Il y a 10 ans, le premier badbuzz avait lieu. Un internaute essaie de contacter une entreprise pour lui dire que son produit, un cadenas, peut être ouvert avec un simple bic. Sans réponse, l’internaute publie une vidéo sur un blog. Plus de 3 millions de visites et 9 jours après, l’entreprise met en place un échange gratuit. Celle-ci n’y avait pas survécu : le mythe du badbuzz destructeur était né.
Aujourd’hui, après 10 ans et 197 cas plus tard, nous en sommes à un point où il y a eu en un an presque autant de cas que 9 ans durant.
On a même vu des cas où des marques provoquent sciemment un badbuzz dans le but de faire du buzz. Dès lors, est-ce que ce genre de crise a encore un impact ? Quel sens peuvent-elles donner aux entreprises qui les subissent et à ceux qui ne les subissent pas ? Qu’est ce que cela nous dit sur notre société ?
C’est à ces questions que je vais tenter de répondre en faisant un sense-making des crises 2.0 . J’ai également adapté le mot sens avec un artifice pour les faire coller aux 5 sens des êtres humains.
1. Le goût : l’importance d’identifier les actifs en jeux : crisounette ne veut pas dire crise.
S’il y est vrai qu’il y a plus de crises qu’auparavant, il faut aussi signaler qu’elles sont la plupart du temps négligeable. Ainsi il y a 88 % crises éphémères en 2013 pour 36 avant 2010.
Dès lors, il faut clarifier les actifs qui sont en jeux. Pour ce faire, j’ai réalisé un travail scientifique sur la réputation et sa place par rapport à l’e-reputation. Je me suis souvenu de mes cours de physique en latin-science et plus particulièrement de la théorie du noyau. Le noyau est ainsi composé de nucléons extrêmement liés et sa cohésion est assurée par l’interaction, forte, qui maintient l’ensemble. Je me suis dit que c’était exactement cela la réputation ! Je les ai classés en 3 couches distinctes :
- Le noyau réputationnel : il est relativement inerte, c’est un phénomène de construction très lent. Il y a une interaction forte entre chaque élément ce qui maintenant l’ensemble des éléments entre eux pour former un ensemble homogène Ces éléments sont les valeurs de marque (au sens de Fombrun), de son histoire, de l’expérience collective, des responsabilités sociétales et de l’image ancrée (le noyau d’image qui s’est transformé en réputation)
- Le noyau d’image : il est constituée de l’expérience vécue, l’influence ancrée (par exemple l’homme nu est une image qui est restée), les campagnes marketing, ce que la marque renvoie comme image (employés, logo, etc.)
- Le noyau d’influence : une couche extrêmement volatile que je rajoute par rapport aux théoriciens de la réputation qui se sont focalisés sur l’image et la réputation comme actif intangible, mais n’ont jamais su placer la rumeur, le bouche-a-oreille ou la place des égéries qui ont su parfois créer des réputations. Il est composée des rumeurs, des avis de tiers ou conseils de proche, de ce que dit Google sur une marque, du sponsoring ainsi que des égéries.
Propriétés du noyau réputationnel
- Le noyau d’influence est extrêmement volatile. On peut parler en terme d’heures.
- Le noyau réputationnel est relativement inerte. On parle en terme d’années.
- Il faut un certain temps, très léger et de la répétition pour faire passer de l’influence à l’image.
- La réputation est la seule qui opère sur chaque couche. Elle rejaillit sur l’influence, et sur l’image.
Ce n’est qu’après qu’on applique à la réputation des indicateurs, et la tonalité en fonction du public qui construit le noyau. Le noyau est une tâche qui agit comme un test de Rorschach pour le récepteur. C’est le récepteur qui décide si un aspect est négatif ou positif. Ainsi, une vague de licenciement parmi une entreprise peut être très négative pour l’employé de celle-ci en terme d’image, relativement négatif pour le grand public, mais extrêmement positif pour un investisseur. On brise avec cette théorie un des grands soucis des théoriciens de la réputation qui réfléchissent en terme de stakeholders.
Ces indicateurs sont aussi la visibilité de chaque couche. Ainsi, une notoriété plus grande permettra à la marque d’être plus connue et donc d’avoir un noyau réputationnel plus répandu parmi le public quant à son histoire, ses RSE, son logo et son image. Cette notoriété permet ainsi d’avoir de meilleurs actifs qu’une autre marque moins connue et donc beaucoup plus volatile par rapport au noyau d’influence. La notoriété et la visibilité ne sont donc pas de la réputation en tant que telle, mais un indicateur. De même le placement SEO permet de placer des contenus qui seront plus visibles et qui auront donc plus d’impact dans l’évaluation des couches réputationnels, mais il ne s’agit pas d’é-réputation.
