Comme d’habitude lors de l’arrivée d’une crise majeure, j’analyse la façon dont la crise est gérée, essentiellement sous l’angle des réseaux sociaux.
I. Introduction
Voici maintenant 80 heures que l’incident est déclaré et que l’avion est introuvable. Retour sur les faits:
Un avion de la compagnie Malaysia Airlines qui comportaient 227 passagers et portant le code de vol MH370 en direction de Pékin a perdu tout contact avec le centre de contrôle aérien. Depuis lors, cela fait maintenant 40 heures à l’heure d’écrire le début de ses lignes que l’on est sans nouvelle de l’appareil. ( Je voulais attendre de plus amples informations avant de publier dans le but d’être complet)
Des traces de carburants d’une longueur de 15-20 KM ont été détectées en mer de Chine.Ces traces étant assez conséquentes, il est possible que cela soit le bon endroit. Le chef d’état-major de l’armée vietnamienne y a envoyé 2 navires afin de vérifier la véracité du lieu.
Dans le même temps, on apprend que les passeports de deux passagers sont faux et seraient en fait des passeports volés il y a de cela plusieurs mois ( un Autrichien et un Italien) ce qui lance la piste d’un attentat terroriste alors qu’on évoque également le demi-tour. Un des passeports volés l’aurait été par un Iranien ce qui relance une fois de plus la thèse de l’attentat terroriste. Les visages des passagers suspects ont d’ailleurs été dévoilé:
A noter que pour la première fois, un service de crowsourcing Tomnod est disponible pour le commun des mortels, pour “ceux qui n’ont pas un bâteau ou un avion à conduire” mais qui veulent aider à rechercher également.
J’ai personellement tenté l’expérience mais la carte ne s’affichait pas. Le service pourrait bien être l’avenir des #msgu où l’on pourrait tager tous les dommages afin que la sécurité civile sache tous les endroits importants.
II. Analyse de la communication de crise
Facteurs antérieurs
Dans ces cas-là, dans l’absence d’informations tangibles, toutes les informations antérieures sont passées au crible: réputation, réputation de l’appareil, indices, et incidents.
Historique
Ainsi, souvenez-vous de l’historique des incidents exposés lors de la crise de Disney Land:
Il en est de même pour la compagnie aérienne: “La compagnie Malaysia Airlines (MAS) a enregistré peu d’accidents. En octobre, un bimoteur Twin-Otter s’était écrasé à l’atterrissage sur l’île de Bornéo, entraînant la mort du copilote et d’un passager.”
Capital réputationnel
Société
Par chance, Malaysia Airways possède une réputation presque parfaite qui lui permet de susciter le doute quant à une défection qui viendrait de sa part. Elle a, en effet, la réputation d’une compagnie récente ( et donc possédant des appareils récents), disposant d’une expérience néanmoins tout à fait probante et agissant sur plusieurs continents.
Avoir une bonne réputation est une bonne chose, mais paraît tout à fait intangible, raison pour laquelle on essaie de faire certifier cette qualité. Ainsi, il existe un système de notation pour les aéroports et les compagnies: le Skytrax. Or, selon la compagnie possède une très bonne évaluation puisqu’elle dispose de 5 étoiles:
Sachez ainsi pour votre information qu’Air France ne dispose que de 4 étoiles. Néanmoins, ce système de notation serait fortement influencable( il faut notamment payer) mais est utilisé par certains journalistes pour accréditer la bonne réputation de la compagnie.
On revient également sur le nombre de passagers par an, à savoir 13 millions, ce qui a le don de pouvoir relativiser le ratio d’accidents.
Produit
Dans ce cas, on parle d’avion. Cela serait le plus grand biréacteur construit, une autonomie de 11 heures. Il est également noté que celui-ci n’a vécu que 2 accidents en 19 ans , ce qui est, selon les experts, assez peu.
Le mythe de l’étrange
De tout temps, l’humain n’a jamais accepté qu’il ne comprenne pas quelque chose. C’est ainsi que les premiers mythes et légendes sont nés. Pensons à la bête du Gevaudan, et autres créations dans l’unique but d’expliquer ce qui ne peut l’être dans l’immédiat.
Or, ici nous sommes particulièrement dans l’étrange et le mystère. Voici un avion qui a disparu sans laisser la moindre trace, que l’on peine à retrouver malgré des moyens colossaux ; voici que l’on parle de téléphones dont la tonalité marcherait encore, que certains passagers seraient encore connectés sur “QQ”, une messagerie instantanée chinoise. Du coup, on se raccroche à une part de réalité en évoquant la série Lost.
En réalité, si l’on analyse le sourcing des articles, nous obtenons le schéma suivant:
Les autres n’en parlent pas ( étrange) ou ne citent pas AUCUNE source, pas même un témoignage. ( inquiétant)
De plus, les versions varient: une fois , nous avons “un Chinois” , une autre ” un ensemble de chinois qui ont fait un communiqué”.
