Si j’avais commencé mes recherche, c’était suite à la crise Nestlé. C’est celle-ci qui m’a poussé à voir plus loin, qui m’a fait croire qu’en un instant une marque pouvait plier face aux consommateurs, celle qui m’a donc emmené ce gros cliché que j’ai heureusement très vite mis de côté pour prendre un costume de chercheur.
Comme nous l’avons vu dans les mémoires des crises, l’année 2011 commence très bien pour les ONG avec le cas Nestlé.
Imaginez-vous, jamais une vidéo sur Youtube n’avait été autant orchestrée, l’effet de surprise est totale et partagée par une base de militants assez grande.
Presque tout le monde a vu cette vidéo, mais analysons là de façon rationnelle, presque sémiotique ou même mieux : analysons là tel un quidam.
Vous êtes sur votre PC, vous avez vu des réactions d’indignation partout sur la toile, mais vous n’avez aucune idée de ce qu’elle contient. Commence la vidéo dans un bureau tel qu’on se l’imagine (on peut même établir une connection avec nous si nous travaillons en bureau) et reprend les codes de la publicité « Have a Break, Have a Kitkat », mais ici qu’importe étant donné que vous ne l’avez peut-être même pas remarqué.
L’homme ouvre le sachet qui représente le produit et l’on voit un doigt de singe. On le voit manger avec un son que les mangeurs de KitKat reconnaîtront, ce que l’on appelle dans le marketing : l’Usage imagery, l’« image de consommation » (traduction approximative de la brand equity)
Ensuite une goûte de sang jaillit, maintenant il a du sang plein la bouche, les gens ont une émotion de dégoût et d’incompréhension.
Vient ensuite l’explication pour comprendre l’incompréhension : Nestlé utilise de l’huile de palme qui conduit à la déforestation. Ensuite le packshot habituel de la publicité.
Le tout est ensuite grossi par la réaction de Nestlé qui essaie de censurer ce qui va nourrir la crise. Nous récapitulons donc en disant que dans cette vidéo nous avons :
- Un endroit connu par la majorité (le bureau)
- Le produit ostensiblement montré
- L’usage imagery : le « Crac » connu de tous ceux qui ont un jour consommé KitKat
- L’effet de surprise : personne ne s’attendait à cela
- L’émotion : la plus importante. Un cas d’indignation (tel qu’énoncé dans mon article de lundi) grâce au sang et le singe.
- Le message : tout est dit : déforestation, tuer, singe, Kitkat, Nestlé.
- Les codes de la publicité Kitkat : le packshot, les mêmes “storytelling”
- La structuration de l’opposition par les actions en justice de Nestlé
Voilà tous les ingrédients qui ont fait de ce cas une vraie crise pour Nestlé qui a même eu un impact sur son cours de bourse (mais très léger et mesuré dans le temps) A cela j’ajouterais un élément essentiel : personne ne connaît l’huile de palme en 2011 ou alors il fallait être un vrai expert de la nutrition. Nous ne sommes pas en 2013 à l’heure de la taxe sur celle-ci et de la gestion de crise par Nutella. Dès lors, il est extrêmement intéressant de supposer que vous, comme moi n’aurions pas connu ce composant pourtant présent dans les KitKat. Cette fausse publicité associe l’huile de palme (et la déforestation) au produit (tout y est : packshot, usage imagery, produit, etc) et donc déforestation au produit et au produit seul. Par la suite, sans doute encouragée par ce succès, Greenpeace s’est attaquée très rapidement de la même manière à Volkswagen et Mattel. Ces deux cas furent un échec.
Volkswagen
Pour rappel, Greenpeace a lancé une vaste campagne pour dénoncer l’image verte que se donne Volkswagen. Elle souhaite sensibiliser l’entreprise allemande au réchauffement climatique. La crise a duré extrêmement longtemps, mais la marque n’a pas cédé. Reprenons la même analyse : Cette fois-ci, plus aucun effet de surprise : on connaît les méthodes de Greenpeace, on sait ce qu’ils font pour faire tomber les marques, on sait qu’ils veulent nous utiliser. Dans ce sens, si je partage, je serai apparenté à un membre de Greenpeace avec ses valeurs. Cela enlève quelques partages par rapport à Nestlé, mais ça ne peut pas tout expliquer. Regardons la vidéo et voyons les éléments repris par cette vidéo déjà présents chez Nestlé :
- On reprend les codes de la publicité Volkswagen qui utilisait Star Wars pour assurer sa promotion
- Je ne retrouve par contre aucun endroit connu par la majorité : je ne peux pas faire preuve d’empathie spatiale.
- L’émotion est le rire. Ce n’est plus une indignation. Greenpeace utilise une parodie. Les commentaires ne seront plus des « oh dégueulasse » « Dégoûtant » et autres”, mais « hahaha cette publicité Greenpeace ».
