Cela faisait longtemps que je n’avais plus fait d’article théorique, mais une étude américaine du Pew Research Center est sortie en février et rejoint avec des faits et preuve à l’appui certaines choses que j’avais observées, mais dont il était difficile d’apporter la preuve.
Après une introduction alertant sur un fait que pas mal de personnes devraient garder en tête, à savoir que Twitter ne représente que 14% de la population des utilisateurs d’internet et que celle-ci est très spécifique. ( Ce qui détruit toutes les études du genre ” on peut deviner la santé financière d’un pays en scrutant ses tweets, etc.), les chercheurs ont analysé les tweets autour d’un sujet et ont réalisé un zapping des réseaux à l’aide d’une extension spéciale. Ils sont arrivés à la conclusion qu’il existait 6 types de conversations:
1. La foule polarisée
Dans ce cas, les réseaux sont clairement coupés en deux. Il existe de petits liens entre ceux-ci qu’on appelle “ponts” qui font le pont entre deux communautés.
Chacun des réseaux a sa propre version d’une information et fait appel à des sources différentes. (Typiquement le cas d’un clivage gauche/droite lorsque les uns citent Libération alors que les autres citent Le Figaro)
Il s’agit d’ailleurs de l’analyse d’un hashtag #my2k parlant de politique américaine. À noter qu’en bas à droite se situe les personnes peu reliées qui parlent du sujet.
Implication pour le bad buzz:
Pour un même fait, il peut y avoir un traitement du sujet absolument différent en fonction du sujet traité. Ainsi, je peux prendre deux exemples qui expliqueront parfaitement l’implication que ce type de conversation peut avoir :
- Le cas Stabilo: d’abord lancé par la communauté féministe, l’histoire est d’abord traitée sèchement par celle-ci. Un pont fait voyager le bad buzz jusqu’à un autre groupe qui a un traitement totalement différent et qui se contentera de “LOL”, etc.
- Le cas MinuteBuzz: on a pu remarquer que sur Facebook, le public habituel du site a très bien pris la vidéo et l’a partagée. Ce n’est que lorsque l’affaire arrive dans la communauté Marketing / Communication que le traitement y est totalement différent et que les critiques affluent.
On peut donc retrouver des bad buzz qui le sont véritablement au sein d’une communauté qui va converser négativement alors qu’au sein d’une autre communauté, le traitement peut être tout autre.
2. La foule étroite
Une conversation pour laquelle tous les individus qui la composent sont fortement interconnectés. Le nombre de participants isolés y est très faible.
C’est typiquement les conversations autour d’un colloque, d’un sujet professionnel ou d’un hobby.
Il s’agit de l’analyse d’un hashtag utilisé par les community manager ( #cmgrchat )
Implication pour le bad buzz:
On a parfois l’impression qu’un sujet a été tellement tweeté parmi son réseau que le monde entier en a eu connaissance. Typiquement, le monde des community manager est un réseau très fermé dont on a vite fait le tour des intervenants. On peut ainsi prendre comme exemple les conversations “LOL” entre deux CMs qui feront vite le tour de la communauté, mais dont Mammy Danielle qui se connecte une fois par jour n’a aucune chance d’avoir connaissance et dont elle se fout éperdument. Des fois, la visibilité est très minime et le bruit suscité par le milieu des community managers suffit à provoquer un article de presse ( les réseaux de CM étant très proche de ceux des journalistes) , c’est par exemple le cas de :
- Le cas du groupe Bel: avec sa question dans les packages de Vache qui rit: ” Où le problème du foulard islamique est-il apparu en 1989 ? ” . D’abord sujet de discussion tourne autour de la communauté Al Kanz, mais réussi à être publié sur les sites d’information, ce qui transforme une conversation très étroite en quelque chose qui se répand. À noter que la plupart des gens non musulmans n’avaient que peu d’intérêt pour cette news, ce qui montre que même après la publication de l’article, la conversation restait au sein d’une foule étroite.
- Le cas Sup de Pub: lorsque ceux-ci ont lancé un master en directeur création pour 28200 euros , la contestation s’est faite uniquement dans une conversation de ce type.
On peut donc retrouver des bad buzz qui n’ont eu lieu qu’au sein d’une certaine communauté. À l’extrême, on pourrait dire que le bad buzz peut être totalement indolore pour une marque si la foule étroite qui se plaint ne constitue en rien un public de premier choix pour la marque. (Charal qui se ferait allumer uniquement par une communauté de végétarien)
3. Les groupes de marque
Dans le cas de fait d’actualité ou de marque très connus, on assiste à beaucoup d’individus isolés qui parlent à propos d’un sujet. Ils mentionnent la marque, mais ne connectent pas entre eux.
Implication pour le bad buzz:
Assurément le plus dangereux des cas de figure, car le bruit provient de multiples sources sans effet de groupe. Cela indigne donc profondément indépendamment du groupe auquel on appartient. Ces cas sont typiquement les plus gros:
- Le cas Intermarché : même si l’on aurait pu observer un gros groupe autour de Penelope Bagieu, les individus ne partageaient pas une passion , un métier ou une conviction commune ce qui fait qu’il y aurait eu peu de liens entre eux.
- Le cas Nestlé: Greenpeace avait réussi à faire allumer la mèche par son réseau de militants, mais la suite a été faite par des individus sans réels liens entre eux
Il est également beaucoup plus difficile de régler la crise dans la mesure où l’on ne peut pas faire jouer des influenceurs , centre du réseau, qui pourrait permettre de rétablir la situation.
