Nous avions déjà croisé l’ONG Baraka City dans un ancien article là et là à l’occasion d’une attaque de guérilla contre la société M6 parce que celle-ci avait tourné l’émission Pékin Express dans un pays où des génocides ont lieu.
Nous les retrouvons ici dans une situation plus difficile où ils n’ont pas réellement la main. La Société Générale et le Cic viennent de fermer leurs comptes bancaires avec lesquels ils recevaient jusqu’alors les dons. S’ils ont, par l’entremise de la Banque de France, réussi à ouvrir un compte au Crédit du Nord (ironie de l’histoire, filiale de la Société Générale), celui-ci ne leur permettra pas d’avoir les mêmes options que pour un compte classique.
La raison ? L’ONG ne donne pas vraiment de raison officielle, mais elle pense que c’est lié à la question d’une personne de la cellule risque de la Société Générale qui demandait si les donateurs de Baraka City étaient des islamistes. Depuis, une guerre d’astrosurfing est en place.
I. Analyse
1. Ligne de vie

On dénombre en tout 522 tweets, ce qui ne représente pas grand-chose.
Un hashtag JeboycottSocieteGeneral a été lancé dont Topsy ne dénombre qu’un tweet. Pour ma part, j’ai recensé 29 tweets utilisant ce hashtag tandis que les données recueillies m’indiquent 67.
On est donc loin des 2333 tweets de Pékin Express qui avaient même atteint la barre des 6000 tweets. Pas de trace en trending topic non plus.
2. Cartographie des conversations
Vous connaissez la musique, j’analyse à chaque fois la place du graphe dans la typologie des conversations.

On remarque à nouveau que la crise est une foule étroite :

Les forces en présente sont exactement les mêmes que la fois passée, à savoir que nous avons une communauté Barakacity

Une communauté Al-Kanz

Et une communauté commune aux deux, plutôt non française (originaire d’autres pays) autour d’ahmedgaza_
3. Les tweets
Les hashtags les plus utilisés :

Les domaines les plus utilisés :

Qui nous montre un ancrage médiatique très musulman.
Les articles partagés sont :
Ceux-ci confirment l’analyse des domaines, à savoir une reprise médiatique essentiellement axée sur des médias musulmans.
Les personnes les plus mentionnées:

Qui confirme les principaux interlocuteurs à savoir Cic, SG, BarakaCity et Al Kanz.
4. Les intervenants
Voici la cartographie des intervenants qui confirme les constats faits : communauté étroite, hiérarchisée autour d’Al Kanz et Baraka City, et aidé par des médias musulmans.

Sur l’ensemble des twittos, 10 % ne proviennent pas de France, mais la Société Générale possédant des filiales dans pas mal de pays, cette constatation n’a ici pas d’incidence. Le scan des biographies surTwitter montre également ce framing avec des « Free Palestine » , « Islam », « Allah » , « Maroc », etc.

150 personnes sur les 374 ne disposent pas de plus de 100 followers ce qui atténue grandement l’impact de leur tweets.
5. Analyse de contenu
Le nuage de mot sur Facebook est le suivant :

Si sur Facebook, on parle plus de l’événement, et le fait que l’on clôt son compte (si tant est qu’il y en a un), sur Twitter, il y a plus d’appels au Boycott général :

II. Discussions
Un historique qui agit comme un boulet
Lorsque vous avez fait des tweetstorms avec plus de 6000 tweets et que lorsque votre organisation subit un revers, vous ne rassemblez que 522 tweets : c’est léger.
Du coup, comment faire croire à la Société Générale qu’elle est dans l’erreur et que la pression est sur elle ?
De plus, l’omniprésence sur les réseauxsociaux à coup d’astrosurfing a de quoi lasser la population et la posture de victime ne peut être utilisée toute l’année, mais uniquement pour des frappes chirurgicales bien pensées.
La difficulté de sensibiliser l’opinion publique
Dans une bataille telle que celle-ci, l’enjeu est toujours la bataille du milieu. J’avais schématisé cela il y a un an comme ceci :
qui nous donne un schéma du débat comme celui-ci :

