L’affaire du reach de Facebook, et le « is Twitter dead ? », ne cesse de fournir un climat austère dans la sphère digitale de la communauté des community manager. Les articles se succèdent les uns après les autres, tous pareil en criant à l’apocalypse pour ensuite fournir en fin d’article la solution du gourou en question. (Si ce n’est pas un produit miracle qu’il cherche à vendre)
Tout cela manque de cadrage et je ne puis qu’être étonné que tous les articles abordent le sujet selon un même angle. C’est pourquoi je vais essayer de développer une vue moins moribonde et surtout essayer de proposer un cadrage différent de la situation.
I. Un problème de cadrage
1. Twitter
Les problèmes seraient :
a) Un engagement en baisse
Les chiffres seraient ainsi implacables :

Seulement, comme le souligne l’étude de la Deutsche Bank analysée par Veille Digitale, cela n’a que pour unique raison un changement dans le comptage des chiffres, à savoir que l’on comptait avant tout clic sur un utilisateur, ce qui n’est plus le cas. Preuve, une fois de plus, qu’il faut toujours savoir ce que l’on étudie et ne pas se contenter de regarder la moindre courbe en pensant y voir une annonciation funèbre.
b) Un cours de bourse en baisse
Patatras, la culture du titre a encore fait mouche sur les réseaux sociaux. On ne comptait plus les tweets qui ont pour titre « L’action Twitter s’effondre de plus de 24 % à Wall Street ». Bien entendu, c’est le genre de tweet où rare sont les personnes lisent en réalité l’article. Quand on regarde le cours de bourse sur 6 mois (comme n’importe quel investisseur le ferait) :

Le cours est le même qu’au moment de l’introduction. Il y a juste eu des investisseurs qui ont essayé de s’en mettre plein les poches, et il s’agissait clairement d’une « bulle ». Mais en dehors de cela, depuis quand ce genre d’information nous intéresse-t-elle ? En quoi la bourse de Twitter a-t-elle une incidence sur les stratégies à émettre ? Tant que l’outil existe, peu me chaut qu’elle augmente son cours ou pas.
C) Autres
44 % des utilisateurs de Twitter n’ont jamais twitté. Cela serait-il forcément alarmiste ? J’ai passé plus de 2 ans sur Twitter sans presque jamais twitter, j’étais pourtant un grand consommateur d’information. Faut-il obligatoirement être actif pour être consommateur ?
Enfin, Twitter peinerait à recruter de nouveaux publics. Seule l’apparition de la social TV aurait un peu élargi ce spectre alors que le grand rêve du vendeur de Yaourt serait de pouvoir le faire également sur Twitter. Les marques ont pourtant investi Twitter lorsque celui-ci disposait d’un public largement inférieur en audience et encore plus ciblé CSP+. Pourtant, ce sont les mêmes marques qui investissent Pinterest, largement féminin, largement CSP+. Pourquoi Twitter devrait-il élargir son public ? Pour son propre intérêt, oui. Pour le nôtre ? Non. La force de Twitter est de pouvoir cibler la bonne communauté, au bon moment, et qui sera intéressé par le contenu qu’on propose à partir du moment ou la ligne éditoriale est claire.
2. Facebook
a) Le reach