Applications pratiques
- Cette nouvelle théorie permet d’expliquer un certain nombre de cas de crise 2.0 :
- Lorsque la police de New York arrive sur les réseaux sociaux et demande aux citoyens d’envoyer des photos #MYNYPD, elle ne récolte que sa réputation.
- De même lorsque le PDG de Ryanair fait une séance de Q & A sur Twitter, il est normal qu’il récolte sa réputation
- Lorsque des marques n’ont pas considéré la sphère d’influence de manière indépendante (être présent sur les réseaux sociaux) et n’ont fait que des campagnes marketing, on parlait d’elle dans la sphère d’influence sans qu’elle n’en soit au courant. Cette sphère d’influence a ainsi perturbé tout le travail d’image de la marque.
- Certains bad buzz ne dépassent jamais la sphère d’influence. Ils ne créent ainsi pas d’image et n’ont donc aucune chance d’affecter la réputation d’une entreprise. A contrario, si la marque continue encore et encore à susciter le bad buzz sur certains aspects, cela finit par nuire à son image, et avec le temps, cela affecte considérablement sa réputation.
- Lorsqu’une marque fait une publicité sexiste, elle attaque directement la perception de ses valeurs de marques. C’est donc un jeu beaucoup plus dangereux qu’il n’y paraît.
- Un bad buzz peut créer une image (cfr : l’homme nu de La Redoute), mais cela ne veut pas forcément dire que cette image est négative.
- Les cas de crise 2.0 les plus graves sont ceux qui attaquent directement l’image ou le noyau réputationnel de la marque (Abercrombie, Barilla, Kryptonite, Nestlé, etc.)
Nous pouvons cela à travers une simple expérience :
Influence : E-réputation
J’arrive dans l’hôtel du Parc, la personne à l’accueil me répond de façon malpolie. Une fois dans ma chambre, je tweet négativement sur l’hôtel.
Image : Marketing
Je quitte l’hôtel du Parc. Après ma mauvaise expérience des premiers moments, j’ai passé une semaine excellente. L’expérience vécue est bonne, j’en ai une bonne image et je le recommande à mes amis (influence)
Réputation : les relations.
Je suis maintenant client depuis 20 ans de l’hôtel du Parc. Bien que j’ai encore eu quelques petits soucis, c’est pour moi le meilleur hôtel de la ville et j’y reviens à chaque fois.
Si le seul actif en danger dans un bad buzz est la sphère d’influence qui est dans une situation volatile, il faut dès lors se reposer sur sa réputation et ses valeurs de marque pour réagir à celui-ci. Cette vision revient à dire qu’il faut changer le paradigme qui dit : « tremblez marques, les consommateurs ne sont plus des consommateurs : ce sont des consom’acteurs : ils ont pris le pouvoir et peuvent vous démonter en un clin d’œil » pour une vision long terme du bad buzz « les gens vous regardent, on vous pose une question, profitez-en pour exposer les valeurs de votre marque. »
Un badbuzz, ce n’est pas lorsqu’un consommateur prend à partie une marque, ca n’est pas lorsqu’une visibilité factice les prendrait en otage
Un badbuzz, c’est dans le cas où vous ne profiteriez pas de cette visibilité factice, ou pire lorsque vous adopteriez un comportement qui nne reflète pas ses valeurs de marque. La crise 2.0 devient alors un espace d’expression où le message reflétera le positionnement et les valeurs de la marque.
2. L’ouïe : l’importance d’aller au-delà du bruit en identifiant les forces en présence.
Autre nécessité, l’importance d’aller au-delà du bruit. Le badbuzz produit du bruit, s’en est même sa définition. Pourtant, il est nécessaire de faire de comprendre ce bruit, le décortiquer, voir s’il est vraiment si négatif que cela.
Ainsi lorsque Deezer subit un badbuzz pour avoir accéléré la migration de ses utilisateurs gratuits vers le modèle payant en limitant à 5 h la possibilité d’écoute gratuite de musique par moi, on peut se demander si les gens qui sont réfractaires sont réellement importants. C’est cynique, mais la question se pose.
On peut également voir des végétariens qui attaqueraient Charal.
À cet effet, des chercheurs ont trouvé les 6 types de conversation sur Twitter qui permet de déterminer à quel type de conversation nous avons affaire.
