L’affaire Griveaux a fait rage tout ce week-end avec des analyses multiples sur l’impact et le danger des réseaux sociaux. Des analyses, très souvent tronquées, qui interprètent le phénomène à la sauce médiatique et assez éloignées de la réalité factuelle autour de ce cas. D’où l’importance de se pencher sur la propagation de cette affaire histoire de poser les bonnes bases et isoler les véritables questionnements de ce type de phénomène.
Nous pouvons isoler les problématiques suivantes
1. Une stratégie de la boule puante suivie “by the book” par les personnes s’en prenant à Benjamin Griveaux.
La facilité de créer des espaces médiatiques fixes en y glissant des éléments de crédulité permet d’avoir une plateforme parfaite pour que l’on fasse propager de façon virale des éléments en comptant sur quelques “lanceurs” bien récupérés par des adversaires politiques. Ces derniers sont les éléments “viraux” principaux, mais peut-on vraiment leur reprocher de se servir d’un élément de campagne qui pose des questions sur le positionnement politique de Benjamin Griveaux ?
2. Une impossibilité technique pour Twitter de lutter par rapport à ce genre de cas de par les mutations que prennent les éléments délictueux.
Les mutations de format, les variations sémantiques et les questionnements éthiques font que Twitter ne pourra jamais faire face aux défis que posent les politiques sur ce genre de phénomène.
3. Un mauvais diagnostic de la classe politique et médiatique qui fait que l’on n’adresse pas les véritables questions.
Avant la démission de Benjamn Griveaux, le lien n’a été partagé que 114 fois sur Twitter, et une fois sur une page Facebook. Les recherches Google ne commencent réellement qu’à 9h du matin. En réalité, les contenus sont surtout connus dans les sphères de journalistes (rencontrés au préalable) et politiques bien avant la propagation grand public de 17h. Cette viralisation n’est qu’une des étapes de seuil, mais pas le début des événements.
4. Une mémoire du Web problématique
Dans la mesure où les traces numériques restent accessibles ad vitam eternam. Au contraire, la propagation de cette affaire via les tweets n’a pas pu être optimale dans la mesure où des tweets de Laurent Alexandre et Joachin Son-Forget ont été supprimés depuis.
Dans ces défis isolés autour du cas davantage explorés ci-dessous, nulle chimère médiatique présente, à savoir que :
- Jamais la question de l’anonymat ne se pose. Ce sont de vraies personnes qui ont été les protagonistes : dans la production des vidéos et images et dans la propagation des vidéos et images.
- Jamais une américanisation des médias n’a une quelconque influence sur le contexte de propagation dans la mesure où aucun média n’était un vecteur avant la démission de Benjamin Griveaux. Pas même un journaliste.
1. La stratégie de la boule puante
Le mécanisme des boules puantes sur les réseaux numériques est assez stable par rapport à ce qu’on a pu observer pendant la présidentielle française, celle-ci est toujours :
- On isole une faiblesse d’un adversaire politique. Cette faiblesse est illustrée par une vérité (notre cas ici) ou des éléments faux sur des éléments troubles ( Comme pour les sources de financement d’Emmanuel Macron qui furent exploitées ici et ici )
- On trouve un endroit statique avec idéalement des éléments de crédulité. Durant la présidentielle, un faux site du Soir fut ainsi utilisé (même graphisme, même architecture, tout pareil) et les blogs de Mediapart également. Ce fut encore le cas ici : le site a été nourri d’autres éléments et même d’interviews tandis que les blogs de Mediapart ont relayé également l’information.
- Une fois les éléments statiques en place, il faut activer la viralité sur les réseaux sociaux. Cela se fait soit par la création de compte Twitter dédié (ce fut le cas ici) , par l’envoi à des journalistes (ce fut le cas y compris en offline) et par l’utilisation de forums viraux (4chan ou jeuxvideo.com dans notre cas)
- On laisse infuser en attendant que les premiers ponts de réseaux partagent la chose. Dans notre cas, le partage de Laurent Alexandre et Joachim Son-Forget ont été stratégique.
