Cela faisait longtemps que je ne m’étais plus lancé dans l’analyse d’une crise, mais ce qui s’est passé à Copenhague comporte tellement d’éléments intéressants que je ne pouvais pas passer à côté de ce cas.
Introduction
L’histoire commence lorsqu’un girafon, dont le code génétique a été jugé déficient et donc inapte au programme de l’Association européenne des zoos et des aquariums (EAZA) , est condamné à mort.
Les alternatives ont été balayées d’un revers de la main par le Zoo. Il n’était donc, selon eux, pas possible de le garder en vie ( le girafon appartiendrait à l’EAZA) , de le castrer ( les conséquences auraient été encore plus tragiques), ou de le vendre ( contraire à la politique du zoo) : bref, il fallait l’abattre.
Des protestations se sont fait entendre çà et là, mais celles-ci apparaissaient comme ridicules. Ainsi, au moment de l’exécution, seules 5200 personnes étaient inscrites à un groupe Facebook “Sauvez Marius”, du nom de l’animal, seules 3400 personnes avaient signé une pétition danoise et 24 000 pour une pétition anglaise. De plus, aucune association comme la SPA danoise ou Anima n’avait participé à la lutte. Cela semblait indiquer un feu vert pour le zoo danois.
Pourtant, aujourd’hui, l’indignation est totale et est même devenue internationale. Impossible de passer une timeline Facebook ou Twitter sans voir la photographie de cette girafe et de vives indignations l’accompagnant.
Analyse de la crise
Alors, comment expliquer cela ? ( Si tant est qu’il le faille..)
Certains éléments peuvent facilement expliquer la portée incroyable que cet événement a eue.
1. Tout d’abord, il y a le framing en amont de la situation :
- Personnalisation de l’animal: il ne s’agit pas d’une girafe, mais de Marius. On personnifie l’animal pour lui donner une identité. De plus des photographies ont circulé de l’animal qui attendrissent au maximum:
- Des raisons : son ADN ne serait pas parfait ? Cela rappelle directement l’holocauste et la race aryenne. On élimine un animal purement et simplement pour des raisons d’élitisme. Quel public pourrait accepter un fait tel que celui-là ? De plus, il était évident que le public ne comprendrait pas pourquoi d’autres hypothèses n’ont pas été envisagées.
- L’impression de rapidité: ce qui se dégage de ce cas est que l’ensemble a été expédié. Inapte à la reproduction ? A l’abattoir, et que cela saute. Il y a une impression que les autres alternatives n’ont pas été envisagées et que l’on a fait cela vite fait bien fait.
2. L’événement.
- Indignation: on m’a dit les mots suivants: “au début, je pensais que c’était un fake, que ce n’était pas possible”. C’est effectivement la première chose qui se passe, mais comment est-ce que cela est possible ? Nous ne réfléchissons même pas rationnellement par rapport à cela, l’émotion est centrale.
- Éléments émotifs aggravants: et puis il y a les éléments émotifs aggravants , ceux qui ne sont pas compréhensibles et qui servent d’huile conductrice pour le feu. La bête est abattue sèchement par un pistolet d’abattage. Ensuite elle est purement et simplement autopsier ( certains diront dépiauter) sur la place publique, ouverte à toutes les photos et élément aggravant suprême, devant des enfants. Or, tout ce qui touche aux enfants est sacré. L’homme nu de la redoute sans la présence des enfants ? Une viralité moindre et un alibi ( non c’est impossible, ils n’ont pas pu faire cela avec des enfants) écarté.
Source: AP/Peter Hove Olesen
Et les photos le prouvent. Enfin, cerise sur le gâteau, dernier élément aggravant, les restes du corps sont tout simplement donnés en pâture au lion:
Edit du 18 février: On a porté à ma connaissance un autre facteur émotif à savoir l’évocation de Sophie la Girafe, jouet qui est traditionnellement offert aux nouveaux nés depuis 50 ans et qui est le symbole de l’innocence pour de très nombreuses personnes.
