La machine éditoriale du buzz s’est enclenchée, le Huffington Post, Franceinfo et Rue89 en ont fait leur choux gras. J’ai vu la polémique monter, je l’ai trouvée drôle au début et elle a pris une ampleur telle que cela en devient intéressant tellement le phénomène dénote un système qui fonctionne en vase clos, et qui tourne fou, raison pour laquelle j’avais envie de coucher mon humeur sur vos écrans.
I. Introduction
Si vous n’êtes pas un habitué de Twitter ou un « digital » boy qui traîne 24/24 sur le Web, il se peut que vous n’ayez jamais entendu parler de ce pétard mouillé autour de Nutella. Nutella a lancé une campagne « dites-le avec un Nutella » qui permet de partager un message :

Comme dans n’importe quelle campagne social media personnalisable, ou via un robot, des internautes essaient de jouer au plus malin. Pas plus tard que le mois passé, Coca Cola en avait fait la dure expérience avec son bot sensé transformer les messages négatifs en positifs et qui a fini par diffuser des messages nazis. Du coup, Nutella a décidé de bannir certains mots dont voici la liste :

Car l’internaute est devenu sournois, à l’affût du premier Buzz qui lui permettra d’augmenter son score de Klout, dans l’espoir de recevoir un merveilleux Perk de la part d’Orange qu’il pourra diffuser à ses followers pour montrer toute l’étendue de son influence. Du coup, quand il n’arrive pas à ses fins, il contre-attaque en trouvant la faille : « hey Nutella, tu ne veux pas que je mette va te faire enculer sur ton pot de Nutella, tu vas recevoir un bad buzz ».
Pendant ce temps-là, le fainéant qui végétait sur Twitter à l’affût du premier truc croustillant lâche le mot absolu :
Bad buzz, voilà, c’est dit ! Le mot Bad buzz est lancé. Du coup, les plus grands analystes pourront se ruer sur la chose :
Les grands principes du bad buzz tels qu’ « éviter la censure » survienne :
Il est vrai que bloquer les mots bites, couilles, vaches, nichons et autres mots voltairiens de la littérature française est en tout point une véritable censure. Finalement, les seules personnes douées d’un peu de jugeote sont ceux qui voient en l’open shot Twitterspheresque l’opportunité de faire monter leurs combats politiques :
https://twitter.com/LeilaRaspberry/status/570286818891071488
Pendant ce temps-là, Libération sera déçu d’avoir raté le scoop et se verra obligé de faire un « article de niche » pour expliquer comment détourner efficacement la censure pour lâcher des mots sensibles. Si nous ne sommes pas dans le domaine de l’idiotie, je ne sais pas où nous sommes.
II. « Analyse »
Si j’analyse ce cas dans le temps : 
Je peux voir que par ordre de comparaison avec la mort de son inventeur, on est dans le registre de la crisounette avec une augmentation de l’ordre de 1000 à 2500 tweets en plus par rapport à la normal, ce qui constitue une crisounette pure. Crisounette ?
Crisounette, crise ou… ?
Parce que dans le mot crisounette, il y a toujours le mot crise, il convient de donner la définition d’une crise. Pour Thierry Libaert, il s’agit « la crise est la phase ultime d’une suite de dysfonctionnements mettant en péril la réputation et la stabilité d’une entreprise« . Vous serez d’accord qu’on en est loin. Je donnerais donc plutôt la définition de « transition entre deux états » qui est la définition de Marie-Hélène Westphallen.
Pour qu’il y ait une transition, il faut qu’il y ait deux états différents. Dans le cas qui nous occupe, à moins que vous n’ayez été exilé sur une île déserte en compagnie de Robinson durant les 10 dernières années, vous ne serez pas dans l’ignorance qu’il y a bel et bien de l’huile de palme dans le Nutella. Ouf ! Vous voici informé d’un secret d’État. Puisque nous en sommes à révéler des confidences inavouables, il y a une deuxième information qu’il faut que vous sachiez : le Nutella n’est pas aussi sain qu’un fruit. Si vous ne mangez donc que cela, il se peut que l’obésité soit un compagnon de vie.
