constats. L’enjeu est donc de prévoir le futur pour que le passé soit en accord avec le présent de demain. La trace laissée devient donc un marqueur temporel sur lequel on pourra revenir dans le futur. Je définis le marqueur temporel comme « un acte de traçabilité exprimé dans le présent, mais pensé pour un futur proche ou lointain. »
1. Le marqueur temporel comme première pierre du futur
L ’enjeu n’est alors plus de réagir dans l’instantanéité dans un monde où tout bouge trop vite ; l’enjeu est de se positionner dans le présent pour avoir une légitimité et une pertinence dans le futur.
- Y aura-t-il plus de smartphones qu’avant ?
- Y aura-t-il plus de gens connectés qu’avant ?
- Est-ce qu’à l’avenir tout le monde n’aura pas un appareil photo sur lui ?
En terme de communication, c’est aussi ne pas communiquer sur des choses dont on sait que cela nous sera reproché plus tard.
En politique, un jeune politicien qui se battrait ardemment contre le mariage pour tous est un futur condamné. Il portera ce poids toute sa carrière dans un monde où l’on peut presque être certain que la société considérera les couples homosexuels comme une chose normale.
Il faut donc se couper de toute considération court-termiste pour viser sur le long terme.
De même, lorsque Honey Maid fait une vidéo avec des parents homosexuels, elle se positionne comme une marque humaine et prône les valeurs d’amour et d’égalité. Elle pourra dès lors profiter de son marqueur temporel pendant de longues années comme preuve de bonne foi.
2. Le marqueur temporel comme arme de communication sensible
Autre atout, le marqueur temporel peut être utilisé comme arme de communication sensible afin de communiquer en toute transparence sur certains domaines sensibles. En cas de crise, il peut être sorti comme argument de bonne foi afin de paraître plus vraisemblable.
Lorsque la crise des quais trop étroits de la SNCF est apparue, une trace parlant de la problématique laissée en janvier sur son site, a rendu son discours beaucoup plus crédible, et ce d’autant plus que ce n’était même pas elle qui a communiqué sur ce point.
Lorsqu’une crise survient, le fait de pouvoir reposer sur des documents déjà existants ont comme avantage de gérer très vite le flux de plainte tout en paraissant vraisemblable. Le marqueur temporel s’inscrit donc comme un outil de choix dans la phase en amont de la crise.
3. Le marqueur temporel comme facteur de continuité
Ici, ce n’est pas le marqueur temporel en tant que tel qui est utilisé, mais sa réflexion stratégique.
Toute action d’une entreprise ou d’un politique doit pouvoir servir des objectifs à court terme tout en assurant les objectifs à long terme. Ainsi, il faut être certain que celle-ci s’inscrit dans la durée.
Le meilleur exemple pour illustrer cet échec est le nom de départ de l’UMP : union pour la majorité présidentielle. Il est à peu près certain que ce nom allait devenir obsolète dans le temps.
On a, certes, trouvé une pirouette en choisissant par après le nom d’union pour un mouvement populaire, mais ce nom sonne creux et semble plus servir les initiales précédentes que l’état d’esprit et l’idéologie du parti.
Conclusion
Dans un monde médiatique où les citoyens deviennent de meilleurs journalistes que ces derniers, où le fact-checking devient une mode et où les traces numériques commencent à être nombreuses, le marqueur temporel brise la logique de vision à court terme pour devenir un acteur présent du futur.
Nouveaux phénomènes de sociétés, nouvelles valeurs, crises potentielles, il convient aux entreprises et aux politiques de prendre le temps de se poser afin de poser les premières pierres d’un futur où ils pourront capitaliser sur les actes du passé.
Pensez aux influenceurs actuels qui ne font que brasser du vent quand ils ne traduisent pas des textes qui n’ont pas été écrit par eux, uniquement car ils ont su occuper le terrain au moment où il était stratégique de le faire. Ils capitalisent désormais sur un passé où ils ont su prendre les bonnes décisions.
Je suis en tout cas certain d’une chose : à l’heure où tout le monde ne pense qu’à l’instant présent, le fait de construire son présent en pensant au futur deviendra un mouvement stratégique très rentable pour ceux qui se prêteront à l’exercice.