- Le message passe au second plan. On ne se demande à aucun moment « WTF » pour avoir une réponse. Pire ils font un épisode II qui est mis comme s’il s’agissait d’un divertissement.
- Le produit n’est plus présent : à part le Logo, aucune voiture n’est visiblement une Volkswagen. Cela pourrait être n’importe quelle voiture. D’ailleurs pourquoi Volskwagen ? Pourquoi pas Ferrari qui fait les grands prix de F1 ? L’association MAL-Produit n’est pas mise en avant. On ne fait pas une association pavlovienne. En ce sens, c’est déjà un raté. Volskwagen n’a été pris que parce qu’il s’agissait du premier constructeur mondial (et donc beaucoup de gens en conduisent, ce qui diminue aussi l’impact)
Voilà pour la reprise des éléments de KitKat. On aurait pu ajouter des éléments purement sémiologiques comme le fait que le petit Dark Vador symbolisant en quelque sorte Volskwagen s’agenout comme si la victoire était déjà acquise ce qui est très mauvais quand on veut créer un bad buzz. Que dire par la suite quand celui-ci danse avec tout le monde autour d’une musique joyeuse? Bon pour le Buzz, mauvais pour le Bad Buzz. L’objectif d’une ONG est-elle d’avoir du partage ou d’avoir de l’indignation pour faire plier une marque ? Par la suite, Greenpeace enchaîne sur Mattel :
Mattel
Pour rappel, Mattel a été accusée par Greenpeace d’utiliser des emballages issus du déboisement des forêts tropicales d’Indonésie. Le sujet n’ayant pas passionné les internautes, l’action n’a pas eu l’impact escompté : seulement 784 tweets postés et 22 800 vues sur YouTube après 24 h. Conséquence : Mattel a pu se contenter de fermer sa page Facebook aux commentaires. Le cours de l’action Mattel à la Bourse, à l’inverse de ce qui s’était passé pour Nestlé, n’a pas été affecté par cette crise. Ces échecs marquent quasiment la fin des interventions des ONG en vue de générer une crise. En dehors de cela, revenons à la même analyse : Ici,
- Encore moins d’effet de surprise.
- Plus du tout de repère empathique (on change carrément pour un décor cartoon)
- L’émotion est encore le rire via la parodie. On essaie de faire un repère avec la publicité Nestlé en parlant de singe, forêt dévastée, etc., mais on ne le montre pas.
- Plus du tout de lien avec le produit vu qu’on ne parle que de l’emballage.
- Plus de message. On ne comprend pas une et une seule chose : pourquoi Barbie ? C’est un emballage commun pour tout type de produit, alors pourquoi eux ? En quoi ces emballages sont un problème ? Pour Nestlé, on savait que c’était à cause de l’huile de palme, mais Barbie… ?
En plus de cela, Barbie est une marque fortement nostalgique où les PRA de ce produit. (une mère qui achète à son enfant ce qu’elle a eu ou rêvait d’avoir étant petite) ont un fort capital sympathie envers la marque. Il est aussi à noter que l’attaque sur Mattel a été rendue encore plus difficile dans la mesure où la marque Mattel n’est pas une marque très mise en avant. (à l’instar d’Unilever sauf peut-être récemment pour cette dernière)
Conclusions
La vidéo Volkswagen a été aussi vue que celle de Nestlé. Pourtant elle n’a pas semblé être un danger. Pour la vidéo Mattel, on peut même parler de flop complet. En un an, Greenpeace a multiplé 3 actions via Youtube. Depuis, c’est presque le calme plat. Après un succès via Nestlé où tous les éléments étaient présents, Greenpeace n’a reconduit qu’un des éléments qui a fait son succès dans cette dernière : les codes de la publicité de la marque mis en cause. Alors que les crises sur le Web naissent de l’indignation, de l’émotion vive, Greenpeace a utilisé l’émotion du rire ce qui a fait que c’est devenu plus une blague potache à se partager qu’un matériel viral servant d’argument de fond. De plus, on enlève toute empathie possible (le fait de pouvoir se mettre à la place de l’acteur ou d’être dans un espace géographique connu). Enfin, Greenpeace n’a plus jamais montré et associé ostensiblement le produit incriminé avec le problème dénoncé alors que dans la publicité anti-Kitkat, le produit et l’usage imagery (le fait de manger avec un craquement reconnaissable) sont montrés clairement, voire dénaturés. Non à n’en pas douter, la seule et unique chose pour comprendre cet échec est de dire que Greenpeace n’a rien compris à ce qu’elle avait fait et que Greenpeace a cru qu’il suffisait de reprendre un univers parodié pour assommer une marque.
