Je le condamne et mets en garde depuis longtemps: les crises à valeur de féminisme (dans le sens de l’égalité entre homme et femme) sont un facteur de risque pour les organisations. Pourtant, celles-ci sont trop souvent négligées , banalisées et sont considérées comme étant des crisounettes. Ce constat n’est pas tout à fait inexact, mais attention à l’arbre qui cache la forêt: les conséquences ne sont peut-être pas visibles à court terme. Retour sur 10 ans de bad buzz pour actes sexistes.
I. Historique
La publicité a de tout temps été un nid à sexisme. Hervé Monier a , il y a 3 mois, écrit d’ailleurs un article sur son blog( que je vous encourage à lire car très intéressant) à propos du sujet. Le monde du marketing et de la communication est d’ailleurs , lui-même assez misogyne , des fois sans s’en rendre compte.
Amis des stats…
Il était donc tout à fait naturel que les bad buzz / crises 2.0 aient quelquefois pour origine cette misogynie. Depuis 2004, j’ai recensé 14 bad buzz / crise 2.0 à valeur de féminisme, ce qui représente 9 % des crises 2.0 ( N=154). 65% de ces crises 2.0 proviennent du service de communication. La majorité surviennent offline et sur le site web de l’entreprise ( 36 et 22%) alors que les lieux de mécontentement favoris sont Twitter ( 52% !) , les blogs (22%) et Facebook (17%). Les blogs surclassent Facebook pour la simple raison que la communauté féministe est extrêmement soudée et structurées autour de site, communautés et blogs ( exemple le plus connu de les “chiennes de garde” )
Des débuts assez tardifs
Il faudra tout de même attendre juin 2011 pour que la première crise survienne, lorsque la marque Petit Bâteau reçoit des plaintes pour un ensemble de T-shirts, un destiné aux garçons, où l’on pouvait voir les mots « robuste, fort, courageux » alors que celui destiné aux filles portait les adjectifs « jolie, douce, rigolote, coquette, … » .
La caricature est telle que les manifestations ne se sont pas faites attendre. Il faudra ensuite attendre un an avant le prochain cas, absolument incroyable de Casino en Guyane:
Ce cas se passant totalement du moindre commentaire, je passe furtivement au second cas de 2012, à savoir le community manager de Volkswagen en Inde qui ne nécessitera pas plus de mon temps de parole:
La folle escalade
Nous avons donc 3 cas de 2004 à 2012 dont un provenant d’Inde. À partir de mai 2013 , nous avons assisté à pas moins de 11 bad buzz à valeur féministe, soit plus d’un bad buzz de ce type par mois ! Cette saga débute avec la marque Lego, déjà accusée de sexisme auparavant. Le journaliste Josh Stern a posté sur son blog ainsi que sur son compte Twitter une photographie d’un modèle Lego. Sur celle-ci, un ouvrier du bâtiment, coiffé d’une paire de lunettes de soleil lance un « Hey Babe » à une femme:
La marque est alors accusée de favoriser le harcèlement en rue. En Août 2013, Linkedin fait l’objet de protestations après avoir retiré une offre d’emploi de l’employeur Web TOPTAL parce que la jeune femme prise en photo,qui accompagnait la publicité, était jugée trop « séduisante » pour être effectivement une développeuse.
Linkedin, de son côté, s’est retranchée derrière le fait que l’annonce a été retirée suite à des plaintes de la part de ses utilisateurs. Deux mois plus tard, Guillaume Fey, animateur de NRJ, refait une vidéo déjà parue dans d’autres pays sur “Comment embrasser une fille en 10 secondes ? . Pour cela il pose un salut ca va, tu as un copain et pourquoi on ne s’embrasse pas ?
http://www.youtube.com/watch?v=4p6vL7xojDg
À la vue de la vidéo, on comprend le malaise et le bad buzz de l’animateur de NRJ. Sa réponse à la radio n’a fait qu’augmenter les réactions des internautes car il avait l’air de s’en moquer.
Le mois suivant, Cellullar solutions, entreprise britannique, publie sur son site internet l’organigramme du staff de sa société. On peut y voir 27 employés : toutes des femmes jeunes et « sexy ». Du côté de la partie management, la situation est tout l’inverse puisque celle-ci n’est occupée que par des hommes. Cette situation a créé un « bad buzz » pour l’entreprise sur internet qui est accusé de discrimination. Face aux critiques, le dirigeant de la société Damian Motteram nie tout problème de discrimination et explique que cet organigramme datait d’une autre époque et que désormais certaines femmes avaient grandi dans la société et occupait des postes hauts placés. La catégorie « Meet the staff » du site web n’est en tout cas plus disponible au jour d’aujourd’hui.
