Cet article est la suite de l’article présent ici.
Je vous avais laissé le 11 mars dans une analyse à chaud avec un sentiment plutôt positif sur la communication de crise de Malaysia Airlines en laissant deux points mitigés : la gestion des familles des victimes, et la gestion des rumeurs.
Force est de constater que ces deux points ont pris une ampleur qui a changé le bulletin de la compagnie aérienne.
I. Introduction
D’abord, retournons sur les faits depuis mon dernier article:
- Le 12 mars, la Chine annonce avoir détecté, sur une image satellite datant du 9 mars, des débris flottant sur la mer proche de là où le vol avait été perdu. Le lendemain, on annonce qu’aucune trace n’a été trouvée.
- Le 14 mars, nouvelles images satellites pointant désormais l’archipel d’Andaman.
- C’est l’Australie, qui le 20 mars annonce avoir détecté des débris à l’ouest de Perth. La zone sera confirmée par Malaysia Airlines et le premier ministre malaisien le 24 mars, date à laquelle on annonce qu’il n’y a aucun survivant et que le vol s’est bien abîmé en mer.
II. Analyse
Voilà donc en 6 lignes tout ce qui s’est passé au niveau des faits en 16 jours. C’est très faible pour un événement suivi par tous les journalistes du monde, qui font un carton d’audience autour de ce drame. C’est très faible pour des dirigeants sous pression qui doivent assurer un flot de communication continu. C’est pour cela que tout est fait pour créer du vent et parfois le vent est même créé par les autorités malaisiennes. Retour sur quelques points:
1.Le biais de culture
Les médias du monde entier analysent l’affaire sous tous les angles, les experts en avion sont suscités de toute part et les blogueurs se lancent à coeur vaillant dans des analyses. (il faut bien des fois tendre le bâton pour se faire battre)
Pourtant, nous analysons tous selon le prisme de notre culture, ce pour quoi il apparaît indispensable d’au moins mentionner le fait que l’on puisse analyser des choses d’une façon lorsqu’une autre culture l’analysera d’une autre. Pire, l’angle d’attaque des médias peut également varier d’un pays à l’autre. Les experts appelés à la barre des témoins ont tous leur propre point de vue sur la situation, et chaque média, chaque pays a son propre expert et donc sa propre analyse. Il en va de même pour la communication de crise puisqu’une crise ne se gère pas de la même façon en Afrique, aux USA ou en France. Preuve en est la communication de crise de Dominique Strauss Kahn qui était très américanisée dans sa forme du pardon (la sacro-sainte faute utilisée aux USA par tous) et de la rédemption qui n’était pas appropriée pour un public français.
2. Les rumeurs
Quand la pression médiatique est à son paroxysme , que tout le monde commente la crise sur Twitter, que l’on élabore ses propres théories, on n’aime pas une chose : le vide. Le vide énerve, on voudrait parler de l’affaire, mais il ne se passe rien. On a une information continue à faire passer 24h/24 mais, il est difficile de tenir le public en haleine. Du coup, on utilise des artifices en tout genre pour combler ce vide. Petit florilège des techniques utilisées:
Le fond
- Les experts: on convoque des “experts” en avion , en gestion de crise, en communication, afin qu’ils meublent les conversations, qu’ils élaborent des théories, qu’ils tiennent en haleine et donne l’impression au spectateur d’être dans l’intime confidence par rapport aux gens qui ne regardent pas. On cherche à créer le besoin d’être présent parce que si l’on ne l’est pas, on manquera une expertise qui apportera un plus que ce que les autres médias diront.
- Les rappels de l’histoire: on retourne dans l’histoire pour voir des cas similaires. Ainsi le vol Ryo y passe, on nous ressort une vieille histoire d’un avion qui a dépressurisé , on nous repasse même l’incroyable histoire de l’avion qui s’est crashé dans les montagnes et où il a fallu bouffer de l’humain pour survivre. ( ça rend le tout épique)
- Les parallèles avec les séries: incroyable, mais un film, un roman ou une série racontait déjà cette histoire ! Ici, on se sert du parallèle avec Lost pour nous faire croire à l’incroyable. Et comme les hommes n’aiment pas l’incroyable, mais le croyable, il faut suivre les informations en continu afin de comprendre l’incroyable.