Alors soit Straits time sait garder un scoop 18h et est le seul à avoir accès à Dunleavy, soit il y a un souci. Seul l’avenir nous le dira. D’autant qu’il apparait bizarre que la compagnie n’ait pas fait de démenti ce qui pourrait donner du crédit à l’information.
Ce climat d’étrange et de mystère est particulièrement mauvais pour la compagnie aérienne, car il fait que l’affaire passionne le monde entier. Qui dit passion et absence de réponse dit que les gens vont se mettre à élaborer des rumeurs, des fakes, que des journalistes vont se mettre en quête d’information insignifiante, mais qui pourrait porter préjudice à la société.
Mais surtout, les familles sont incapables de faire le deuil sans élément de réponse. Le mystère est tel que toutes les hypothèses sont encore possibles. Ce climat de tension est facteur d’émotion et il est plus difficile pour la compagnie de faire son travail. Imaginez que cette situation perdure : il sera impossible d’isoler les familles ad vitam eternam , les laissant toujours dans une émotion que les médias auront vite fait d’exploiter dans la quête du sensationalisme.
Conclusions
En l’absence d’information probante sur l’appareil ou la compagnie, on apporte donc des informations en déterrant les vieux dossiers soit par assimilation des faits ( Crash de Rio malheureusement pour Air France) soit par assimiliation géographique (un crash qui a eu lieu en 1977 dans le sud de la Malaisie.)
Analyse des polémiques et difficultés possibles
La difficulté du lieu non localisé et des acteurs en charge.
Qui sont les acteurs concernés ? La Malaisie ? Le Vietnam ? La Chine ?
Il faut gérer les principaux acteurs et leurs apports dans l’enquête et les recherches, mais surtout déterminer qui va communiquer à la presse.
Cela pose aussi la problématique de la langue, puisqu’il faudra communiquer dans les différentes langues.
Les questions
Dans la communication de crise, la gestion des réponses que se pose le public est prépondérante. Ici, c’est encore plus le cas puisque l’on n’a toujours pas déterminé:
- Est-ce que l’avion s’est écrasé?
- Si oui, où ?
- Est-ce que tous les occupants de l’avion sont bel et bien morts ?
- Quelle la cause du crash?
Ces questions sont classiques pour tout crash d’avion, mais à cela s’ajoutent d’autres questions qui participent au mystère:
- La question de l’absence de toute communication dans une zone où ce genre de problème ne devrait pas survenir.
- La question des passeports, à savoir comment est-ce possible que ces passeports volés il y a plusieurs mois déjà aient été acceptés.
Toute l’expertise est disponible
La communauté des avions est abondamment présente sur les réseaux sociaux et elle ne manque pas de faire valoir une expertise. Ainsi, rien que sur un site d’information belge, des compléments d’information surviennent dans les commentaires:
L’expertise est également facilement joignable par les journalistes contrairement à des crises comme Disneyland Paris.
Analyse de la communication
À 7 heures 24, soit 5h après la perte de signal et 54 minutes après l’horaire d’atterrissage prévu, Malaysia Airlines publie un communiqué annonçant avoir perdu tout contact avec le vol MH370.
L’entreprise met à la disposition du public un numéro de contact pour de plus amples informations.
L’information est relayé sur les réseaux sociaux sur Facebook et un lien vers Facebook est déposé sur Twitter.
Chose importante, il s’agit du PDG de l’entreprise qui est monté au créneau ce qui montre le degré d’implication de la compagnie. La forme du communiqué est classique:
- Empathie: “Nous regrettons profondément d’avoir perdu tout contact avec le vol MH370 qui a quitté Kuala Lumpur à 00H41 samedi matin en direction de Pékin”
- Information: les heures de départ, les heures d’arrivée prévue, le nombre de passagers et d’enfants, les membres d’équipage.
- Action: “Malaysia Airlines collabore avec les autorités qui ont activé leurs équipes de recherche et de secours pour localiser l’appareil”
- Prise de contact: numéro client et promesse de plus amples updates à venir.
Ils organiseront ensuite une conférence de presse avec la même organisation : empathie, informations ( avec plus d’informations, notamment pour les ambassades puisqu’ils citent le nombre de nationalités, à savoir: 152 Chinois, 38 Malaisiens, 12 Indonésiens, 7 Australiens, 3 Français, 3 Américains, 2 Néo-Zélandais, 2 Ukrainiens, 2 Canadiens, un Russe, un Italien un Taiwanais, un Néerlandais et un Autrichien, mais aussi plus d’informations sur l’appareil: il a 11 ans, et a été déclaré apte au vol après une réparation.) et action (la compagnie envoie également des renforts à Pékin pour s’occuper des familles qui sont rassemblées dans un hôtel, annonce qu’elle va se faire assister par un spécialiste en gestion des catastrophes venu des États-Unis et va établir un centre de crise en Malaisie et au Vietnam pour réceptionner les débris de l’appareil.)