Voilà l’étude qui aura eu le don de pouvoir alimenter les articles social media depuis plus de 2 mois. Comme s’il y avait eu un avant étude et un après étude.
b) Les « jeunes »
Les jeunes déserteraient Facebook au profit d’Instagram, Snapchat et autres applications « mobile » et « Photo ». Question : si vous êtes en agence, combien de stratégie avez-vous rendue comprenant une cible sur les 15-18 ans ? Si vous êtes chez un annonceur, est-ce que ces jeunes font partie de votre cible ?
Alors que la population ne cesse de vieillir, que les jeunes sont de plus en plus précarisés, voilà qu’ils seraient à ce point important qu’on en aurait peur pour Facebook et pour son reach.
Également, est-ce qu’une marque a vraiment une place sur ces nouveaux réseaux sociaux ? J’en doute.
Est-ce qu’il s’agit d’une cible intéressante ? J’en doute aussi fortement, ou alors je n’avais pas à l’époque le même argent de poche qu’ils en auraient maintenant.
Dès lors, pour qui cette nouvelle est gênante ? Pour Facebook. Pas pour un annonceur, pas pour une agence, mais pour le réseau social en question.
3. Conclusions
Qu’ont en commun toutes ces problématiques ? Soit ce sont des mauvaises nouvelles pour des investisseurs (désertification d’un public, doute sur son financement, etc.) soit ce sont des KPI. On a peur pour des indicateurs, parce que l’on a toujours vendu des courbes qui montent, parce qu’on prend le problème par le mauvais bout. On n’a jamais identifié un problème de résultats, on n’identifie uniquement qu’un problème d’indicateurs.
II. Un recadrage
1. Le marketing
On prend donc tout cela par le mauvais bout, le spectre des KPI, parce qu’on ne comprend pas à quoi servent ces réseaux sociaux. Les réseaux sociaux à l’heure actuelle me font penser au monde de la réputation en sciences. Le concept a différentes approches (marketing pour qui la réputation est dans le produit ou l’image, en économie où on parle d’actif immatériel qui générerait de la performance économique, en gestion où elle serait le guide pour les membres de l’entreprise, etc.) mais, les pratiques autour des réseaux sociaux ont rapidement été captées par le milieu du marketing qui en a vu un moyen de diffuser un message auprès d’un public, et ceci pour un prix moindre. Je me souviendrai d’ailleurs toujours de la défense du community manager de Fred & Farid qui s’était défendu de ses mauvaises pratiques en disant qu’ils avaient généré du reach qui valait une somme de X euros.
En marketing, on calcule en GRP, en audience, en impressions la répétition d’un message au sein d’un public préétabli.
En marketing, on paie pour diffuser un message, qu’on espère répéter le plus possible afin de générer des ventes, de l’awareness, ou de l’attachement à une marque.
Et comme les réseaux sociaux ont été captés par ce milieu, on en a défini des indicateurs de succès marketing.
Premièrement le nombre de fans a été utilisé, mais rapidement les dérives ont surgi.
On a ensuite dès lors parlé d’engagement, parce que c’est le Graal : non seulement le public a été exposé à un message, mais en plus il a produit un stimulus à celui-ci ce qui permet également d’élargir l’audience du message. Quel rêve pour tout marketer ! Et comme l’engagement avait de moins en moins de sens face aux dérives LOLcat, on y a ajouté la notion de reach.
Bref, cette dynamique, je l’avais résumée comme cela :

L’entreprise fournit à un troupeau de récepteurs un message. Qu’importe la relation entre ce public et l’entreprise pourvu que le paquetage arrive là où il faut et en ésperant que le troupeau soit le plus grand possible. Pour calculer, le troupeau, on l’évalue via le KPI reach, qui est augmenté si l’engagement est bon. La boucle est bouclée. C’est la plus vieille façon de faire de la publicité.
Moi je pensais que « la communication à papa » était finie. Qu’aujourd’hui, on parlait de « communauté » ou au pire de « fans » et non pas d’audience ou de public. Je pensais qu’aujourd’hui, on était dans la relation, et dans un jeux d’influence :

On ne calculait donc pas le troupeau pour évaluer l’effet positif de son action, mais on demandait au public ce qu’il pensait de son action.
2. Les relations publics
Les relations publics se sont fait totalement dépasser par le marketing. Dépassés parce qu’ils ne comprenaient pas le phénomène, ils ne comprenaient pas leur place. Ils sont à peine maintenant en train de créer des départements digitaux et n’ont pas encore le guide des bonnes pratiques. Ils sont en train de faire la même chose que les agences marketing, sans différenciation. On compte encore en reach et en impression.
Les relations publics faisaient pourtant de la relation avec les différents publics.

