On décrit souvent les réseaux sociaux comme la plateforme du futur, celle où se jouent désormais les élections. Cependant, en Belgique, on remarque que le grand public n’est pas réellement présent sur Twitter et qu’il y a pour les politiques très peu d’interaction. Qu’en est-il donc dans la réalité ?
I. Méthodologie
Pour rappel, j’ai publié :
- Une étude complète sur l’homme politique sur Twitter : ICI
- Un baromètre novembre – février ICI (le baromètre Mars-Juin arrive fin du mois !)
Mais pour faire cette étude, j’ai cette fois-ci décidé de partir de plusieurs hommes et femmes politiques du pays dont voici la liste :
- Zahia Khattabi pour Ecolo
- Jacqueline Galant pour le MR
- Olivier Maingain pour le FDF
- Raoul Hedebouw pour le PTB
- Catherine Fonck pour le CDH
- Marc Tarabella pour le PS (et l’Europe)
L’objectif de l’étude est de répondre aux hypothèses suivantes :
- La majorité des publics des politiques sur Twitter sont des journalistes, analystes ou autres politiques.
- Les politiques sur Twitter se retrouvent face à un marché cognitif où ils se battent pour des voix sur base de leurs tweets. Ils partagent donc des followers communs.
- La ligne éditoriale influence les communautés touchées. Par exemple, un politique européen aura une communauté européenne ; quelqu’un visant les médecins touchera les médecins ; quelqu’un visant le public bruxellois aura une communauté bruxelloise.
- Les tweets permettent de toucher une communauté au-delà de leurs simples followers.
Pour répondre à cela je me base sur deux outils
- L’API ouverte de Twitter qui me permet de qualifier le réseau des followers d’un homme politique. Les données ont été récupérées en février 2016 et mai 2016 pour la liste des followers croisées.
- Un panel Visibrain regroupant tous les tweets politiques et médias belges ainsi que leurs audiences du 6 juillet 2015 au 30 mai 2016
Comment lire les cartographies ?
Les cartographies représentent la façon dont les utilisateurs se suivent entre eux. Une couleur désigne une communauté et plus un point est gros, plus celui-ci est suivi à l’intérieur du graphe.
Qu’est-ce qui est considéré comme inactif ?
Tous les twittos qui n’ont plus tweeté depuis 2 mois.
Les limites de l’étude
- L’étude ne considère que 6 hommes et femmes politiques. De plus, ils ont des stratégies et audiences complètement différentes. (Bruxelles, Mons, Europe) C’était intentionnel de ma part afin de voir s’ils disposaient d’une communauté spécifique à leur ancrage géographique ou idéologique.
- L’engagement ne comprend pas les mentions de “quidam”. Par engagement, il n’y a que les retweets de tout le monde et les mentions de journalistes, médias et hommes politiques belges.
II. Résultats
L’ensemble étant extrêmement long, je vous donne directement les conclusions des analyses globales et individuelles.
A. Constats
1. La majorité des publics des politiques sur Twitter sont des journalistes, analystes ou autres politiques.
Il est clair en partant des cartographies des différents hommes politiques qu’une grande part des followers des politiques sont d’autres politiques (oppositions et du même parti), des militants, des journalistes et d’autres acteurs institutionnels (Think Thank, entreprises, fédération, etc.) Toutefois, il aurait fallu faire une classification plus rigoureuse en épluchant tous les followers des politiques, ce que je n’ai pas le courage de faire.
2. Plus on est actif, plus l’audience externe est importante.
Le fait d’être actif sur Twitter permet davantage d’aller au-delà de son audience première. (Ses followers) Ainsi, Zakia Khattabi et Raoul Hedebouw sont les plus actifs et gagnent le plus d’audience externe.