J’ai personnellement pu tester cela avec un cas de crise de M6.
M6 a été attaqué par une ONG musulmane barakacity parce qu’elle organisait Pékin Express en Birmanie alors qu’un massacre de musulmans s’y déroule actuellement. J’ai donc été analysé les conversations et les liens entre les intervenants. Pour l’analyse des conversations on peut identifier Barakacity Al kanz et ceux qui attaquent directement M6, ainsi que quelque faible isolés relié à Al Kanz et Barakacity.
Et effectivement quand j’analyse les liens entre les personnes qui se sont manifestés (donc leur lien followers/following), j’obtiens une spirale parfaite, avec tout connecté autour de barakacity et Al Kanz.
A contrario, voici le schéma que l’on observe pour le cas de la BD Intermarché. Beaucoup de communautés, un amas, et des isolés non montrés sur le graph.
On comprend donc l’intérêt d’aller au-delà du bruit.
3. L’odorat : l’importance de tirer les vrais enseignements.
Pour illustrer mes propos, je prends le cas d’une crise fonctionnelle à savoir celle du Festival de jazz de Montreux qui veut faire la publicité de sa garderie pour enfant. Problème, petite boulette, ils ont utilisé la photo du petit Gregory, un enfant assassiné.
La publicité est reprise dans un tweet qui va créer le badbuzz. Si on théorise cela :
Un produit ou service pose problème, ce que j’ai appelé le trigger va déclencher le badbuzz. Le Trigger, c’est :
- Un commentaire négatif (ex. : La Fnac)
- Un élément émotionnel qui va susciter l’indignation/le scandale (ex. : la vidéo KitKat)
- Un moment de visibilité éphémère ou un moment où la preuve du dysfonctionnement du service ou du produit est à son paroxysme (ex. : Bank of America)
- Un déclencheur influent (ex. : Intermarché)
Ce qui compte donc, ce n’est pas le trigger, ce qui va déclencher, mais ce qui pose problème, ce que souligne le trigger.
- La crise Nestlé n’est pas la faute de Greenpeace, c’est la faute d’un fonctionnement de l’entreprise. (l’utilisation d’huile de palme)
- Dans la crise Fnac, le problème n’est pas la plaignante, mais le SAV.
- La crise Montreux, ce n’est pas la faute à pas de chance qu’un seul twittos a su voir l’erreur, c’est la faute au directeur de communication qui n’est même pas capable de s’acheter un accès à une banque d’image pour ses stagiaires et qui va l’envoyer comme bouc émissaire.
En bref, j’avais paraphrasé cela avec : quand le sage montre la crise, l’idiot regarde le badbuzz.
4. La vue : l’importance du détail. (Implication sur l’embush Public relations via l’artefact de communication.)
Un certain nombre de crises 2.0 n’a lieu que par hasard. Ainsi, 99 personnes sur 100 peuvent passer sur la chose sans rien remarquer, mais il suffit d’une personne qui donne « la clef de lecture ». Comme cette cafetière JcPenney où il faut vraiment que l’on donne l’image à côté pour décrypter l’image de cette façon :
Où ici, où la carte du Maroc est amputée du Sahara, une zone séparatiste :
Là où Kookai a fait le bad buzz uniquement pour l’utilisation d’une rose qui symbolise le sacrifice de Jesus Christ, chose qui fait tache lorsqu’on l’associe avec l’enfer.
En Allemagne, c’est Ariel qui a eu un bad buzz. La raison ? Sur ses packaging, les chiffres 88 et 18 qui sont des codes utilisés par les jeunesses hitlériennes parce que 1 = À et 8 = H –> Adolf Hitler. Pour 88, cela donne Heil Hitler. Cela va loin ? Oui.
Qu’est-ce que cela nous dit ? Que nous sommes entrés dans une nouvelle ère : celle du culte du détail où un petit détail va faire la différence. Comme dans le cas de cette bible aux USA où la mention fiction est apposée :
Dans cette publicité Numéricable, une URL www.jeveuxuneboué.fr est affichée pendant 1 et 1 seule seconde :
Un internaute a l’idée de vérifier si le nom de domaine est réservé, et non. Il s’en sert pour crier son amour de Numéricable :
Conférence de presse de François Hollande où il va enfin s’expliquer sur son affaire en scooter. Problème, une coquille se glisse dans le pseudonyme Twitter du pupitre :
Du coup, tout le monde ne parlera plus que de la coquille et du compte parodique qui réunira 2000 followers :
ilde Crevits, ministre flamande de l’Environnement et des Travaux publics (CD & V), a voulu lancer une initiative originale en pleine campagne électorale. Elle a ainsi décidé d’élaborer une affiche sur laquelle elle apparaît en image, mais avec des selfies d’anonymes.
