Si vous me lisez depuis longtemps, vous savez que j’apprécie particulièrement les cas des ONG qui se servent des réseaux sociaux pour mener leur combat pour une cause. C’est ainsi que j’avais écrit : pourquoi Greenpeace n’a rien compris à son succès, et pourquoi bloom a réussi son coup contre Intermarché, qui m’avait tellement passionné que j’en avais fait une série qui devrait encore accoucher d’un épisode très bientôt. Je trouve toujours ces cas passionnants et ils sont le départ de ma vocation pour l’étude des bad buzz.
C’est la raison pour laquelle je reprends à nouveau ma plume pour vous raconter le bad buzz vécu par Pekin Express suite à une action de l’ONG BarakaCity
I. Introduction
Pékin Express est en ce moment en proie à une campagne de spam menée par une ONG du nom de BarakaCity.
Cette ONG, créée en 2010 et basée à Évry, se décrit comme une association humanitaire islamique. Sa première mission sur le terrain a eu lieu en 2012 au Togo. Sa première campagne « Ne tue pas mon frère » montrait déjà le modus operandi qui prend place en ce moment :
Elle enchaîne ensuite avec la campagne « L’eau c’est la vie » pour le Togo qui lui permettra de réunir 1 000 000 €
http://www.youtube.com/watch?v=YSvtSLAuubQ
Ensuite active en Palestine et au Bangladesh, elle est reconnue en 2013 comme ONG humanitaire internationale par l’autorité togolaise. Elle œuvre aujourd’hui dans le conflit syrien et en Centrafrique en plus des activités décrites ci-dessus.
Si je m’intéresse aujourd’hui à elle, c’est parce qu’elle mène actuellement campagne contre Pékin Express qui se tiendra cette année en Birmanie. Le lieu pose problème à l’association, car cela revient à faire de la publicité pour un pays qui massacre les Rohingyas, un groupe ethnique musulman de Birmanie, persécuté depuis de nombreuses années et considéré ni comme Birmans ni comme Bengalis, les laissant dans un exode permanent.
Ainsi en 2012, des affrontements entre les Rohingya et la majorité bouddhiste, sur fond de racisme islamamophobe a fait 200 morts, et ont condamné à l’exil plus de 75 000 personnes, car leurs maisons ont été incendiées.
Ces dernières semaines, les émeutes qui ont éclaté dans l’Ouest birman, entre ces musulmans minoritaires et la majorité bouddhiste, ont fait officiellement plus de 80 morts et 54 blessés. Le programme alimentaire mondial de l’ONU a distribué une aide d’urgence à 60 000 personnes. Les autorités birmanes ont demandé aux ONG sur place (comme MSF) de cesser toute activité jusqu’à nouvel ordre alors qu’elle autorise la venue des équipes de M6.
II. Analyse
C’est dans ce contexte que fort de sa page Facebook disposant de 172 000 fans et de ses 8900 followers, BarakaCity a lancé un appel contre l’émission de M6 :
Pour lutter contre la barrière de reach, de multiples mises à jour de statuts, tous appelants au don et à la participation à la manifestation contre Pékin express, sont régulièrement postées. Du coup, les effets se font vite sentir sur Twitter et sur Facebook :
C’est là que la nécessité d’aller au-delà du bruit pour les entreprises est essentielle. Il faut ne plus se dire “oh mon dieu un bad buzz”, mais identifier d’où le bruit provient, et s’il est étendu à plusieurs communautés ou non.
1. L’analyse cartographique
J’ai donc lancé hier soir une analyse sur les conversations autour du hashtag #contrepekinexpress2014 afin de voir plus clair dans la relation entre les gens qui conversaient autour de ce hashtag.
L’analyse porte sur 2322 tweets et les relations entre les tweetos de ces 2322 tweets. (Followers/Followed /Mention et Retweet)
La première cartographie sert à classer le bad buzz dans la typologie des conversations :
On remarque que la crise est une foule étroite :
Les conversations sont, en effet, créées par Al Kanz et Baraka City. L’enjeu pour une ONG est de générer des isolés qui viennent s’ajouter à leur réseau de base. Or, lorsqu’on réalise une cartographie grossière (je n’ai fait aucun traitement) des relations entre les intervenants, on remarque que tous ceux qui créent la polémique sont regroupés autour des deux communautés d’Al Kanz et Baraka City.
