Ce mardi, l’agence Buzzman lançait un artefact de communication à l’aide de Raymond Domenech pour sensibiliser sur les violences conjugales. Malgré le fait d’avoir théorisé la technique et de vous avoir narré de nombreux cas d’artefact de communication ces derniers mois, je n’avais pas fait d’analyse poussée sur les impacts et le retentissement possibles avec ce genre de technique. Il était donc plus que temps de corriger cela avec l’analyse de ce cas riche en enseignement !
I. Le récit
Tout commence avec le tweet de Raymond Domenech :
À ce tweet, Bertrand Chameroy réagit :
Pendant ce temps-là, Domenech se fait alpaguer par de nombreux twittos. Et déjà quelques minutes après, beaucoup ont découvert le pot aux roses :
En effet, des supports de communication étaient déjà disponibles :
Et même après avoir désactivé le site, la manœuvre ne résiste pas à un petit whois
https://twitter.com/Srmabkian/status/737577078627782656
L’Express est alors sur le coup pour donner la solution sous forme d’article.
Le trending topic va alors permettre de toucher des personnes pas encore au courant de l’astuce :
Certains médias vont alors suivre le mouvement
https://twitter.com/PublicFR/status/737601036932644867
Finalement, vers 17 h, l’agence de communication en charge, Buzzman twittera la campagne avec sa vidéo YouTube
L’association derrière Elle’s Imaginen’nt ne se contentera que de retweeter certains. L’ensemble peut être suivi via ce GIF :
On voit parfaitement que Raymond Domenech et Bertrand Chamenoy apportent la majorité de l’audience grand public pendant que le monde de la comm’ cite Buzzman et l’association en question. On ne voit pas les médias sur cette cartographie, car il faut noter que cette analyse via Visibrain ne prend en compte que le hashtag de la campagne.
II. L’analyse
A. Courbe de vie
Sur Twitter (Source : Visibrain), l’initiative n’a pas réellement “buzzé” puisqu’il n’y a eu que 10 345 tweets à propos de la campagne. L’ensemble est toutefois tout à fait honorable.
Sur le Web de manière globale et avec tous les mots-clefs (Source : Brandwatch), on est également dans un phénomène éphémère :
B. Analyse sémantique
Le Hashtag de la campagne gagne haut la main, mais peine à placer la violence conjugale : (Source : Visibrain)
Mais ce petit bémol est totalement gommé par les tops expressions (sans les retweets via Visibrain)
Le framing dans la presse et sur le Web est également bon et positif :(Source : Brandwatch)
Ce caractère positif dans les articles est d’ailleurs prouvé par ce chiffre (qu’il faut toujours prendre avec des pincettes, car tendancieux, mais ici disons qu’il n’y a pas vraiment match ; Source : Brandwatch)
C. Analyse démographique
Il est à noter que la campagne a essentiellement touché un public.. Parisien puisque 39,5 % des tweetos français provenaient de Paris. On passe à 42,8 % si l’on prend la région Île-de-France.
Analyse intéressante que la répartition homme/femme sur ce genre de sujet et elle est plutôt bonne :
Rappelons que pour obtenir ces statistiques, on prend les prénoms inscrits dans les biographies qui sont croisées avec un répertoire de prénom pour identifier le sexe. La part de other conséquente s’explique par les pseudo, les médias, et les entreprises dans le tas. Seulement, la différence d’expressions entre les femmes et les hommes est plutôt flagrante. Les hommes vont parler de Domenech, foot et violences faites aux femmes (avec le mot femme qui ressort beaucoup plus) :
Tandis que les femmes vont parler d’indignation sélective, de violence, faites aux femmes, et le mot homme va émerger bien plus :
Je vous parlais également d’une communauté très orientée sur l’information et la communication. C’est parfaitement visible dans les occupations des twittos :
Dans les loisirs et intérêts, les twittos sont plutôt fans de sport, foot et de TPMP ce qui cadre bien avec Domenech et Chamenoy qui ont grandement apporté leur audience.