Généralement, les rapports de force sont tels que les détracteurs sont beaucoup plus nombreux que les défenseurs, mais en infériorité par rapport aux spectateurs.
Les défenseurs et les détracteurs sont dans l’émotionnel (en rouge) ; les détracteurs ont été indignés par quelque chose et sont donc touchés émotionnellement (à l’exception du troll) tandis que les défenseurs de la marque sont touchés parce qu’on attaque une marque avec laquelle ils sont émotionnellement connectés.
Au centre du débat, nous trouvons les personnes dans le rationnel (en noir) actives (les experts et les informateurs) et passives (les spectateurs purs).
L’enjeu du débat se trouve au milieu.
D’une part, parce que les spectateurs sont les plus nombreux.
D’autre part, car ce sont eux les relais de la crise (informateurs) et aussi ceux qui vont interpréter les actions de l’entreprise et donner leur « bulletin » (les experts).
La situation deviendrait alors la suivante : (on inverse l’ordre pour Barakacity)

Or, c’est triste à dire, mais il y a un climat de méfiance de la part des Français par rapport aux musulmans. Il est donc encore plus difficile pour eux de capter l’opinion publique. Il est encore plus difficile, car il y a une frange dure déjà identifiée lors de l’analyse précédente et l’on peut voir des commentaires comme celui-ci qui fait appel à Alain Soral :

Les commentaires stéréotypés où l’on doit choisir un camp ne sont pas absents non plus :

Cela est particulièrement dommage, car il existe beaucoup de personnes qui soutiennent cette ONG qui ne sont pas du tout comme cela et il ne faut pas perdre de vue que les missions de celle-ci sont humanitaires avant tout. Heureusement, on peut également apercevoir des concrétisations

Le motif comme clé du combat
Le vrai débat ici, c’est le motif de la fermeture. Si la Société Générale tient tête, c’est certainement, car elle estime qu’au-delà de son droit à supprimer tout compte, elle est dans ses baskets au niveau du motif.
Cependant, la Société Générale ne peut commenter l’affaire, car le secret bancaire l’en interdit et seule la justice pourrait lui permettre. Ce flou autour du motif est d’ailleurs plus à l’avantage de la Société Générale, car dans une situation d’incertitude, le public a tendance à privilégier ses inférences internes et stéréotyper le débat. En l’occurrence, dans le climat actuel en France qui est un peu à la peur des musulmans, cela n’aide pas Barakacity. Celle-ci ne clarifie pas non plus la situation et le débat sur cet enjeu.
Un combat d’image plus qu’un combat de droit ou de justice
La Société Générale n’a rien à craindre d’un point de vue juridique, c’est tout à fait son droit :

Par contre, elle pourrait perdre un peu d’images, même si l’analyse ci-dessus tend à modérer son impact.
La communication de La Société Générale : « peut mieux faire »
La Société Générale a supprimé bon nombre de posts sur Facebook et n’a pas communiqué sur ce média durant plus de 24 heures. Au contraire de Twitter où une réponse est venue rapidement:
Cette situation est typique d’une validation interne qui prend du temps. Les community manager devaient être au courant de l’affaire, mais ne pouvait pas réagir. Si certains posts ont pu être supprimés à cause d’insultes, et ceci alors que l’ONG poussait à réagir sans celles-ci :

Il y a fort à parier qu’avec plus de 800 posts supprimés, les suppressions ne devaient pas être uniquement à cause de celle-ci. Problème également, La Société Générale ne possède pas de charte. En l’absence de contrat social défini, il est difficile de justifier l’acte de censure.
Il est aussi toujours intéressant de voir les corrections d’un post Facebook, car cela permet de voir sur quoi on veut le plus insister :

On remarque ainsi que la personnification de la Société Générale a été supprimée (le « la ») au profit d’un « Société Générale » plus institutionnel. La soumission était effectivement un mot mal choisi et a été changée pour « tenue ». Tout est fait pour dépersonnaliser le message et n’offrir aucune empathie. Ce message est, je pense, adéquat pour la situation et pour montrer « un mur ».
À noter qu’on attend toujours la réponse de CiC.
III. Conclusions
La Société Générale ne devrait pas avoir trop de souci. Son image ne sera pas affectée, car la polémique est restée très cloisonnée. Au niveau des boycotts, ils ne devraient pas être très handicapants pour la banque, car même si ceux qui ont posté ont effectivement un compte à la Société Générale, cela reste un nombre très restreint.
Si les actions de web guérilla peuvent se révéler utiles dans certains cas, elles ne sont pas la panacée lorsqu’on n’arrive à ne soulever qu’une communauté. Entre les boycotts de M6, de produits israéliens et de la Société Générale, l’écart temporel est trop léger et il est impossible de mener des fronts conséquents et qui ont de l’impact durant une si longue période
Finalement, le plus triste est que lorsque Barakacity a réellement besoin de sa communauté, elle n’est pas aussi présente que lorsqu’il faut mettre la pression sur M6.