La recette du buzz ? Une thématique, différents sujets. Le cas #payetonuterus

Il y a plus de 2 semaines, un phénomène est né sur Twitter : le hashtag #payetonuterus, où des femmes se plaignent du sexisme ambiant de leur gynécologue.

Ce hashtag a fait le tour des médias de l’Express,en passant par LeMonde, France Tv, Europe 1, et autres.

Même en Belgique, certains médias en ont parlé. Du coup, cette viralisation devient un terrain d’analyse particulièrement intéressant pour décrypter la façon dont un fait de société peut être porté médiatiquement par les réseaux sociaux.

Analyse

Comme d’habitude, je me servirai du logiciel SaaS Visibrain afin de faire la majorité de mes analyses

1. Courbe de vie

Courbie de vie #payetonuterusFait commun dans les phénomènes viraux, la courbe de tweets monte très vite pour baisser tout doucement. On a pour habitude de dire que les « Buzzs » suivent une courbe de Gauss. En réalité, c’est faux car la chute de la courbe n’est pas identique à la montée. Cette dernière se fait très rapidement alors que la descente est plus lente.

Le nombre de tweetos n’est que de 4882. Le pic de tweets atteint est de 6000, nombre que l’on peut retrouver dans des crises extrêmement graves comme Intermarché ou la SNCF.

#paietonuterus heure par heureLe pic est atteint en 4h. Ensuite, on observera un tassement. En réalité, les montées dans la descente sont dues aux articles qui paraissent sur le sujet. On observe donc que les médias viennent nourrir leur objet.

Les médias ont eux aussi mis presque 4 heures avant d’en parler. Il n’y avait que le Huffington Post qui a diffusé le phénomène. Il faut attendre le lendemain pour que les autres médias en parlent.

Pour le reste des analyses et pour éviter tout biais, j’ai traité les tweets en enlevant les retweets.

2. Analyse démographique

#Payetonuterus genre

Sans surprise, la répartition des femmes est grande. Cependant, le nombre de blogs, compte Trending ( ces comptes bots qui nous annoncent les sujets en trending topic) ou pseudonyme est plutôt important.

#payetonuterus occupation et loisirs

Au niveau des occupations, on remarque que la présence de militante et de catégorie socioprofessionnelle supérieure. Les intérêts divers nous renseignent sur le fait que les publics sont plutôt variés.

J’ai voulu aller regarder les différentes communautés en oeuvre. J’ai donc pris l’ensemble des acteurs et j’ai fait une analyse de leurs relations, c’est-a-dire le fait que certains se suivent entre eux. Cela nous donne la cartographie suivante :

#payetonuterus relationship

 

On y voit une masse plutôt uniforme avec un cluster isolé, des isolés et un cluster spécifique. Le fait d’avoir des isolés montre que l’on a un phénomène particulièrement viral. Faisons d’abord un zoom sur le groupe qui est isolé par la cartographie :

#payetonuterus Cluster isolé

 

Il s’agit de comptes d’extrême droite. Que viennent-ils faire là ? Oh par exemple ceci :

En gros, profiter du hashtag pour établir sa propagande. Pour la communauté en haut à gauche :

Capture d’ecran 2014-12-08 à 10.34.55

 

Il semble y avoir une corrélation autour du monde de la santé.  Toutefois, on peut y avoir également des discussions cuisines, donc cette communauté est dure à identifier même si je pencherais plus pour un point commun sanitaire.

Capture d’ecran 2014-12-08 à 10.35.29

Quant à cette communauté, elle est plutôt « grand public » même si on peut y voir pas mal de féministes auto-déclarées. Enfin, le dernier groupe est plutôt ultra-féministes ce qui montre son petit écart par rapport aux autres :

Capture d’ecran 2014-12-08 à 10.35.56

 

On n’a donc pas vraiment de communautés hétérogènes. Je vais même dire que c’est typiquement les acteurs que l’on voit à chaque bad buzz féministe encore et encore.

