Le tragique événement qui s’est déroulé ce 12 juillet permet d’analyser une communication de crise sous 2 dimensions: celle de l’entreprise et celle du politique.
I. La gestion de crise de la SNCF
1. Le déroulement
Très vite après l’incident, la SNCF publie l’information sur son compte Twitter et Facebook. Sur ce dernier, ils pointent directement l’information sur Twitter:
La stratégie est intelligente:
- Twitter est plus adapté à la crise. En effet, c’est un réseau qui permet de multiplier les nouvelles informations à grande vitesse et via un système de retweet qui permet de voyager de réseau en réseau alors que la page Facebook ne possède que 13 000 fans. Seuls les fans sont capables de voir l’information alors que Twitter permet de viser une audience globale.
- Cela permet aussi de noyer les messages négatifs dans la masse de tweets à cet instant et donc éviter toute création de groupe qui se renforce l’un l’autre dans la négativité pour la SNCF.
- Enfin, la SNCF possède 3 comptes Twitter différents qui permettent de mieux gérer les différents types de publics ( les voyageurs gênés et ceux intéressés par des informations sur Bretigny)
Très vite un numéro vert et un hashtag sont mis en place:
La SNCF fait aussi intervenir le président de la SNCF sur place en vive émotion. C’est essentiel dans toute crise que la personne la plus importante soit le porte-parole en cas d’événement très grave. De plus, l’émotion de celui-ci est en accord et prolonge le discours impersonnel des réseaux sociaux.
Lors des JT, des images provenant de la SNCF sont fournis ce qui est essentiel pour montrer une politique de transparence.
Des conférences de presse sont rapidement organisées avec un expert DG qualité et le directeur de la communication. Le président était là pour l’émotion, le Dircom sera là pour les informations et le concret.
Pour prolonger la transparence, l’expertise, une infographie expliquant pédagogiquement les événements est fournie
Les rumeurs et autres sont identifiées et démenties:
Dans le même temps que la conférence de presse, une partie découpée du site est prévue:
Il est aussi très intelligent de reprendre du contenu que l’on estime le plus représentatif de la situation pour s’en servir comme porte-parole improvisé:
Nous avons donc l’émotion , la transparence ,et l’expertise , soit tous les éléments d’une bonne stratégie à l’exclusion d’une caractéristique essentielle: la responsabilité.
Cette responsabilité interviendra le jour suivant avec:
“La SNCF se considère comme responsable : elle est responsable de la vie de ses clients”
G. Pepy
2. Analyse
La gestion de crise est donc bonne. Toutefois, il y a un certain nombre de choses qui , je trouve, auraient pu être perfectibles.
Ainsi, la page Facebook aurait pu avoir plus d’update qu’uniquement celle de départ. De plus, lorsqu’on arrive sur une page Facebook, quelle est la seule chose que l’on voit ?
La bannière. D’autant plus qu’avoir une bannière qui appelle à “réveiller le photographe qui est en vous” en pleine crise avec des morts, etc a quelque chose de glauque. Un bon exemple dans ce cas de figure est Asiana Airlines:
Deuxième point, regardons la manière dont sont construits les tweets:
On voit l’utilisation d’un code [Accident ferroviaire] qui n’est, selon moi, pas une bonne chose. Twitter permet déjà de baliser le sujet des messages via les hashtags. En incorporant ce code ,on perd ainsi 23 caractères précieux dans un tweet où il faut donner des informations.
L’utilisation du hashtag #SNCF3657 pourrait sembler bizarre mais cela peut avoir une raison. Tout d’abord annoncer clairement le numéro du train pour les victimes mais aussi avoir un hashtag avec uniquement les réactions de la SNCF et des cheminots. Ainsi , avec le hashtag #Bretigny, ils peuvent communiquer vers le public et via le hashtag #SNCF3657 communiquer vers la presse qui a ainsi un hashtag facilement lisible. Si ce n’est pas pour cette objectif, c’est également une erreur parce qu’avec le balisage + ce hashtag supplémentaire, on doit morceler son message en plusieurs tweets comme nous pouvons le voir.