Cela donne donc des indications claires et simples qu’il s’agit d’une cyber war lancée par l’ONG qui a cependant le mérite d’avoir su mobiliser ses communautés.
La crise est donc confinée à une seule communauté.
2. L’analyse statistique
a) Analyse des intervenants :
Parmi les 2322 tweets, ils ne sont que 890 à tweeter ou à être cité. (Pour cela qu’on voit Itélé, BFMtv et M6)
Cela montre que l’on est en plein spam.
Confirmation est prise lorsqu’on analyse les différents messages où l’on tweet uniquement pour générer du chiffre sur le hashtag.
Ce spam se retrouve également sur la page Facebook de Pékin express :
La situation créera même des commentaires loufoques tels que :
En majorité, le message spammé est le suivant :
Problème lorsqu’on agit ainsi, on perd la notion d’humanité et on passe pour des activistes à la solde d’une ONG. Cette définition d’activiste a d’ailleurs énervé de nombreux sympathisants de l’ONG, mais force est de constater que pour un spectateur neutre, c’est l’impression que cela laisse. (Le site en question, Infojeux.fr les a également traités d’islamistes, ce qui est tout de même très tendancieux)
Le but pour une ONG est également de voir des personnes isolées soutenir sa cause. Seulement avec ces spams, cela fait que soit on passe à côté de messages instructifs et bien construits comme celui-ci :
Soit on se met à chercher les rares commentaires différenciant et l’on trouve cela :
(Si vous vous posez la question « A-t-il lu les 1800 commentaires laissés sur la page Facebook de Pékin Express ? » La réponse est oui.)
Je tiens néanmoins à faire la remarque qu’il ne s’agit pas du tout du discours que l’ONG tient dans sa communication. Reste qu’en tant que spectateur, cela coupe toute envie d’adhésion.
b) Analyse des tweets :
Les liens les plus partagés sont les suivants :
A savoir des photographies, les articles d’Al-Kanz et l’appel au don de Barakacity.
Les autres hashtags les plus utilisés ont été : #Rohingya, #Birmanie #Burma #Boyccott (77) et #M6 (56)
Les mots les plus utilisés ont été M6, RT (oh le biais), barakacity et Birmanie ce qui confirme la trace de l’ONG dans le discours autour de la polémique.
Les comptes les plus mentionnés ont été : M6 (507 mentions), Barakacity (454 mentions), Alkanz (288), MyriamFartas (115 /Graphiste Free-lance), badubai (64), shannonnaila (42/Compte orienté anti sioniste) twittine69 (35 /économiste de formation, déçue par la gauche), algerina_jolie (33), pekinexpress_M6 (32) et enfin steph_rotenberg (30)
Stephane Rotenberg était déjà le signe d’une contagion aux animateurs de M6, ce qui a continué par après : (hors analyse)
Les comptes les plus au centre des discussions et des relations ont été :
- barakacity : l’ONG.
- alkanz : Média musulman.
- M6 : la chaîne de TV a été prise à partie.
- ajib_fr: actualité de la communauté musulmane en France.
- lesxviezvous : ceci est un compte biais qui transmet des informations insolites, suivi par beaucoup de gens autour des discussions.
- myriamfartas : graphiste qui a beaucoup tweeté contre M6
- bfmtv : elle a été mentionnée et est suivi par beaucoup de gens.
- ennasrinabil: spécialiste du Qatar
- algerina_jolie : aucune biographie probante si ce n’est un verset du coran.
- ummahcharity : une ONG de solidarité internationale dans le même style que Barakacity.
- badubai : aucune biographie probante si ce n’est la mention du Qatar.
Parmi les intervenants, ils sont 224 à suivre ajib_fr, 204 à suivre Al Kanz, 158 à suivre barakacity, 150 à suivre ummahcharity, 137 à suivre ennasrinabil.