3. Il n’y a pas de marché cognitif.
Dans un monde politique idéal, nous suivrions l’entièreté des hommes politiques afin de faire son choix. Dès lors, Twitter serait un marché cognitif des idées dans lequel nous allons piocher. Ce n’est pas du tout la réalité puisque plus de 90 % des twittos ne suivaient ou n’interagissaient qu’avec un(e) homme/femme politique. Les gens suivent donc les politiques en fonction de leur idéologie. Seulement on remarque que des concordances de publics sont parfois possibles. (Fonck avec Galant et Khattabi avec Hedebouw) Il existe donc un marché cognitif sur des bords politiques plus ou moins semblables. (CDH-MR/Ecolo – PTB / PS-PTB)
4. La ligne éditoriale peut influencer les communautés touchées
La ligne éditoriale et l’ancrage géographique influencent clairement les communautés qui suivent les hommes et femmes politiques. Ainsi, on peut voir Catherine Fonck avoir une communauté médicale et transport ; Khattabi avoir un ancrage bruxellois comme Hedebouw un ancrage liégeois.
5. Les tweets permettent de toucher une communauté au-delà de leurs simples followers.
La part d’audience gagnée (c’est-à-dire une audience qui interagit sans être follower de l’homme ou de la femme politique) est conséquente dans tous les hommes et femmes politiques étudiées.
Cela permet également de dire que les hommes et femmes politiques interagissent rarement avec leur propre parti. Il n’y a pas de “campagne Twitter commune”.
6. La part d’inactifs au sein des followers d’hommes et femmes politiques tourne autour des 30 %
Les chiffres concordent autour de cette mesure.
7. L’Europe est un monde à part
De la cartographie des followers de Marc Tarabella, on distingue clairement une communauté isolée par rapport au reste des journalistes et du grand public belge. Cela montre les défis de la démocratie européenne à sensibiliser le public aux problématiques européennes. De plus, cela ne passionne pas réellement les foules dans la mesure où Marc Tarabella n’a réussi à engager 3,7 % de son audience en un an !
8. Il y a plus de spectateurs que d’acteurs.
On dénombre 15 990 followers différents pour ces 6 personnes. 6991 sont inactifs, laissant 8999 followers différents. Ils sont 3860 twittos différents à avoir interagi avec les 6 dont 2953 ne suivent pas les hommes avec qui ils ont interagi. Cela fait une grande part de personnes actives qui suivent les hommes et femmes politiques qui n’interagissent jamais avec ceux-ci pendant plus d’un an ! Les études montrant le taux élevé de spectateurs sur le Web sont donc confirmées.
B. Recommandations
De l’ensemble de ces constats, on peut tirer les recommandations suivantes :
- Il faut une activité constante et régulière
Sortir sur Twitter uniquement pour lâcher une petite phrase qui fera sensation dans la presse a un sens en termes de couverture médiatique, mais ne suffit pas pour engager une audience spécifique au long terme.
- Il faut une ligne éditoriale
Nul ne sert de tweeter sur tout et n’importe quoi, car cela ne permet pas d’avoir d’audience spécifique sur laquelle reposer. Une ligne éditoriale permet de crédibiliser et d’asseoir un homme ou une femme politique dans un domaine particulier.
- Il faut des stratégies communes
Très peu de partis sortent en meutes à l’instar du FN en France. Ce manque de coopération entre les membres d’un parti politique démontre le manque d’organisation de ceux-ci sur les réseaux sociaux.
III. Analyse
-
Comparaison de l’échantillon
Raoul Hedebouw est clairement la personne la plus suivie.Vient ensuite Jacqueline Galant qui profite quelque peu de sa position de ministre pour asseoir son audience.
La proportion d’inactifs parmi les followers des hommes et femmes politiques semble assez constante : autour de 30 %.
Raoul Hedebouw est clairement le plus actif sur Twitter. Cela a un impact direct sur l’audience gagnée (journalistes ou médias qui ne suivent pas, mais qui ont mentionné le politique + le nombre de personnes ayant retweeté un des tweets de l’échantillon sans être parmi ses followers) qu’il possède :
Seule Jacqueline Galant déroge à la règle de la corrélation entre audience gagnée et activité. La raison est simple : le # galantgate et les multiples crises qu’elle a subis au cours de l’année.
2. Concordance de public
Les followers
Sur les 6 hommes et femmes politiques, il y a 15 990 followers différents.