Enfin, il aurait été bien d’acheter des Googles Ad Words comme on a pu le voir pour BP d’autant plus que le terme Bretigny ne doit pas coûter bien cher.
Il reste maintenant à la SNCF à prouver la sécurité de son réseau, la bonne mise en oeuvre des 3 enquêtes et autres, mais une chose est sure, son début de gestion est bon. Preuve en est, quand une gestion est bonne, il n’est plus nécessaire de se défendre tout seul:
II. La communication politique
Bien que connaissant la majorité des politiciens français, je ne suis pas un grand expert de politique française et de toutes ses spécificités.
Toutefois, j’ai quand même vu des choses qui m’ont fait bondir
1. Communication générale
Généralement, les politiciens aiment particulièrement ces moments de crise pour y gagner de la notoriété et montrer leur capacité à prendre les problèmes à bras-le-corps.
Le tout étant d’être dans l’action, d’être l’homme par lequel tout se passe et être l’homme qui dispatch toutes les informations. Le grand spécialiste de la matière étant Nicolas Sarkozy ( Human Bomb, etc)
Problème ici, nous sommes en plein JT et on annonce l’arrivée de François Hollande. L’homme n’est actuellement pas position de force du à son impopularité ; il se déplace alors que les secours sont encore en plein travail, que des victimes sont soignées : bref, il gêne.. Les forces de police doivent faire un périmètre de sécurité plus grand, il ne sert à rien, il n’est pas dans l’action.
Pire, son acte n’offre aucune visibilité puisqu’il est déjà trop tard pour passer aux différents 20h. Le public n’est pas dupe:
Rien de pire pour une personne considérée par tous comme l’homme “mou” que d’être là pour n’avoir rien à dire, rien à faire, et lorsqu’il dit quelque chose: cela sonne creu et déjà dit.
Twitter nous offre maintenant un outil absolument parfait pour les différentes phases où un politique peut intervenir. Voici la courbe des tweets pour la crise Bretigny:
Je l’ai découpée en 4 phases:
- Phase 1: un événement s’opère. Le maître mot est l’information. L’information circule de part en part. Personne ne sait rien au début mais l’information se propage petit à petit. On est dans le factuel. Un politicien, s’il est en connaissance d’une information avant les autres peut en faire part mais cela sera sa seule marche de manoeuvre. C’est, par contre, aussi ici qu’une entreprise peut craindre la formation d’un groupe d’anti qui décidera que l’entreprise est en faute.
- Phase 2: L’émotion s’installe. Le politicien n’a rien à y faire si ce n’est partagé son émotion par rapport à l’événement qui se passe. Il n’a aucun moyen d’influencer la moindre chose, rien à gagner mais au contraire tout à perdre. On y reviendra.
- Phase 3: La nuit opère. Attention, la descente de la courbe ne veut en aucun cas dire que nous ne sommes plus dans l’émotion. L’émotion repartira avec une hausse des commentaires. Le politicien n’a toujours absolument rien à dire, rien à faire.
- Phase 4: l’émotion retombe. Les gens sont désormais dans le rationnel et attentent de savoir ce qu’il s’est passé, ce qu’il faudra faire. Là, le politicien a tous les moyens de s’afficher, de passer à l’action, de dénoncer les manquements ou de proposer des choses, c’est ici que l’opportunité se crée.
Si l’on reprend cette courbe de Twitter, on se rend compte de l’erreur d’Hollande. Il apparaît à mi-chemin entre la phase d’information et celle de l’émotion.
Or, il n’a aucune information, il ne diffuse aucune émotion étant donné qu’il n’apparaît pas dans les JT du 20H. Pire, un journaliste annonce que les CRS sont dans la pagaille de par son arrivée. Catastrophique. Il ne sert à rien; pire, il gêne.
On est en droit de se demander pourquoi il se rend là-bas, alors que des secouristes sont encore dans l’action, dans le sauvetage alors qu’il aurait très bien pu faire passer ses informations par son gouvernement et son émotion à l’aune de son discours du 14 juillet. Finalement, il passe à nouveau comme la personne qui est là, présente mais qui n’a aucun pouvoir, aucune emprise: qui ne sert à rien.