- Des adversaires politiques profitent du “mets” offert. En dehors de Joachim Son-Forget et Laurent Alexandre, nous remarquons que les vecteurs de la propagation sont essentiellement des militants s’opposant à la majorité gouvernementale.
La propagation du site internet uniquement fut celle-ci :
Par contre, contrairement à l’infographie ici, il semblerait que Joachim Son-Forget ait bien partagé le lien
A savoir que le site Internet est propulsé par un compte dédié de PornoPolitique.
Sur Facebook, les pages publiques (nous n’avons accès qu’aux données publiques) qui ont relayé le lien PornoPolitique sont des groupes proches des gilets jaunes.
2. Une faible propagation de la source primaire
Sur Twitter, la source primaire à savoir le site PornoPolitique n’a été propagée que 114 fois avant la démission de Benjamin Griveaux et 577 fois depuis le début.
Sur Facebook, hors groupes privés et messages, sur les pages publiques, le site PornoPolitique n’a été partagé qu’une fois.
En réalité, c’est surtout parce que les gens connaitront cela via d’autres sources que le site internet.
Les internautes vont migrer les formats que prendront les éléments de griefs. D’une part via des articles de blog comme celui de Mediapart :
Ils vont aussi réaliser des montages, des captures d’écrans ou simplement des commentaires. La vidéo va également se retrouver sur Pornhub et d’autres espaces d’hébergement.
Les points d’entrées vers les contenus vont également changer à partir du moment où sa démission va être officielle puisque les recherches Google commenceront à ce moment-là.
Déjà via les recherches PornoPolitique.com :
Mais aussi autour des mots-clés :
3. La difficulté pour Twitter de lutter contre ce type de contenu
Les différents points de propagation vont faire en sorte que Twitter est dans l’incapacité technique de lutter contre ce type de propagation. Il est impossible de les pointer du doigt pour les raisons suivantes :
- Format de propagation : nous l’avons vu, les sources primaires sont véhiculées par des sources secondaires. Il est impossible de couper tous les montages, tous les liens connexes, ou identifier des tailles ou poids des formats. Quand bien même le Machine Learning et l’IA seraient 200 fois plus puissants qu’à l’heure actuelle.
- Trending topic : Les tendances émergentes permettent à pas mal de personnes de prendre connaissance d’éléments jusqu’à présent inconnu. Cela fait des tendances émergentes une aggravation des choses. Du fait des variations sémantiques (augmentation des mots-clés Griveaux, nudes, ou autres.) il est impossible de bloquer la visibilité de ces cas.
- Considérations éthiques : et au-delà de tout cela, il y a des questions essentielles à se poser au niveau de l’éthique : n’est-ce pas du droit à l’information ? N’est-ce pas de la liberté d’expression ? Ces questionnements impliquent au moins des réflexions au préalable. Ce temps de questionnement fera toujours en sorte que la viralisation ira plus vite que la réaction.
Twitter est donc dans l’incapacité de répondre techniquement à ce type de cas alors qu’il y a une vraie réflexion à avoir sur le fait qu’il faudrait que la plateforme à l’oiseau bleu le fasse.
4. La mémorisation du Web
On le dit souvent : le web a une mémoire. Mais surtout, les fondements de l’internet comme une structure décentralisée assurant la permanence du réseau font en sorte qu’il est très difficile de réclamer un droit à l’oubli.
Ainsi, le site internet bien que mis hors ligne est encore disponible avec les différents systèmes de cache :
Les transformations en source secondaire feront aussi en sorte qu’il sera très difficile de tout supprimer, la vidéo étant également mis à jour par différents endroits. De plus, quand bien même les copies numériques en ligne seraient-elle effacées qu’il resterait encore des personnes ayant gardé des copies physiques de cela qu’ils peuvent mettre en ligne à tout moment.
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