Mais surtout la forme
- Les infographies: on se ressert des éléments, mais on y ajoute la forme pour faire “nouveau” et “éclairage”
- Cela marche aussi pour les “polémiques” où l’on explique comment on trace un avion, comment on peut faire demi-tour, etc.
- La 3D : en télévision, les infographies ne sont pas aussi faciles que cela à développer, on ressort donc des artifices en modélisant en 3D un avion. (wow)
On a également la variante en faisant un récapitulatif dans un cockpit et autres. C’est donc la forme qui apporte quelque chose de nouveau, car il n’y a rien dans le fond. Et comme il n’y a rien dans le fond et que les artifices sont vite épuisés, il est nécessaire de faire circuler tout type de rumeurs ou d’hypothèses:
- Les téléphones qui sonnent encore ,déjà évoqué dans l’article précédent, mais dont je n’ai toujours eu aucune confirmation de la part de Malaysia Airlines ou d’une vidéo qui montre que l’information est confirmée( par contre, on a eu toutes les expertises sur les raisons)
- Un extraterrestre (…)
- Un détournement pour s’en servir comme missile par après ( donc , il aurait fallu qu’il ne se fasse pas détecter, qu’il aille sur une piste sans se faire remarquer , qu’on le cache dans un garage, et qu’on fasse sortir les otages pour les tuer/garder enfermés quelque part, tout cela sans aucun coup de téléphone)
- La piste terroriste ( avec les deux photos lancées puis avec un employé mis en cause)
- La piste de la météorite ( celle-là est assurément ma préférée)
- L’hypoxie avec incendie
Dans ces rumeurs /hypothèses , il y a deux coupables: la communication de la Malaysie et les médias.
- Les médias n’ont pas joué leur rôle et ne le font d’ailleurs plus du tout, ils sont simplement producteurs d’informations et d’images, mais ne fournissent aucun décryptage. On ne fournit plus une lecture des événements, on donne la lecture des événements selon les autres. Pourquoi ? Parce que cela fait vendre.
Hey regardez, quelqu’un a dit qu’un extraterrestre a pris le contrôle de l’avion, cool hein ?
Hey regardez, ici on évoque la piste du missile, drôle hein ?
Il n’y a plus de traitement de l’information. Si un hurluberlu décide de lancer une théorie, on ne choisit plus de ne pas le montrer, on le montre parce que ça produit du contenu. Or, le traitement de l’information, c’est également le choix de ne PAS diffuser une information. Et si elle est diffusée, le rôle n’est pas de la diffuser telle quelle, mais de l’analyser. Qu’est-ce qui est plausible? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Les médias se contentent d’être le dernier maillon de la chaîne de propagation de l’information, et non plus d’en être l’analyste. Ceux-ci, tellement avides du dénouement de l’histoire iront jusqu’à titré : “Enfin un signe d’espoir pour le MH370” alors que cet espoir consistait uniquement à retrouver des cadavres au fond de l’eau ,pourvu qu’on puisse faire de l’information.
