Lors de ses voeux à la presse, Emmanuel Macron a annoncé une loi anti-fake news dans un contexte électoral. En l’état, c’est une initiative intéressante mais elle ne constitue qu’un grain de sable dans le désert et elle va se heurter à de nombreuses embûches.
La définition de fake news
Le fait est que le mot fake news est un non-mot. Il s’agit d’un buzzword qui n’a pas d’essence théorique. Utilisé par tout le monde, chacun en a sa propre définition. SI cela peut suffire dans un contexte médiatique pour qualifier un type de sujet, sa définition est indispensable si l’on passe à l’état de loi. Qu’est-ce qu’une fake news ? Parle-t-on de nouvelles non confirmées ? (Pénélope Fillon dans le Canard Enchaîné ?) Parle-t-on d’informations qui se révèlent erronées par la suite ? (Le cas typique de la fausse étude, ou du hoax) Parle-t-on de lecture d’un événement ? La simple réaction de nombreux journalistes français et belges plaidant pour un conseil de déontologie journalistique illustre bien le fait qu’Emmanuel Macron, les récepteurs, les journalistes et autres acteurs ne parlent pas de la même chose. Problème : si la définition de fake news est trop large, elle risque d’empiéter sur les libertés fondamentales (Expression, presse, etc.)
Une complexité totale du phénomène lors d’élection
Cependant, prenons uniquement le cadre contextuel qu’a appliqué Emmanuel Macron, à savoir les élections. S’il y a besoin d’un cadre législatif dans les élections, c’est lorsqu’il y a manipulation du processus électoral. A mon sens, il existe trois possibilités de fake news dans ce cadre bien précis :
1. Une opération d’influence étrangère à base d’informations erronées.
Une fausse information est créée et est manipulée dans le but d’assurer sa propagation dans certaines sphères.
- Lorsque la Russie via une agence de propagande utilise de la publicité sponsorisée pour par exemple cibler des gens qui aiment Donald Trump pour faire passer une fake news sur Hillary
- Lorsqu’une organisation ou un groupe a copié le site du quotidien belge Le Soir. Même site, même logo, même interface. (L’adresse du site était lesoir.info et non lesoir.be) À l’exception d’une chose : un article mentionnant le fait qu’Emmanuel Macron était financé par l’Arabie Saoudite. . Et que quatre faux comptes avec des noms génériques ont envoyé le lien vers la presse ainsi que des comptes n’aimant pas Emmanuel Macron dans le but que ceux-ci le relayent.
- Lorsque la plateforme de blog de Mediapart ou Express Yourselves de L’express qui permettent d’avoir un espace de publication personnel furent utilisées pour relayer une rumeur comme quoi Emmanuel Macron aurait un compte bancaire caché et que celle-ci est relayée durant la nuit par plus de 80 comptes créés pour l’occasion.
- Lorsque Philippot ou un de ses militants trafiquent le visuel d’un SMS pour faire croire à un appel au lynchage de Marine Le Pen
Que faire contre cela ? La rumeur est mise dans un espace temporaire dont on sait que celui-ci va disparaitre. Aucun hébergeur n’est utilisé ou alors de façon détournée. Quand bien même on aurait les informations sur les annonceurs russes pour Facebook que ceux-ci n’auraient qu’à créer une autre société pour faire exactement le même travail. Aucune législation, aucune procédure ne peut combattre cela. Il faut une réponse systémique. De même, dans la mesure où ces informations circulent en se servant de vraies gens qui pensent réellement partager une vraie information. Peut-on dans un état de droit punir ces vrais gens ?
2. Une opération d’influence à base d’informations véridiques
Une information à la base véridique sera manipulée pour angles davantage son traitement.
Que faire contre cela ? Il n’y a rien de plus véritable qu’une vraie information ou une vraie vidéo. Lorsqu’on peint Alain Juppé en Ali Juppé en faisant un mix d’informations dont certaines sont erronées, s’agit-il de satire ? De fake news ? Peut-on punir ceux qui relaient cela ? Sous quel droit ? De plus, encore une fois, les publicités Facebook et Twitter ne sont pas utilisées et aucun hébergeur ne relaie cela platement et simplement.
3. Le cadrage de l’information
Processus bien plus large qui consiste non pas à inventer ou falsifier une information mais à lui appliquer un autre cadre de lecture. C’est en quelque sorte le “framing”, la lunette par laquelle on va regarder les faits.
Que faire contre cela ? Peut-on punir un média pour angler son information et la manière dont celui-ci traite les événements ? Ceci est la base de la ligne éditoriale des médias. On ne peut pas punir un média pour son choix ou son cadrage de l’information. De la même manière, un conseil déontologique va-t-il servir à quelque chose contre ces médias étrangers ? FRDeSouche, Dreuz, et autres ne sont même pas des médias. Que faire ? Rien n’est possible. C’est la liberté d’expression dans la limite des cadres législatifs déjà existants.
Conclusion
Le débat est trop complexe. Déjà parce qu’il n’y a aucun accord sur la définition de fake news, ce mot étant une coquille vide. Ensuite parce que la réalité des fake news ne peut être combattue uniquement par une loi. Le parallèle avec le piratage est criant. C’est illégal, mais tout le monde le pratique. Il aura fallu des services de streaming généraux à bas coûts pour lutter efficacement. La réponse fut politique, économique et législative. Le fait est que la réponse à un système ne peut être que systémique : on aura besoin de tout le monde autour de la table et d’une réponse commune. Cela commence à évoluer, notamment au niveau européen. Des acteurs du numérique comme Google via son Google News Labs ou Twitter qui a vraiment décidé de passer à la vitesse supérieure sont également engagés et de bons élèves en la matière. Il restera les récalcitrants qui préfèrent régler les problèmes de leur côté. Au rang de ceux-là, Facebook qui préfère appliquer des sparadraps sur des plaies ouvertes pour dire qu’il fait quelque chose alors qu’aux conférences sur le sujet ils sont toujours aux abonnés absents, pensant que seul Facebook pourra réparer Facebook. Espérons que le gouvernement français aura également une réponse globale avec l’ensemble des acteurs, et pas seulement avec une loi qui sera obligatoirement catégorisée comme liberticide.