Sa communication catastrophique ne s’arrête pas là puisque tout le gouvernement a décidé de venir se balader à Bretigny. Cuvillier,Valls, Ayrault, Hollande, et consorts : ils sont tous là , tous à donner leur propre interview, à faire le poteau derrière Hollande. Tout cela donne une impression de chaos, de non-contrôle, d’impuissance.
Au final, ce chaos, cette mêlée de politicien ne donne que deux versions:
- Pour les anti, ils ne sont que des charognards venant parader pour donner une impression d’être concerné.
- Pour les pros, ils ne savent pas trop bien quoi dire si ce n’est que les anti auraient de toute façon dit quelque chose s’ils n’avaient pas été présents.
Toujours est-il que les politiques sont absents des titres des journaux principaux du pays tandis qu’ils sont bien présents sur les réseaux sociaux en termes peu glorieux.
2. Communication digitale
Le pire dans tout cela, c’est que parmi l’ensemble des ministres, seuls deux avaient la légimité pour prendre la parole:
La porte-parole du gouvernement: Najat Belkacem
Absente de toute déclaration. Encore moins présente sur les réseaux sociaux: absence totale.
Le ministre des transports: Frédéric Cuvilier
Sa communication a été claire, nette, en regard de ce qu’on attendait de lui. Son message sur Twitter était bon dans la phase où l’on se trouvait.
Par contre, que dire de ce retweet ?
On peut également ajouter Jean-Paul Huchon qui est assurément le bon client de ce qu’il ne faut ABSOLUMENT pas faire.
Jean-Paul Huchon apparaissait de façon trop ostensible au front des caméras mais il ne s’est pas contenté de cela puisqu’il s’est empressé de profiter d’être au côté de François Hollande pour le dire à tout le monde.
Il faut savoir que chaque politique veut être l’ami ou le plus proche des plus grands. ( par exemple, Sarkozy adorait se montrer proche des plus grands comme Merkel ou Obama.)
Analysons cependant ce tweet dans toutes ses caractéristiques :
La première chose qui frappe, c’est que l’image montre Jean-Paul Huchon. Evidence selon vous?
Patience, maintenant posez-vous la question: comment Jean-Paul Huchon a pu twitter cette photographie si ce n’est pas lui qui la prend?
Cela voudrait soit dire qu’il a pris le soin de regarder une photographie que l’on met de lui-même sur les différents journaux pour ensuite la retwitter alors qu’il se dit dans l’urgence et au chevet des victimes, soit dire que ce n’est pas lui qui tweet mais son communicant qui se sert donc de cette scène telle un vautour profitant de l’occasion pour se satisfaire.
De toute façon, cela ne montre pas un Jean-Paul Huchon dans l’émotion car cela ne montre pas son point de vue, sa vue, et sa position du moment.
L’information principale de cette photographie est qu’il est au côté de François Hollande au chevet des victimes. Victimes, qu’il ne montrent pas du tout par cette photographie puisque tout s’oriente sur deux clefs de lecture : lui au premier plan, et Hollande comme centre d’attention.
Cela est très mal géré , et d’un point de vue sémiologique: c’est même catastrophique.
Mon opinion est que le tout a été géré par un communicant à la noix qui l’accompagne et qui, manifestement, a voulu faire “un coup” et transformer cela en objet de communication.
Or, pour rappel, un événement grave n’est absolument pas un terrain propice à la communication. Deux cas dans le domaine des entreprises l’ont déjà prouvé:
Epicurious: essaie de surfer sur les attentats à la bombe de Boston en faisant deux blagues sur l’événement et en essayant de fournir ses produits. Ainsi, le community manager poste : « Boston, our hearts are with you. Here’s a bowl of breakfast energy we could all use to start today : » et « In Honor of Boston and New England may we suggest : whole-grain cranberry scones ! »
Crise Epicurious
American Apparel: La marque a envoyé un e-mail à chacun de ses clients en proposant une promotion : « Si vous vous ennuyez pendant la tempête, -20 % sur tout le site”» durant la grande tempête qui a touché les USA en octobre 2012.