Le graphique ci-dessus illustre ceux qui suivent 1,2, 3,4, 5 ou 6 personnes sur l’échantillon. On remarque donc que la grande partie de l’audience (77,6 % pour 1 et 12,7 % pour 2) ne suit qu’un seul homme ou femme politique. Seules 137 personnes suivent les 6 politiques. Ce sont probablement des journalistes. Le tableau suivant montre la concordance des followers entre deux hommes/femmes politiques. Il se lit de l’horizontal à la verticale :
Exemple : 41,8 % des followers de Catherine Fonck suivent également Jacqueline Galant, alors que seuls 22,4 % des followers de Jacqueline Galant suivent également Catherine Fonck, etc.
Les couples formés sont donc : Catherine Fonck/Jacqueline Galant ; plus surprenant, mais Jacqueline Galant/ Raoul Hedebouw ; logiquement Olivier Maingain/Jacqueline Galant ; Zakia Khattabi / Raoul Hedebouw et Tarabella/ Raoul Hedebouw.
On peut parler de fort rapprochement entre les followers de Zakia Khattabi et Raoul Hedebouw ainsi que d’Olivier Maingain avec Jacqueline Galant et surtout Catherine Fonck et Jacqueline Galant puisque 41,8 % des followers de Catherine Fonck suivent également Jacqueline Galant.
Voyons ensemble si c’est la même observation pour l’engagement.
L’engagement
L’engagement est sporadique et insignifiant puisque seules 3860 personnes différentes ont interagi avec les 6 hommes et femmes politiques sur une période qui couvrent quand même un an.
Le constat est le même pour l’engagement puisque seul 0,2 % des publics ont interagi avec les 6 hommes et femmes politiques. Il s’agit de :
- 19fry78
- ChatLeRoy
- jeremietoj
- lapremiere
- marcvama
- michelhenrion
- valerieblondiau
J’ai également réalisé un tableau des concordances. Il se lit de la même manière : de l’horizontal à la verticale.
Exemple : 5,4 % des personnes qui ont interagi avec Catherine Fonck ont également interagi avec Jacqueline Galant, alors que seuls 2 % des personnes qui ont interagi avec Jacqueline Galant l’ont également fait avec Catherine Fonck, etc.
Là encore, on retrouve les mêmes associations. Il est par contre très frappant de voir que ceux qui sont le moins actifs sur Twitter partagent une grande partie de leur engagement avec les autres hommes politiques. Olivier Maingain a presque 10 % de ses engagements partagés avec les autres ce qui est assez énorme. Sa stratégie de petites phrases distillées de manière sporadique (voir Annexes) est donc peu efficace s’il compte gagner des voix.
IV. Annexes
Je vous laisse le détail de l’analyse pour les petits curieux qui veulent voir tous les détails !
-
Catherine Fonck
Le résumé
Catherine Fonck a une activité constante sur Twitter avec un “framing” assez clair : les hôpitaux, le transport, le gouvernement belge et la laïcité. Elle dispose de deux communautés très spécifiques : une médicale et une sur le survol de Bruxelles. Cependant, elle peine à obtenir une audience spécifique à elle, et elle partage beaucoup de followers avec le mouvement libéral. (C’est une constante chez tous les CDH déjà identifiés dans l’étude Homo Politicus Belge)
a) Son réseau de followers
Les communautés de Catherine Fonck sont :
Vous pouvez avoir un zoom en image sur les différentes communautés en cliquant sur des catégories.
b) Son réseau d’activité
Ses hashtags
Ses expressions
Public qui retweetent et politiques/journalistes qui mentionnent : 775 personnes.
- Moyenne des followers du public engagé : 2207
- Followers engagés : 296 personnes
- Audience owned : 479 personnes
2. Jacqueline Galant
Le résumé
Jacqueline Galant dispose d’une communauté spécifique à sa position géographique. Cependant, elle peine à dégager une audience spécifique sur un domaine particulier. (Même au niveau des transports) Son activité est subie dans la mesure où des pics correspondants à ses gates émergent du reste.
a) Son réseau de followers
Les communautés de Jacqueline Galant sont :
Vous pouvez avoir un zoom en image sur les différentes communautés en cliquant sur des catégories.
b) Son réseau d’activité
Ses hashtags
Ses expressions
Public qui retweetent et politiques/journalistes qui mentionnent : 1141 personnes.