C. Analyse de l’impact
Malheureusement, comme le reveal s’est très vite passé et qu’il n’y a pas eu d’effet de surprise, il y a eu une confusion totale dans la campagne. Au final, ils sont très peu à avoir partagé le reveal en vidéo : (Source : Visibrain)
De nombreux quotidiens ont fait un article : (ils ne sont d’ailleurs pas tous dans la liste fournie par Brandwatch ci-dessous)
Cela a très peu discuté sur les forums et blogs (parce que le teasing autour Domenech n’a pas été fait de manière optimale et que la révélation est venue très vite)
Le buzz et la reprise étaient donc au rendez-vous. Seulement lorsqu’on prend trois indicateurs d’action pur, nous avons un faible taux de vues compte tenu du ramdam :
Il y a eu dans les articles très peu de partages sur les réseaux sociaux :
Les deux sites avec le plus de partages sont Elle et aufeminin.com qui sont des personnes convaincues pour lesquelles la campagne ne va pas changer grand-chose.
La vidéo est également peu partagée :
Enfin, dans ceux qui s’engagent et rejoignent le rôle d’ambassadeur, on peut presque parler de flop :
III. Conclusions
Sur cette campagne, il est donc possible de faire les constats suivants :
Un Artefact de communication se doit de prendre son temps.
Rappelons via mon article sur l’artefact de communication que son principe est de tendre un appât pour que des gens réagissent et que cette réaction finisse par toucher le public cible. C’est ce que j’appelle le paradoxe réactionnel :
Pour ce faire, il faut lancer un trolling sans que la communauté ne se rende compte qu’elle est utilisée à des fins de promotions. La clef de compréhension est ensuite fournie par des articles dans la presse qui jouent le rôle de catalyseur vers lequel on s’appuie pour assurer une audience et vers lequel le “reveal” annonçant le véritable message et la vraie communication est donné aux gens.
Ici, le problème est que la solution est donnée presque 2 minutes après le tweet de Domenech. Il n’y a donc personne qui est trollé, personne qui va voir le deuxième message au complet et donc très peu de masse active qui est touchée par la communication marketing.
Il est nécessaire d’attendre le maximum de temps possible pour capitaliser de l’audience. Pour ce faire, il faut instituer un doute raisonnable qui n’a jamais pu s’installer dans ce cas-ci. Idéalement, la phase de doute est matérialisée sous forme d’articles par la presse, ce qui la force à publier deux articles ! La forme du tweet de Domenech avec un seul hashtag promotionnel n’était également pas adéquate dans ce cas de figure.
Un Artefact de communication ne permet que d’obtenir une seule chose : l’attention
Ici les chiffres de “conversion” sont étonnamment bas. L’artefact de communication ne sert finalement qu’à sa principale force : obtenir l’attention des gens. Par contre, elle ne permet pas de rendre cette attention active et de convertir l’essai. L’artefact de communication ne peut donc être qu’un instrument de visibilité, une machine à awareness. Je serais curieux d’avoir le taux de gens qui associent cette campagne à l’association elle’s imagine’nt.
Un Artefact de communication doit sortir de Twitter
On voit également avec les données démographiques que si un artefact de communication reste sur Twitter, il ne touchera, pour “caricaturer” que le Twittos parisien travaillant dans le monde de l’infocom et éventuellement quelques communautés d’intérêts. Pour une campagne nationale, il est donc indispensable de faire sortir le buzz de Twitter sous forme d’articles, ou par les partages Facebook. (Ce qui est une faiblesse ici si on regarde les partages Facebook des différents liens)
Les égéries apportent leur propre public.
C’est un constat déjà présent dans la littérature scientifique à propos des égéries et on l’avait déjà vu dans le cas de Pénélope Bagieu et de sa BD qui avait réussi à obtenir une communauté autour du monde de la BD dans d’autres communautés connues pour être réactionnaires.
Domenech et Chamenoy apportent une audience fan de football et une audience fan de TPMP. C’est donc une excellente stratégie pour toucher un public bien précis.
Une bonne campagne
Malgré quelques constats négatifs exposés ici et même si la campagne aurait pu être perfectible sur certains aspects opérationnels, terminons en étant clairs et précis sur le fait qu’il s’agit à mes yeux d’une bonne campagne.
Qui peut se targuer d’avoir autant de vues et partages sur un thème récurrent et pour lequel il est difficile de sensibiliser ? La campagne s’intègre parfaitement dans le contexte temporel de l’Euro de football et dispose d’un très bon insight de départ ; le nombre de personnes touchées et impactées est assurément conséquent et il n’est pas certain qu’une autre campagne aurait eu un meilleur résultat.
C’est uniquement la confirmation qu’une simple campagne de communication ne changera jamais le monde du jour au lendemain. Pour cela, il faut du temps et de la sensibilisation au long terme.