Crise American Apparel
Ces deux cas ont provoqué une vive crise sur les réseaux sociaux. Tout comme eux, il n’y a rien à gagner à faire sa promotion sur un événement grave mais tout à perdre.
De plus,cela ne sera pas la seule erreur de Jean-Paul Huchon puisque ce tweet surviendra quelques temps après:
Ce tweet survient à presque 22h soit 4 heures après les événements. Nous ne sommes plus du tout en phase d’information. Ce tweet n’informe en rien, et paraît incroyablement niais alors que les gens sont déjà au courant de tout.
Les autres sur place:
Jean-Marc Ayrault
Capable de twitter pour une victoire de Bartoli à Wimbledon ou pour l’entrée de la Croatie en Europe mais pas pour un incident aussi grave. Je caricature mais à un tel niveau de pouvoir, une communication digitale de cette ordre est douteuse.
Manuel Valls et Hollande
Concernant la gestion digitale d’Hollande et Valls, Je suis encore plus dubitatif et par cela, je ne donne qu’un avis subjectif mais alors que je cherchais des commentaires digitaux de Manuel Valls et Hollande , je me suis rendu compte qu’ils avaient tout simplement abandonné leur compte Twitter après la victoire à la présidentielle. ( Je suis en retard d’une guerre)
Pour Valls, il n’aurait plus assez de temps pour Twitter. Assez incroyable quand même lorsqu’on sait qu’il avait le temps de tweeter en pleine campagne présidentielle intense mais pas durant son mandat de ministre.
Et quand on me dit qu’il twitterait via le compte twitter du ministère, je suis également dubitatif devant la 3 ème personne utilisée sans cesse ainsi que les informations extraordinairement factuelles qui me font croire qu’il n’en est rien.
Maintenant, dépassons toutes ces considérations et mettons-nous à imaginer qu’une entreprise après une campagne de promotion sur les réseaux sociaux de ses produits décide tout à coup de ne plus assurer sa présence sur ceux-ci et d’envoyer tout simplement chier l’ensemble de ses followers. Quelle serait la réaction?
Assurément très mauvaise et dangereuse. Une présence sur les réseaux sociaux, on l’a fait au long terme ou on ne l’a fait pas.
Là, il subsiste le sentiment que Twitter n’est utilisé qu’en cas de campagne dans des objectifs électoralistes évidents et non pas pour assurer une réelle présence et interaction.
Cette situation n’est pas du tout la même en Belgique ou la présence sur les réseaux sociaux est complète pour les politiciens et ministres belges.
Segolène Royal
Il faut toujours être au courant de ce qui se passe et du “frame” de la population au moment où l’on communique. Ainsi, on a aussi pu observer une crise chez les entreprises de cette ordre qui montre qu’il faut une veille complète sur l’information:
Ignorant le drame de la fusillade Aurora, le community manager de Celeb Boutique se réjouit de voir le hashtag #Aurora en trending topic, pensant que la robe du même nom rencontre un grand succès.
Crise Celeb Boutique
Ainsi, lorsqu’on observe les tweets de Ségolène Royal, le malaise peut être présent pour certaines personnes:
Conclusions
La SNCF alors qu’elle avait tout à perdre à très bien géré la crise jusqu’à présent alors que les politiques qui n’avaient rien à perdre mais rien n’a gagné a très mal géré la crise et encore plus sur les réseaux sociaux.
Les politiques ont ainsi beaucoup à apprendre au niveau digital des problématiques des entreprises à l’heure où de plus en plus les techniques du marketing s’immiscent dans la communication politique.
Dans tous les cas, aucune entreprise, aucun politique ne peut tirer profit d’une crise si ce n’est l’entreprise principalement concernée.
Bien entendu, vous aurez certainement votre propre clef de lecture et trouverez peut-être que j’ai quelques mauvaises conclusions. Je ne peux que vous inviter à en faire part dans les commentaires ce qui pourra même nourrir en profondeur l’article !