- Moyenne des followers du public engagé : 5180
- Followers engagés : 401 personnes
- Audience owned : 740 personnes
3. Olivier Maingain
Le résumé
Olivier Maingain a une activité extrêmement irrégulière sur Twitter, rythmée par de petites phrases. Ses thèmes de tweets sont la périphérie bruxelloise, le RER, et la laïcité. Du fait de sa relative inactivité, il engage extrêmement peu de personnes, et les partage en plus avec d’autres acteurs. Il a néanmoins réussi à capter une audience bruxelloise.
a) Son réseau de followers
Les communautés d’Olivier Maingain sont :
Vous pouvez avoir un zoom en image sur les différentes communautés en cliquant sur des catégories.
b) Son réseau d’activité
Ses hashtags
Ses expressions
Public qui retweetent et politiques/journalistes qui mentionnent : 328 personnes.
- Moyenne des followers du public engagé : 3615
- Followers engagés : 160 personnes
- Audience owned : 168 personnes
4. Zakia Khattabi
Le résumé
Zahia Khattabi a réussi à capter une audience écolo très spécifique (allant jusqu’aux écolos de France). Elle dispose également d’une audience socialiste, et partage beaucoup de son audience avec Raoul Hedebouw. Son activité est parfaitement régulière ce qui lui permet d’avoir un très bon taux d’engagement, en plus de disposer d’une audience spécifique. Il est toutefois assez difficile de dégager une ligne éditoriale claire de son activité. Le nuage d’expression fait dégager essentiellement des mots réactionnaires (braise dans un jeu, hystérie, jeu politicien, etc.)
a) Son réseau de followers
Les communautés de Zakia Khattabi sont les suivantes :
Vous pouvez avoir un zoom en image sur les différentes communautés en cliquant sur des catégories.
b) Son réseau d’activité
Ses hashtags
Ses expressions
Public qui retweetent et politiques/journalistes qui mentionnent : 1178 personnes.
- Moyenne des followers du public engagé : 3381
- Followers engagés : 519 personnes
- Audience owned : 659 personnes
5. Raoul Hedebouw
Le résumé
Raoul Hedebouw dispose d’une communauté spécifique à Liège tout à fait conséquente. Il est celui des 6 qui a d’ailleurs le plus d’ancrage local dans ses communautés. Son activité est très grande et fonctionne en “épisode” au gré des saillies qu’il mène contre le gouvernement. C’est peut-être d’ailleurs celui où la période de congé parlementaire est la plus évidente.
a) Son réseau de followers
Les followers de Raoul Hedebouw sont regroupés en communautés :
b) Son réseau d’activité
Ses hashtags
Ses expressions
Public qui retweetent et politiques/journalistes qui mentionnent : 1368 personnes.
- Moyenne des followers du public engagé : 2089
- Followers engagés : 603 personnes
- Audience owned : 765 personnes
6. Marc Tarabella
Marc Tarabella est très peu actif sur Twitter et ne dispose presque pas d’audience spécifique. Il tweete en “vase clos” : aux socialistes, à l’Europe et aux journalistes. C’est d’ailleurs l’occasion de voir que les communautés européennes ont très peu en commun avec le monde belge. On peut déceler facilement les périodes où il ou son community manager prend congé. (Août, vacances d’automne et pâques) Ses thématiques sont clairement européennes et il tweete rarement hors du cadre de ses activités. Cela fait qu’il n’engage que des journalistes et hommes politiques, et très peu son audience (3, 7 % ! 5 points de moins que l’autre plus bas score)
a) Son réseau de followers
Les communautés de Marc Tarebella sont :
b) Son réseau d’activité
Ses hashtags
Ses expressions
Public qui retweetent et politiques/journalistes qui mentionnent : 295 personnes.
- Moyenne des followers du public engagé : 2917
- Followers engagés : 153 personnes
- Audience owned : 142 personnes
Voilà, bravo si vous êtes arrivés jusqu’ici, vous ne manquez pas de courage 🙂