3. Analyse sémantique

Contraception

 

Pour rappel, ces données ne comprennent pas les retweets afin de voir ce qui revient dans le témoignage de plusieurs personnes.  Ce sont surtout les gynécologues qui sont visés. La pilule, les règles, le stérilet, la contraception et le fait d’être enceinte sont particulièrement abordés. Les 5 tweets les plus retweetés sont les suivants :

Ce qui montre que le fait d’être beaucoup discuté amène ensuite de la volumétrie rien que par le fait d’être en trending topic.

 

4. Analyse de propagation

Derrière tout cela, une liste de gynécologues féministes circule également : https://gynandco.wordpress.com . Du coup se pose la question de qui a lancé ce trending topic ? Le logiciel Visibrain permet de classer les tweets par ordre chronologique :

#payetonuterus Chronologie

Si en regardant les tweets, on peut voir que c’est la prénommée Ondine qui lance le trending topic, la cartographie ne la montre pas spécifiquement car elle a su rapidement disposer d’une audience qui est venue lui prêter main-forte. Elle va donc lancer une série de tweets autour de différents sujets :

Capture d’ecran 2014-12-08 à 12.09.19

 

La cartographie suivante symbolise les interactions entre les différentes personnes :

Avant 14h :

14h Payetonuterus

 

 

De 14h à 16 h :

+14h

De 16h à 18h :

16h

 

+ de 18 h :

16+

 

L’ensemble selon la méthode du Pew Research Center :

Paietonuterus

 

La discussion n’a à aucun moment de centre comme on pouvait le voir pour #jesuisparisienne. Cela nous montre que le message est autoporteur et qu’il n’a pas besoin d’être attribué à une personne en particulier. La multiplication des sujets (cystite, gynéco, pilule, avortement, etc.) permet à chacun de venir prendre ce qu’il souhaite.

Conclusions

Une courbe de Gauss ? Pas tout à fait !

Souvent, on décrit les phénomènes viraux selon une courbe de Gauss. En réalité, il n’en est rien. La montée des commentaires est bien plus rapide que l’extinction des conversations.

La loop médiatique

Une fois l’amorce virale enclenchée, tout vient nourrir le buzz. Le fait d’être trending topic apporte des tweets en plus. Des gens hors du réseau des discussions peuvent découvrir la discussion, la commenter et parfois en profiter. C’est par exemple le cas d’un tweet d’homovox qui profite du trending topic pour parler d’un sujet propre à sa ligne éditoriale. De plus, les différents comptes robots qui annoncent les trendings topic peuvent comptabiliser jusqu’à 500 tweets sur 12 000, soit 4% de
s tweets. La presse vient également nourrir le flot de commentaires dans ce phénomène de loop médiatique que je décrivais ici. Pour preuve:

Source

La recette du buzz ?

Ce cas est un parfait exemple pour donner une des recettes pour établir un trending topic. En anglais et en lobbying, on parle de « raise an issue ». On part d’une thématique très large mais qui fait consensus et l’on décline la thématique en différents sujets que l’on illustre. Cela va permettre la formation de différentes communautés autour d’un même hashtag et de faire monter la viralité.

Capture d’ecran 2014-12-08 à 13.19.19

Toujours les mêmes acteurs

On retrouve souvent les mêmes acteurs dans les crises d’une thématique semblable. Je retrouve ici pas mal de visages connus dans d’autres crises dites « féministes ». Twitter est plus que jamais un microcosme dont le pouvoir de résonance dans la presse est énorme.  4000 personnes suffisent avec un investissement très limité ( 140 caractères) pour avoir une tribune dans la presse où l’on prend à parti la ministre de la Santé française. Mon intuition est que l’on va bientôt découvrir des campagnes du style « Yes Week-end » sur Twitter, tant il devient simple de gagner de la visibilité à moindres frais.

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