Tant mieux pour les marques, tant pis pour ses adhérents.
Edit du 26 août 2013
Hier Greenpeace a lancé un gros coup au GP de Spa Francorchamps, jugez plutôt :
Magnifique visibilité, attention maximale des gens via des commentaires puis article dans la presse. Coup de maître pour Greenpeace pourrait-on dire. Pourtant, je trouve qu’il n’en est de nouveau une fois rien, car Greenpeace n’a toujours pas compris comment mobiliser les gens en dehors de leurs clients et prospects habituels. C’est une fois que la tension est à son maximum, qu’on a tout fait mousser qu’il faut délivrer un message, comme le mécanisme de propagation d’un bad buzz. Or de message, il n’y en a aucun. On ne sait pas pourquoi on vise Shell : Pourquoi eux et pas un autre ? Ensuite, Greenpeace s’entête à faire de la parodie puisqu’ici on est de nouveau dans une parodie de la publicité Mastercard. Le troll, l’humour, est un très bon vecteur de buzz pour que cela circule entre les réseaux, mais ici, le troll est déjà évident, le fait est déjà marrant, pourquoi reprendre le « priceless » là où on peut faire passer un message concret, dire pourquoi Shell ainsi que les enjeux ? Pour les personnes déjà sensibilisés à ces questions, nul besoin de leur expliquer, cette vidéo est donc parfaite pour les « clients » actuels de Greenpeace, par contre, dès que l’on s’éloigne du cœur de cible, la vidéo ne sera que transmise accompagné d’un « LOL le TROLL » sans indignation quelconque. Cette opération est donc une belle publicité pour Greenpeace, mais pour réaliser ses objectifs, elle rate son coche : Greenpeace n’a toujours rien compris de son succès. Tant mieux pour Shell, tant pis pour ses adhérents.
Edit du 3 juillet 2014
Empêtrée dans son combat contre Shell, la marque décide de faire un mouvement stratégique habituel lorsqu’on arrive pas à toucher sa cible principale : identifier un partenaire et essayer par ce bout là. Sa cible : Lego.
Greenpeace reproche à Lego un partenariat avec la marque Shell noué en 2011 pour que le logo de cette dernière soit utilisé sur les garages des jeux de construction Lego. Comme d’habitude, Greenpeace choisit un acteur totalement inapproprié, car Lego est une marque iconique et l’attachement à la marque est grand. En tant qu’ONG, on se bat pour une cause c’est-a-dire que lorsqu’on demande aux gens de se mobiliser, c’est pour un but bien précis. Ce but doit être clairement identifié, pertinent et atteignable. Si l’attaque de Lego s’inscrit dans une stratégie lancée il y a un an, pour les personnes non sensibilisées aux actions de Greenpeace, la pertinence est tout à fait absente. Une personne lambda tombe sur cette opération, elle cherche donc à voir les motifs de Greenpeace pour s’attaquer à la marque bien connue et bien aimée. Elle découvre que l’on vise Lego, car elle utilise ce garage :
Qui utilise le logo de la marque Shell, ce qui lui procurerait une publicité estimée à plusieurs millions. Le raccourci est grossier : grâce à la publicité faite pour Shell, le pétrolier pourrait exploiter le pétrole en Arctique. Cette exploitation ferait que des ours polaires meurent et contribuerait à la fonte des glaces. L’ensemble de l’histoire est bancal et ne tient que par le récit de Greenpeace. A partir du moment où l’on propose une histoire qui ne tient que si on la raconte, on perd tout capital de mobilisation. L’ensemble fait penser à une tour de Lego prête à s’effondrer au moindre argument. Du coup, le patron de Lego n’a qu’à botter en touche en parlant de l’instrumentalisation de Greenpeace et de rappeler que : « les contrats de copromotion, à l’instar de celui passé avec Shell, constituent l’un des nombreux moyens de rendre les briques accessibles à davantage d’enfants ». Avec cette opération, Greenpeace communique à nouveau uniquement pour ses fans et ses aficionados, ceux qui porteront le message au moindre appel de l’organisation. Greenpeace n’a décidément rien compris à son succès et continue à communiquer pour les gens partisans, car elle échoue à la construction de son message en rendant celui-ci impossible à porter sans passer pour un activiste écologiste. Un vrai message est un message qui indigne tout un chacun et qui peut se porter sans artifice. Cette campagne contre Lego ressemble à un montage fait à la colle Pritt. On se demande si cela ne démontre pas le problème de ne recruter que des gens qui ont un intérêt pour l’ONG, car ceux-ci pensent leur message évident et n’adoptent donc aucune position emphatique. Alors que d’autres ONG semblent de plus en plus comprendre les filons de la mobilisation sur le Web, Greenpeace dérive autant que la banquise qu’elle cherche à protéger.