Et tout d’un coup, alors qu’on leur offre un moyen de toucher rapidement et simplement le public pour créer de la relation, et ceci sans intermédiaire (journalistes, etc.) : ils ratent le coche.
Cerise sur le gâteau, on leur permet d’écouter. Écouter ce que les gens ont à vous dire, écouter ce que naïvement ils ne pensent pas que vous lirez, écouter pour recalibrer la vision, l’image, et écouter pour faire remonter l’information plus haut : faire de la relation.
- Faire remonter une information qui va générer de l’argent pour l’entreprise, car elle fournira le service ou le produit adapté à ce que le public pense, cela n’a pas de prix.
- Rétablir une vérité après un mensonge, une rumeur, préserve la réputation d’une entreprise, ce qui lui permet d’augmenter sa performance, cela n’a pas de prix.
- Générer de la relation, ça n’est pas quantifiable, c’est une caisse de résonance et cela n’a pas de prix. Quelqu’un qui récupère une information sur Twitter peut la répercuter sur Facebook, mais aussi dans la vie réelle. Il faut cesser de croire que si l’information n’a pas été liké ou partagée, elle ne produira aucun effet.
Le fait est que ce qui est important n’est pas la présence quotidienne d’une marque sur Facebook ou Twitter, mais bien le simple fait que si jamais une personne voulait entrer en contact avec vous, elle saurait où le faire. Elle n’ira pas dire du mal sur un forum obscure comme avant, elle n’ira pas dire son mal être de votre produit en premier lieu à son ami, car elle saura où aller pour entrer facilement en contact avec vous, car vous avez un endroit où la relation peut être assurée.
III. Conclusions
On ne vit pas une crise des réseaux sociaux, on vit une crise des KPI et des usages des marques. Pour faire de la publicité, il faut payer. Est-ce que le nombre d’impressions est vraiment indispensable ? Non. Possible que l’utilisation marketing des réseaux sociaux s’affaiblisse. Au final, si les gens voulaient vraiment être tenus au courant d’une marque, ils mettraient une notification à chaque post pour être certains de ne rien rater. Comment faisait-on avant sur les forums ? On avait un bookmark et on allait regarder chaque jour.
Ce n’est pas pour autant qu’il s’agit de la fin du community management. Il faut cesser les articles alarmistes, ou les articles qui parlent de la nécessité ou non d’un community manager quand on voit combien cela coûte. Est-ce que la vieille Gretta qui s’occupe de la réception vous rapporte-t-elle de l’argent ? Est-ce qu’on calcule son travail en fonction de KPI aussi idiot que le nombre de personnes à qui elle a parlé pendant la journée ? Non, parce que c’est la relation qu’elle crée qui compte, pas le reste.
Si des marques désertifiaient les réseaux sociaux, ils perdraient un avantage concurrentiel, et bien d’autres choses. Les réseaux sociaux ne sont pas un moyen détourné de faire de la publicité, ils ont leur propre usage, leur propre utilité. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de KPI pour mesurer celle-ci qu’elle n’est pas présente. Pensons au concept de réputation pour lequel tous les scientifiques qui s’y sont penchés ont été d’accord pour dire qu’elle produisait de la performance pour une entreprise, qu’elle protégeait en cas de crise et qu’elle était un véritable avantage. Pourtant, il s’agit d’un actif immatériel qui n’a aucune trace dans les relevés comptables d’une société. Le social media, c’est la même chose.
C’est peut-être enfin l’opportunité pour une vision PR des choses en s’emparant de l’outil de définir ses propres usages, et ses propres guidelines et en laissant tomber la vision où l’on compte le nombre de moutons qui ont vu un message. Cependant, le monde PR ne doit pas rater le virage, car le marketing évolue déjà en remarquant ses errements :

Il n’y a dans cette définition du marketing social, que la définition source des relations publics, à savoir l’écoute, le dialogue et le partage.
Mais pour cela, il sera nécessaire pour les agences et consultants de sensibiliser les clients pour montrer l’utilité de la démarche.
Dans les entreprises, par contre, cela passera par la vision du community manager qui doit évoluer de la logique émétteur-récepteur vers une logique relationnelle.
A l’écriture de ces lignes, je n’arrive pourtant pas à croire que je les écris 3 ans après avoir lu cette même pensée qui était à l’époque majoritaire dans les articles produits, lorsqu’on parlait de RONI, de relations, de communautés, d’échanges et de dialogues.