- Un storytelling parfait : l’ensemble donne un storytelling parfait à faire pâlir les politiciens les mieux entourés. Je pense que ce tweet raconte tout en image la pauvre bête, l’autopsie, les enfants et les lions avec une légende parfaite.
3. L’après-crise
Alors que l’émotion est au maximum, les arguments rationnels tombent en éclat puisqu’un zoo suédois faisant partie de l’association s’était porté volontaire pour accueillir l’animal et qu’un tiers s’était proposé d’acheter l’animal.
Analyse de la gestion de crise du zoo
Celle-ci fut catastrophique, car elle n’a pas su tenir compte de plusieurs choses:
– Les signaux faibles: bien qu’il soit extrêmement facile de dire après coup que ces pages Facebook et les pétitions auraient dû être considérées comme des signaux faibles , ceux-ci devaient quand même placer une sonnette d’alarme sur les autres éléments que le zoo n’a pas pris en compte. En effet , une politique de communication sensible aurait dû être mise en place et elle n’a pas été faite.
– La communication sensible absente: photographies disponibles pour tous les événements ( avant, pendant, après) de par la politique incroyable de visibilité et de transparence. Le fait de laisser accessibles tous les éléments ( abattage, lion, etc.) à tous les publics n’était qu’un bâton offert pour se faire frapper.
– Une communication de crise déficiente: dans toute crise, le but est de faire preuve d’empathie, de comprendre les publics et leurs attentes. Il ne s’agit pas de communiquer du vent que l’entreprise ne croit pas du tout en proposant des éléments de langage contre-productif, mais d’au moins se montrer à l’écoute. Or, lorsque le porte-parole s’exprime rationnellement sur des faits, “« Il a été abattu à 9 h 20. Cela s’est passé comme prévu » , “C’est toujours le droit des gens de protester. Mais bien sûr nous avons été étonnés” , la communication est inutile, voire dangereux. Le porte-parole confie ainsi ne pas comprendre l’étonnement ( sous-entendu, crier plus et faites vous plus compréhensible, car je ne comprends rien)
Ce positionnement montre aussi que l’on assiste à une vraie crise, c’est-a-dire un fractionnement entre les process d’une entreprise qu’elle juge normal, et les considératas du public qui se dit atteré par de telles procédures.
Conclusions
Ce cas est intéressant parce qu’il illustre parfaitement le décalage entre la vision de l’entreprise qui ne comprend pas ce qu’on lui reproche et le public qui se déclare outré, indigné et consterné. Cet aveuglement est d’un point de vue neutre affligeant tant cet événement est ignoble et indéfendable.
Il est aussi intéressant par la clarté de sa division en “temps de crise” comme l’expliquait Didier Heiderich lors de l’interview suivante: ( qui est résumera d’ailleurs presque tout le propos de cette analyse)
Il découpait les crises en temps: la crise elle-même, le temps des réparations, le temps médiatique et le temps judiciaire.
Ici, nous pourrions effectuer un découpage en temps de crise plus adapté aux crises 2.0 à savoir que les crises se déroulerait par:
1. Un temps émotionnel : à savoir le temps qui se consacre au “bruit” provoqué par l’émotion qui se propage parmi la population. Dans le cas de la girafe, nous sommes dans ce temps actuellement d’indignation. Cela concerne essentiellement le zoo de Copenhague.
2. Un temps médiatique: ce bruit va arriver aux oreilles des principaux médias qui vont considérer l’information comme importante et légitime (légitimisé par le bruit). Dans le cas de la girafe, nous pouvons remarquer que l’information est passée de simples dépêches à un article. Ainsi, le journal de la RTBF n’en parlait que comme un article très lu sur son site avant d’en consacrer un reportage.
3. Un temps critique: l’émotion passant, on voudra décortiquer l’événement, comment est-ce possible? Ne faut-il pas changer les process ? Dans le cas de la girafe, cela concernera plus l’EAZA ou la SPA danoise.
4. Le temps des réparations : comment réparer son image ou le mal qui a été fait ?
Cette crise est donc tellement caricaturale qu’elle est un exemple parfait. Avez-vous vu d’autres éléments symptomatiques ?