Dans le même temps, pour promouvoir les 20 % des réductions dans son magasin pour tous les hommes ( avec un petit astérisque pour indiquer « les femmes aussi ») , la marque Gamma a lancé une publicité qui n’a pas manqué de susciter des réactions indignées. On y voit les minettes bricoleuses (kluspoezen) s’activer dans une vidéo très sexiste. Gamma a ensuite supprimé la vidéo qui est, bien entendu, encore disponible sur toutes les plateformes de vidéo en ligne.
http://www.youtube.com/watch?v=aQ1sW0MBI2s
Une autre année commence, mais la tendance est toujours la même. Elle s’empire même puisque Numericable la provoque sciemment.
La parade était déjà préparée et survient une fois que le bad buzz a eu l’effet souhaité ( visibilité, visibilité, et visibilité)
À peine une semaine après, la marque BN se fait apostropher pour une blague sexiste présente sur un de ses packagings:
Déjà en octobre, une blogueuse avait contacté la marque afin de lui faire part de son indignation à la blague sexiste. La marque avait simplement répondu avoir voulu « apporter une pointe d’humour décalé » accompagné d’une réduction de trois euros. Une semaine plus tard,
Pour faire la promotion de la champion’s league, un des membres de l’équipe de communication de l’after foot RmC fait une véritable bourde en publiant une image sexiste qui peut marcher sur 9gag, mais dont la pertinence était mauvaise.
On pensait le mois fini lorsqu’Adidas nous fait part de sa symphonie en mettant en vente des maillots assez explicites qui n’ont pas plu aux Brésiliens et à la première ministre brésilienne qui y voit une incitation à la prostitution.
Nouveau mois, mais toujours pareil, le conseil général de Moselle et sa publicité contre le gaspillage des déchets.
Enfin, nous terminons de la plus mauvaise des façons avec le cas très récent de Stabilo qui a fait parvenir à des rédactions dont celle de aufeminin un communiqué de presse aussi nul que celui-ci:
Ce communiqué me laisse absolument pantois. Pantois, parce qu’il me laisse deux choix:
- L’agence de communication est une agence de novices, qui croit vraiment à la daube qu’elle écrit à savoir la sublimation d’un produit fonctionnel à l’aide d’ un insight de prise de pouvoir à travers un Stabilo. (rose,bien entendu).
- L’agence est de mèche avec le client pour nous sortir un truc digne de Numericable. La théorisation du faux bad buzz que j’ai faite à deux reprises , une pour la fausse news et une pour le faux bad buzz , est remplie: un CM absent qui ne sort qu’une pirouette en fin de soirée, la crise 2.0 à valeur de féminisme, et une marque ancienne dont on ne parle pas beaucoup. Seuls des éléments tels que le fait que la fiche produit mentionnait quelque chose de proche au niveau de l’insight me font douter.
En tout cas, la réponse de la marque est tout à fait catastrophique:
Pourquoi donc ? En dehors de cette manie de faire du LOL en réponse quand on est sujet à une crise ( même crisounette) que j’ai déjà fustigé ici, si l’on publie des excuses, c’est envers ceux que l’on a froissé. Je rappellerai également le tweet qui accompagnait cette photographie: “Aujourd’hui STABILO en a vu de toutes les couleurs” à savoir une pirouette sur le produit. Bref, tout tourne autour du produit comme s’il fallait sucer le jus de l’attention jusqu’à la moelle, pourvu que ça buzz.
II. Une question de valeur
“Ah ces feministes..”
Se dire que les crises 2.0 à valeur féminisme ne sont pas graves dans l’absolu ( elles sont toutes classées dans mes mémoires des crises 2.0 en niveau 1) est une erreur. Se dire que l’on ne peut plus rire de rien, ne plus rien dire sans que l’on soit sacrifié par une horde de féministes en colère est également une erreur. En se disant cela, les gens sont dans le déni.
Le monde évolue, ses valeurs aussi. Le cas Barilla est à ce titre très intéressant puisque l’héritier Barilla, au nom des valeurs familiales , dit qu’il ne montrera pas d’homosexuel est un exemple criant de cette évolution puisqu’on a un combat de la même valeur. Ceux qui protestent ont une valeur nouvelle de la famille que n’a pas encore monsieur Barilla. Cela provoque une vague de mécontentement parce qu’il n’a pas su évoluer avec son temps.
En 2014, les 14 cas que je viens de vous montrer n’ont plus leur place. Ils sont l’artefact d’un monde rétrograde.