- La gestion de la Malaysie est tout aussi responsable. Ne divulguant pas toutes les informations à ses partenaires, elle se fait taxer d’amateurisme par ceux-ci. De plus, toutes les théories qu’elle formule s’écroulent les une après les autres, d’un jour à l’autre. À trop vouloir communiquer, elle communique son impuissance. De plus, son incompétence à plusieurs niveaux ( on ne comprend pas comment les forces aériennes ne sont pas entrées en jeux en plus de l’affaire des faux passeports) donne un framing des stakeholders clairs: ils ne maîtrisent pas ce qu’ils font, ils ne savent finalement pas plus que nous, journalistes. Du coup, la porte est ouverte à toutes les théories, vu que les principaux intervenants ne savent même pas eux-mêmes la situation. La porte ne sera pas non plus fermée par Malaysia Airlines lorsqu’une rumeur se répand, ce qui est finalement un signe que tout est permis, car tout ce qui n’est pas contredit n’est pas faux. Il aurait fallu mettre en place une politique de fact-checking et de gestion des rumeurs plutôt que de se transformer soi-même en nid à rumeur. A l’instar de l’analyse des médias, le fait de ne PAS communiquer est également une communication en soi. ( “Nous n’avons pas d’autres éléments ou nous sommes en train de les analyser”)
3. La contamination
Le problème lorsqu’on s’appelle MALAYSIA Airlines, c’est qu’on a le mot Malaysie dans son nom. Donc , quand la Malaysie devient un cancre de la communication, cela se répercute sur la compagnie, à son plus grand désarroi. Parce qu’en soi, on a vu beaucoup d’articles à charge pour la communication de crise, mais la plupart pointent du doigt la Malaysie, et non pas la compagnie.
4. La non-protection des employés
Il y a une chose qui m’étonne personnellement et qui n’a pas été analysée dans les autres articles : le lynchage qu’a subi une à priori victime, employé de la Malaysia Airlines.
Sans procès, le voilà proclamé terroriste en herbe, savant préparateur d’attentat, armé de son simulateur de vol dernier cri dont des traces auraient été effacées. L’histoire dira si cela était réellement le cas, mais la seule personne qui viendra défendre le principal intéressé est un de ses amis. La moindre des choses pour la compagnie aurait été de rappeler sa présumée innocence en rappelant ses états de services. Parce que là, non seulement la compagnie passe pour une société qui jette ses employés dans la fosse aux lions sans les défendre, mais en plus, cela porte atteinte à son image de marque puisqu’elle engagerait des terroristes sans vérifier leurs antécédents, etc.
La non-protection des familles des victimes
Déjà pointé dans mon article précédent, on a , cette fois-ci , atteint des sommets. Par définition, les familles des victimes sont méfiantes par rapport à l’organisation et ont l’impression qu’on lui cache des choses. Alors lorsqu’on aborde des hypothèses telles que la piste terroriste, le fait que l’on ait perdu toute trace de l’avion, que l’avion pourrait être en état dans l’attente d’être servi comme missile, cet esprit de méfiance est décuplé pour frôler la paranoïa.
Celles-ci se révoltent donc en déclarant être non informées par la compagnie et se répandent dans la presse. La presse, face à un mur de non-information, s’en délecte telle des hyènes sur des futurs cadavres en passant et repassant la détresse de ceux-ci. Malaysia Airlines, bien que mettant en place des hôtels particuliers et des cellules de psychologues laisse dans l’hôtel les journalistes déambuler, ce qui nous laisse une seule réflexion en tête: “plus on parle d’eux, moins on parlera de moi.”
Le point culminant sera l’annonce de la mort de tous les passagers… par SMS. Bien que comme le souligne Marina Tymen : ” Envoyer des SMS (bagages égarés, changements de porte de terminale, imprimer les cartes d’embarquement) est une pratique courante dans l’aérien et le moyen le plus personnel et rapide d’informer une personne” , la pratique a choqué le monde entier.
Pourtant, la démarche n’est pas en soi mauvaise, c’est l’angle d’analyse qui est mauvais. On ne part pas de l’empathie envers les personnes, mais de bonnes pratiques de communication de crise.
Il est de bon ton de dire qu’il faut être maître de sa communication et annoncer les nouvelles soi-même. Cela est d’autant plus évident lorsqu’on veut éviter que les familles n’apprennent l’information par un tiers, et ce, dans le but de gagner la confiance et éviter les titres dans la presse “ils apprennent tout par la presse.” Dans cette optique, le SMS est une option tout à fait bonne et crédible.