Bref, pour qu’il y ait crise, il faut que l’organisation, la communication de l’entreprise ou l’image/opinion des publics soient bouleversées par la nouvelle information. Or, il n’en est rien. Il ne peut donc pas y avoir de crise. Il y a d’ailleurs un certain paradoxe à ce qu’on dise que la réputation de Nutella est en danger alors que si ce cas existe, c’est justement en raison de la réputation de la marque.
Le sens unique
La semaine passée, je faisais un billet de théorisation sur le fait qu’il serait de plus en plus difficile de garder une campagne social media 100 % sans risque. J’y disais :
1. La création d’un média auquel tout le monde a accès
Lorsque vous lancez un hashtag ou une campagne, vous créez une visibilité autour d’un média dont vous n’avez pas le contrôle. N’importe qui peut aller s’emparer de votre public, un peu comme si vous organisiez un gigantesque Cocktail Bar, mais que l’orateur qui parlera est un détracteur convaincu.
2. Sur les réseaux sociaux, pas de réputation washing : on récupère sa réputation.
On ne redore pas son image sur les réseaux sociaux. Celle-ci vous suit sur les réseaux sociaux. Il n’y a en réalité presque pas de crise pour ces entreprises : elles ne perdent aucune réputation. Elles découvrent juste ce que la majorité des internautes pense d’elle. Le seul risque est qu’une personne neutre de prime abord se fasse influencer par la masse et ait désormais une opinion négative pour se conformer aux avis du groupe.
La remarque est exactement la même pour le cas qui nous occupe à la différence près que l’on a l’impression que quoi que Nutella fasse, les gens auraient crié au bad buzz :
- Si Nutella ne bannit pas les mots-clefs, on la taxera d’amateurisme, et des pots de Nutella avec des « cacas, huile de palme, etc. » surgiront.
- Si Nutella bannit les mots-clefs, on sort des mots lourds de sens : CENSURE.
On est donc dans une situation où quoi qu’il arrive, Nutella est dans l’impossibilité de communiquer en utilisant les codes des réseaux sociaux sans avoir le mot bad buzz qui survienne. Cet état de fait explique bien mon premier postulat : il n’y a pas de crise dans la mesure où l’entreprise récupère uniquement sa réputation. Celle-ci ne change pas suite à la campagne.
Un objectif rempli
Il y a d’ailleurs un certain paradoxe à l’heure où tout le monde dit que le bad buzz a lieu dans la mesure où l’objectif de campagne de Nutella est finalement complètement rempli. Via cette campagne, il y avait pour but de s’approprier le produit pour le personnaliser : que vous y écriviez grosse vache, juif ou autres n’a finalement que peu d’importance. Il ne suffisait plus qu’à le signaler aux gens :
Conclusions
Le mot bad buzz est de plus en plus galvaudé, à mesure que celui-ci devient connu par la majorité des gens. La limite de mes alertes « mention » mensuelles est désormais atteinte en un temps record, tant les magazines People l’utilisent pour un oui, ou pour un non.
Le cas Nutella est de nouveau un véritable pétard mouillé qui illustre la consanguinité twittosphocommunicante : quand le Parisien discute avec son collègue ou son voisin de palier sur Twitter et appelle ça du buzz.
Les médias profitent du côté croustillant qu’offre la marque Nutella, marque émotionnelle qui est une machine à clic autant pour ceux qui l’aiment que pour ceux qui la détestent tandis que les consultants social media viennent de gagner une slide dans leur présentation où ils pourront apposer une expertise toute relative en phénomène éphémère.
https://twitter.com/Meriadeck/status/570230212451024896
Pour rappel, il y a eu deux bad buzz par semaine en 2014, et 2015 est bien parti pour confirmer la tendance. Le bad buzz est de plus en plus le magazine People du communicant, celui où on voit les varices gaffes des Stars grosses marques tandis que les médias qui les diffusent appellent cela du journalisme marketing. Par contre, que l’on ne vienne pas me dire qu’il s’agit là de crise alors que je n’oserais même pas appeler cela une crisounette.