Hier, je me rendais
au salon Baby Boom, “le plus grand salon des futurs et jeunes parents”. À peine rentré, on nous remet un formulaire permettant de gagner un incroyable goodie bag en échange de nos précieuses informations personnelles. Sur celui-ci, en lieu et place des habituels intitulés “Prénom et nom” figure une annotation inhabituelle à ce genre de formulaire: “de la maman”. N’ayant de toute façon que peu d’intérêt sur ce goodie bag, je rejoins le premier stand qui est celui de la marque de lessive Le Chat. Alors que j’attends sur le côté en scrutant un peu la communication réalisée par la marque, comme je le fais habituellement dans ces salons, j’observe un futur papa au sein d’une file composée d’une majorité de femmes souhaitant s’inscrire au concours réalisé par la marque. Quand finalement, le tour de celui-ci vint, j’entends quelque chose de stupéfiant : “Ah nous sommes désolés, mais ce concours est réservé aux mères.”.
Ce sexisme anti-masculin est le même que celui qui est en oeuvre dans ces publicités. Il est absolument débile et ne prend pas conscience que le monde évolue: les hommes font aussi la lessive, les hommes s’occupent aussi de leurs enfants, les hommes sont aussi une cible de choix pour ces marques.
Croyez-vous que celui-ci achètera de la lessive de la marque Le Chat alors que celle-ci lui fait comprendre qu’il s’agit d’une lessive qui s’adresse uniquement aux femmes ? Quand on sait que des marques comme Coca Cola ont du créé un Coca Cola 0 calorie spécial pour homme ( Coca 0) car le Coca Light était connoté trop féminin , ce problème de valeur peut se révéler une erreur stratégique.
Réputation, E-réputation, Parlons-en ?
Combien d’articles ne naissent pas chaque jour de la patte d’un auteur CEO d’une PME en charlatanerie qui, après 9 mois de négociation avec Les Echos vient d’obtenir le précieux sésame pour nous fournir sa copie destinée à booster son SEO, nous explique les bienfaits de la réputation (s’il a un peu d’esprit) ou de l’e-réputation et le fait que la moindre trace négative comme un commentaire négatif sur un forum obscur figurant sur la page 89 de Google puisse être néfaste pour celle-ci ?
Pourtant, l’un de plus célèbre théoristes de la réputation, Fombrun, considérait la réputation comme actif très peu volatile et ne comprenant que les valeurs de la marque. Dès lors, lorsqu’on expose ainsi la marque contraire à des valeurs aussi importantes que celle de l’égalité, ne s’agit -il pas d’un danger?
Ces bad buzz qui vous veulent du bien
Je l’avais théorisé il y a de cela pile un an, et cela a d’ailleurs donné naissance à la conférence que j’ai donnée à l’ULB, à l’erepday et au café numérique de Bruxelles,le mythe du bad buzz bénéfique peut, certes être une réalité, mais est actuellement l’objet d’un terrible malentendu.
Ce mythe a été pour la première fois abordé lorsque le fameux homme nu de la Redoute est apparu dans une période présolde idéale qui a accouché de très bons chiffres. Cependant, on oublie que:
- Il s’agit d’un site e-commerce. Toute augmentation de trafic est donc une opportunité en or de faire plus de cash.
- En soi, l’homme nu ne touche à aucune valeur. C’est un problème technique.
- Cela ne met en danger aucun actif de la société.
Ensuite, Carambar a été plus loin en mentant de bout en bout et en créant de toute pièce un faux bad buzz. Là aussi, les retombés ont été très bonne puisque le chiffre d’affaires a augmenté de 20% une enquête menée par la marque a montré que seuls 3% avaient un avis négatif sur l’opération. Ces bons résultats tendraient à prouver qu’un bad buzz peut être bénéfique. Cependant, il ne faut pas oublier que:
- Cela ne portait atteinte à personne.
- Cela prouvait par A+B les valeurs de Carambar, à savoir la dérision. C’est l’USP de Carambar.
À partir du moment où la visibilité qui est créée ne porte pas atteinte aux gens et qu’il raconte les valeurs de la marque, ce n’est pas un bad buzz, mais un good buzz.
Lorsqu’on réalise un coup en prenant à partie une communauté, à savoir les femmes, on porte atteinte à des personnes. En se montrant rétrograde , on se coupe de toute image de modernité. ( je pense à la marque Numéricable qui aurait pu surfer sur cette valeur de marque)
On attaque donc ses valeurs et ses perspectives sur le long terme, non seulement pour la marque “produit”, mais également pour la marque employeur, tout cela pour glaner une seconde de visibilité et de splendeur qui feront un cumul de 2000 misérables tweets.
À une époque où l’on parle d’e-réputation sans connaître ses classiques et les études sur la réputation, que ceux qui s’improvisent professionnels du web ou de la pub aillent revoir leurs classiques, notamment la pyramide Dagmar : si vous n’avez plus de valeurs de marque, la pyramide s’effondrera.
Il ne vous restera alors plus que votre visibilité pour pleurer.