Cependant, on se trompe de débat, on ne se met pas dans une situation d’empathie. ( et une empathie à deux têtes)
Pour les familles des victimes
Mise en situation: Vous vous promenez dans la rue, au milieu de tous, vous recevez un SMS, PAN. Tout s’effondre comme ça, de façon abrupte par un SMS et au milieu de tout le monde. Est-ce un bon média ? Non. Ainsi une famille de victime américaine a reçu le SMS en pleine interview !
Pour le public en général
L’image du SMS est déplorable. Combien d’articles pour une indignation face au titre : “il se fait licencier par SMS”, combien de VDM pour “je me suis fait larguer par SMS”, etc. Le SMS a l’image d’un média court, bref, sans émotion. Du coup, il fallait analyser également la façon dont la nouvelle serait prise.
Fallait-il jeter pour autant le SMS ? Non. Il s’agit du média le plus direct. Le problème n’est pas le média en soi, le problème est le message. Regardez le SMS en question:
Celui-ci est écrit en deux langues…
Où est le traitement personnalisé de la personne ? Qui signe ce message ? Même pas le PDG ? Finalement, quelle est la différence entre recevoir cela par SMS et le savoir par la presse ? L’effet de surprise est le même, le message est tout aussi non personnel, tout aussi froid.
Il aurait fallu clairement faire une précaution d’usage à savoir : “nous sommes désolés de faire parvenir ce message par ce moyen, mais nous tenons à vous l’annoncer nous-mêmes avant la presse” , le signer de la main du patron de Malaysia Airlines et faire au moins une segmentation par langue en fonction du récepteur.
De plus, gérer les familles des victimes n’est pas donner des informations, mais les accompagner dans l’information. Quid des événements futurs ? Il aurait fallu annoncer que le 1er ministre malaisien allait prendre la parole, dire en quoi, et surtout se positionner par rapport à cela et annoncer les futures actions. Nous collaborons, nous voulons connaître la vérité, nous restons à vos côtés, etc.
Ce n’est peut-être que de la communication mais cela constitue un des éléments extérieurs qui permet, pour nous, personnes extérieures qui n’avons pas tous les éléments, de déceler comment se gère la crise. Or, le fait qu’il n’y ait aucune trace de prise en charge futurt dans ce SMS ne faisait que présager ce qui allait se passer ensuite. Le SMS étant l’apéro, les gens autour au moment de le recevoir, l’entrée, le plat de résistance allait suivre:
Miam. Aucune protection, aucun périmètre de sécurité: rien si ce n’est la fosse aux lions, les journalistes qui n’attendent que le scoop d’une larme versée qui stagnerait sur un des objectifs de la caméra ou , encore plus croustillant, une empreinte laissée par une main enragée d’être montrée comme un steak au nom du droit à l’information. Une fois de plus, deux coupables: les médias et l’organisation chaotique.
III. Conclusions
Une communication et une gestion de crise, c’est long, très long. Il y a 2 semaines, je pointais les bons points de Malaysia Airlines; aujourd’hui, je l’assassine ; demain , peut-être l’encenserais-je. Analyser une communication de crise depuis son sofa, ou depuis le fauteuil dressé en face de son écran est une chose aisée : on n’a pas tous les éléments, on n’a pas la fatigue, on n’a pas la pression constante et on n’a pas les doutes puisqu’on n’a pas les doutes de la page blanche. Or, Il est plus facile de raturer une feuille que de la remplir.
Il y aura encore beaucoup d’étapes pour Malaysia Airlines. Celles-ci sont toujours les mêmes que lors de mon ancien article.
Si l’on peut établir une conclusion générale sur ce cas, c’est sur la place grandissante de la rumeur, sur le besoin d’information continu là où une seconde paraît un an, là où les gens ne comprennent pas qu’une zone de recherche n’est pas un coin de jardin à fouiller. Le défi est désormais là : gérer la rumeur, la démonter, ne pas se sentir pressé par l’appareil médiatique pour se concentrer sur ce qui importe: la gestion des parties prenantes directes. (famille, partenaires, états)