Seulement, des petits malins ont mis des photographies d’élus NVA et même du responsable de la tuerie d’Aurora.
Finalement qu’est ce que cela dit aux marques ? Que tout est dans le détail. Aujourd’hui, c’est bien simple, si nous étions sur Internet, vous n’existeriez pas. Car si vous ne parlez pas, vous n’existez pas. S’en est même plus loin lors des événements, si vous ne tweetez pas, vous êtes en dehors du monde.
Or si tout le monde doit parler, il faut trouver de quoi parler. Et lors d’un événement, si vous « liveztweetez » en disant simplement les événements, vous serez 455 avec le même message. Par contre si vous trouvez la petite bête, non seulement, vous serez unique, mais vous aurez une visibilité, car le premier qui vous retweetera aura l’impression de copartager votre découverte. Il faut donc que les organisations comprennent ce culte du détail, en jouant dessus ! Placez dans vos communications des détails qui feront que cela fera la différence. Emparez-vous du contexte. Cela a une implication sur l’artefact de communication que j’ai défini ici.
5. Le touché : l’importance pour une organisation d’être ouverte sur le monde qui l’entoure.
En juillet 2012, suite à la tuerie d’Aurora, le compte Twitter de Celeb Boutique se réjouit de voir l’hashtag #Aurora en trending topic pensant que c’est pour la réussite de la promotion autour d’une robe du même nom.
Le 9 mars 2011, après le tsunami au Japon, de nombreux Français souhaitent revenir en urgence en France. Problème, le prix des tickets est calculé à l’aide d’un algorithme et il faut désormais débourser une fortune pour ceux-ci. La situation est dénoncée sur les réseaux sociaux en plein dimanche alors qu’Air France n’assure pas de service suffisant sur les réseaux sociaux, une seule personne (du service de Presse, pourtant en H24) ne pouvant logiquement pas faire face à des milliers de tweets.
En décembre 2013, l’affaire de la quenelle de Dieudonné bat son plein en France alors que les employés qui jouent le rôle d’Asterix et Obélix au Parc Astérix se font photographier de nombreuses fois avec des visiteurs en faisant une quenelle. Le parc dira que ses employés n’étaient pas au courant de ce que cela signifiait. C’est le même mécanisme par rapport aux valeurs que les gens portent avec l’affaire du thigh gap ( erreur dans l’image !) de Target ou l’huile de palme pour Kitkat.
Enfin, en mars 2014, British Airways a lancé une campagne qui invite à s’échapper et à découvrir l’océan Indien alors que nous sommes en pleine recherche de l’avion de la Malaysia Airlines. Cela choquera évidemment l’ensemble des passants.
Mais je veux surtout insister sur cette dernière dans tout ce qu’apporte l’observation des crises 2.0. Ici nous avions l’un des héritiers de Barilla qui avait dit que les valeurs de la famille de Barilla font qu’il n’y aura jamais d’homosexuel dans une publicité de la marque.
Or, les valeurs de la société évoluent, et une famille maintenant, ce n’est pas seulement une famille hétérosexuelle, mais aussi des homosexuelles.
Tous ces cas nous montrent l’importance de faire attention au contexte informationnel du moment, car les gens ont un framing différent qu’en temps normal et les conséquences peuvent être grandes.
Parce qu’aujourd’hui, devant l’immensité de ce qu’offre le Web, les interactions avec les gens, le développement jusqu’alors impossible, au jour le jour, des valeurs d’une entreprise ou d’une marque grâce aux réseaux sociaux,
Les crises 2.0 permettent d’offrir un thermomètre en temps réel des valeurs que les gens ont envie de porter, la façon dont ils veulent que l’on communique avec eux, des points où une organisation est dans l’erreur.
Que l’on les subisse ou que l’on les observe, ils ont et auront toujours un sens et un enseignement à condition que l’on veuille bien se donner la peine de les écouter plutôt que les effacer.
Vous pouvez également retrouver ma présentation de l’erepday sur YouTube pour me voir en train de galèrer à lire les phrases écrites sur mon pc qui n’était visible que ligne par ligne :
Je serai un peu moins actif durant ce mois d’août pour raison que je dois écrire scientifiquement tout ce que j’ai produit au sein de l’année !