À noter que les statements publiés et rassemblés sur le site de malaysiaairlines sont disponibles dans chacune des langues. Le flux de ces “statements” est très fluide et ponctuel.
L’utilisation des réseaux sociaux
Je l’avais déjà dit dans de précédentes analyses, mais le fait de pouvoir reposer sur un compte Twitter est extrêmement important, et ce même s’il ne dispose pas de followers.
Dans le cas de Malaysia Airlines, c’est encore mieux: il disposait déjà de plus de 200 000 followers. Comme je le disais lors de mon billet sur CP ou réseaux sociaux , les gens follow automatiquement un acteur qui a quelque chose à dire, et ce cas le confirme une fois de plus:
Après le tweet, les journalistes sont également directement alertés et à l’affût:
Par contre, gros problème à mon sens de la communication sur Twitter: l’absence de Hashtag pour rassembler les communications. Si l’on veut veiller simplement des discussions, ce genre de hashtag est indispensable. Or , Malaysia Airlines n’utilise que le hashtag #MASalert pour les informations qu’elle publie.
Les différents statements sont pointés par des liens sur Twitter, mais la catchline sont des marques d’empathie et des messages non informationnels comme “merci pour votre support” , “prier avec nous”, “nous partageons l’anxiété des familles”, etc.
Actuellement, alors que de nouvelles informations n’arrivent pas, l’entreprise tient à tweeter des nouvelles afin de montrer sa proactivité
Autre élément dont j’avais déjà parlé à l’occasion de la crise de Bretigny, le changement de bannière est une manipulation intelligente dans ce genre d’événement comme l’avait fait Asiana Airlines:
Malaysia Airlines a changé la couleur du fond d’abord en bleu puis du fond et de son logo en gris pour la circonstance:
Je trouve le gris intéressant dans la mesure où on est dans le compromis entre le noir et blanc qui sont les couleurs du deuil en Europe et en Asie.
Il est, toutefois, dommage que la compagnie n’y ait pas dressé la moindre information comme le numéro d’urgence, un hashtag, etc.
A noter que Malaysia Airlines communique également sur Google + avec un très bon nombre de followers, ce qui permet d’avoir un SEO bien plaçé pour les liens annexes.
Enfin, pour clôturer ce chapitre réseaux sociaux, il est intéressant de noter que la majorité des échanges ont , de par la spécificité asiatique, lieu sur Line.
Le bon choix des émetteurs d’information
On a pu remarquer que le CEO était monté au créneau. Par la suite, les informations ont été dispatchées par le général de l’avion civil ou le vice-ministre des Transports ce qui est une gestion intelligente de la divulgation des informations.
Les rumeurs et fuites
De nombreuses personnes essaient de voguer sur la vague du succès en postant tout type de fake et de rumeur. Il serait trop d’honneur que d’en partager les artefacts, et ce même pour servir d’exemple. Ainsi , certaines photographies d’avion dans l’eau circulent, certains auraient même vu des flammes depuis leur avion, etc.
Il est également dommage que la liste complète des passagers et de l’équipe ait filtré. On pense également au cas des deux personnes dont le passeport a été volé et dont la famille a pu être incroyablement alertée par ces fuites.
La protection des familles des victimes
Les images qui circulent des familles font état d’un manque d’information et peuvent faire croire que celle-ci sont jetées en pâture aux médias.
Or, celles-ci ont un hôtel à leur disposition et devant le peu d’information dont la presse dispose, et ce alors que le désir d’information en continu est grand, la presse se jette un peu sur tout ce qu’il est possible et imaginable d’avoir alors qu’il est difficile pour Malaysia Airlines d’assurer la protection globale immédiatement à tous les membres de la famille.
Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que depuis les premiers jours, plus aucune image ou témoigagne de victime en Chine n’est venu se plaindre devant la caméra ce qui prouve que le maximum a été fait pour protéger les victimes.
III. Conclusions
La réputation de Malaysia Airlines étant très bonne, cela lui a permis de développer ses messages sur les réseaux sociaux sans la moindre polémique à son encontre.
Elle lui permet aussi d’avoir la légitimité de partager son émotion.
Quant à la crise en elle-même, on pourra remarquer que la vitesse d’exécution et la justesse du protocole témoignent qu’elle avait été parfaitement préparée. L’entreprise a donc réagi pour l’instant parfaitement, mais la crise est encore extrêmement longue. Il reste à trouver l’avion, les boîtes noires, rassembler les débris, expertiser, gérer la famille des victimes, découvrir les raisons du crash, collaborer avec les autorités, assumer les responsabilités, etc. La liste est encore énorme. Une chose est sûre: on est loin de la crisounette des réseaux sociaux où il suffit de parler à un seul stakeholder sur une information vérifiable en 10 minutes.
Pour plus d’informations et suivre en temps réel, un compte à suivre:
Marina Tymen