Les intervenants ne sont donc pas uniquement des « activistes » qui suivent Barakacity même s’ils sont 557 à suivre ou à mentionner l’ONG. Elle a réussi à aller au-delà de ses partisans les plus forts grâce à Al-Kanz et ajib_fr. Malheureusement, elle est aujourd’hui bloquée, car elle ne dispose pas de liens faibles lui permettant de propager le bad buzz au-delà de la communauté musulmane.
III. Conclusions
Aujourd’hui, M6 reste sans réponse. C’est une mauvaise stratégie dans la mesure où elle envoie presque le signal de crier encore plus fort et de multiplier les réponses. On peut se poser la question des arguments qu’elle communique en ce moment lorsqu’on aperçoit ceci :
De plus, elle communique à la manière d’un autiste, puisqu’elle ne répond pas, mais continue néanmoins à updater sa page :
De son côté, BarakaCity se retrouve un peu bloquée, dans le sens où elle a atteint son cap maximal, car elle n’arrive pas à faire embraser la situation et faire que la problématique soit portée par une autre communauté que la sienne. Elle se sent ainsi obligée à multiplier les fronts :
Elle a d’ailleurs engagé beaucoup trop de chantiers, beaucoup trop d’espace. Nous avons analysé Twitter et Facebook, mais ils sont également présents :
- Sur une page anti Pékin Express en Birmanie : https://www.facebook.com/ContrePekinExpressBirmanie (5131 j’aime)
- Sur une page de soutien aux musulmans de Birmanie : https://www.facebook.com/Soutienmuslimsdumyanmar?fref=ts (694 j’aime)
- Sur une pétition Avaaz : https://secure.avaaz.org/fr/petition/La_direction_de_M6_Lannulation_de_la_diffusion_de_Pekin_express_en_Birmanie/?cKJPqhb (5472 signatures)
Elle multiplie également les articles dans la communauté musulmane sur Al Kanz ou sur saphirnews, mais elle peine à quitter le champ médiatique musulman puisque seul un article sur infojeuxtv.fr traite de la situation.
J’ai donc la conviction que Barakacity ne va pas réussir son coup contre M6 à la différence de Bloom et ce pour les raisons suivantes :
- Elle n’a pas proposé d’artefact de communication comme la BD de Bagieu pour rassembler les gens autour de la cause.
- Elle ne dispose pas assez de liens faibles lui permettant de faire la propagation à d’autres communautés. Il aurait fallu sensibiliser les autres médias non musulmans à la situation
- Elle ne dispose pas de matériel de communication, se contentant de fournir de multiples articles différents, la situation apparaît peu claire pour le petit citoyen qui voudrait s’informer sur la situation. Aucune vidéo qui expliquerait la situation de A à Z en montrant par exemple Pékin Express puis en sautant sur la situation en Birmanie. Rien de tout cela, il est donc difficile pour ses militants de convaincre son prochain.
- Elle ne réussit pas à produire un bruit différenciant, car elle spam beaucoup de fois les mêmes messages. Par cela, elle déshumanise son action. Au premier coup d’œil, on se dit que ce sont des robots ou une application qui a fait passer les différents messages standardisés.
- En communiquant beaucoup trop sur sa page Facebook et Twitter, elle rend impossible au simple quidam de comprendre la situation qui se passe.
Tous ces éléments font que la situation risque de ne pas déboucher sur une issue positive quant à l’arrêt de Pékin express lorsqu’on sait tout l’argent qui est en jeux. L’ONG pourrait toutefois profiter de la situation pour que M6 communique sur le massacre qui est en train de se passer ou de l’enthousiasme ambiant pour récupérer des dons qui pourraient lui permettre de lutter autrement.
Seul espoir pour l’ONG : que la situation soit reprise par des médias généralistes et que la situation crée de l’émotion au sein de l’opinion publique.
Ce cas nous montre en tout cas la nécessité d’aller au-delà du bruit du bad buzz et également qu’une cyberwar ne s’improvise pas pour les ONG : cela nécessite du temps, une stratégie, des matériels de communication, des relais dans différentes communautés et non pas uniquement des fans pour faire du bruit. Et ce, même si la cause pour laquelle on se bat est juste.
Je continuerai en tout cas à analyser le cas et à vous communiquer d’autres constatations si la situation évoluait dans les prochaines heures !