4. Les groupes de communautés
Pour les sujets les plus populaires, on pourra observer de multiples petits groupes qui développent leur propre épicentre, leur propre audience, leur propre source et donc leur propre influenceur.
Implication pour le bad buzz:
Ici , on sera clairement dans un cas de conversation propre à la gestion de crise. Chacun des publics aura son propre intérêt par rapport à l’événement. On pourra par exemple citer les cas de :
- Malaysia Airlines: vous avez le grand public qui parle des grands mystères, les communautés d’avgeek qui testent les hypothèses, les “pros” de la communication de crise qui dissèque la communication, les “pros” de la gestion de crise qui parleront plus de #msgu ou d’autres aspects : bref, vous m’avez compris.
On est clairement dans la justification du terme de relations publiques de crise plutôt que la simple communication de crise dans le sens où il faudra tenir compte de chacune des opinions, développer des messages spécifiques pour chaque public, et isoler/ définir l’influenceur pour chaque réseau.
5. Les réseaux de diffusion
La conversation aura ici un point central de diffusion d’une information. On est clairement dans le registre de la breaking news où un média sort l’information en premier et les gens qui conversent sur le sujet sont reliées à la source de cette information. Cela peut par exemple être mes followers lorsque je sors un article.
Implication pour le bad buzz:
Comparèrent au 6e type de conversation que je développe plus bas, la conversation est suscitée uniquement par une seule personne. Ainsi on peut trouver les cas de:
- Le cas Über: avec Valérie Damidot qui a tweeté rageusement contre la société (ce n’est pas un bad buzz, mais ça crée quand même de la visibilité négative)
- Le cas “Cher Crédit Mutuel”: où un humoriste fédère autour de lui une audience grâce à une vidéo YouTube.
- Le cas Bristish Airways: où un passager mécontent achète un tweet sponsorisé pour se plaindre
- United Airline: où un chanteur assez connu se plaint à propos de sa guitare.
La solution est un peu celle développée plus bas , à savoir s’occuper du point central en le contactant le plus vite possible pour régler le contentieux.
6. Le réseau de soutien
Implication pour le bad buzz:
Ici ce sont les bad buzz où une personne arrive à focaliser une audience autour d’elle pour faire valoir ses droits par rapport à une marque. Les exemples sont très nombreux comme:
- Le cas du salon de Genève: où une personne handicapée se plaint de l’accueil exécrable qui lui a été octroyé.
- Le cas de la Fnac: où une consommatrice se plaint du SAV et acquière une visibilité de plusieurs milliers de likes.
- Le cas de madame Figaro: attaqué en justice par le quotidien pour le nom de son blog ( madame Figaro)
Et j’aurais pu en citer des dizaines de plus, car ce format de conversation est très présent dans les bad buzz.
La seule façon de rétablir la situation est de ne pas de se préoccuper des liens AUTOUR DU CENTRE, mais bien du centre lui-même, c’est-a-dire la personne par qui l’affaire a commencé.
Ainsi, je ne pourrais que conseiller de ne jamais négocier pour que la personne cesse sa publicité négative. Cela est absolument contre-productif, car si vous faites cela, vous ne vous occupez pas du cas de la personne, mais du cas de votre publicité négative ce qui revient à dire que vous vous foutez de celle-ci. De plus, je n’ai jamais croisé de cas où une personne lançant un bad buzz n’avait pas retiré son contenu ou fait un point sur la situation après avoir été dédommagé. Pensez donc toujours “centre du réseau”, car seule cette personne est apte à communiquer envers les personnes qui ont été exposées à du contenu négatif de manière la plus optimale.
Conclusions
Les auteurs publient également un tableau permettant de les identifier clairement:
L’enjeu dans la communication des crises sur les réseaux sociaux, qu’elles soient 2.0 ou non, n’est plus une simple déclinaison des mises en place des étapes traditionnelles: empathie, informations, et actions. De même dans la résolution des bad buzz, il ne s’agira plus simplement de répondre vite, bien, et en lâchant une blagounette qui va résoudre la situation. Le cas Stabilo est ainsi criant:
Il ne résout rien de la situation, à savoir qu’il ne s’adresse pas à la cible où le bad buzz a sévi : les femmes. Ils se contentent de prendre le bruit dans son ensemble. Quant au cas du salon de l’automobile de Genève, il est criant de remarquer que les organisateurs du salon se sont concentrés sur le bruit de ceux qui avaient été émus par l’histoire, mais pas par le principal intéressé. Ils se sont alors évertués à demander l’arrêt de toute critique à chaque étape de la négociation avec l’intéressé. Se faisant, ils se concentraient sur la foule autour alors que le problème n’est pas la foule, mais le centre de la foule.
Bref, dix ans après le premier bad buzz, il serait plus que temps que l’on passe justement au-delà du bad buzz, au-delà du bruit, l’enjeu n’étant plus de capter le bruit ( avec les logiciels de veille, l’expérience acquise par les entreprises..) , ou n’étant plus de calmer celui-ci ( tout le monde a compris le besoin de répondre vite, avec empathie sur les réseaux sociaux) , mais de l’identifier. Seule l’identification du bruit, de sa forme permettra de réagir adéquatement et efficacement envers les cibles. Il ne faudra alors plus développer un seul message global, mais des minimessages en frappes chirurgicales qui atteignent le bon réseau, la bonne personne,et le bon influenceur.
D’ici à ce qu’on arrive à ce niveau dans les entreprises, j’aurai déjà fini mon doctorat.