Paris2024 et LA2024 sont dans les starting-blocks pour l’obtention de l’organisation des Jeux olympiques de 2024. Elles sont les dernières villes encore en lice alors que Rome, Boston, Hambourg et Budapest ont abandonné, faute d’engouement local.
Dans ce contexte, Los Angeles essaie de se positionner comme une ville digitale. Et il semblerait que tous les moyens soient bons pour ce faire si l’on en juge par des indices quelque peu douteux dans leur présence sociale.
I. L’analyse
Le point de départ : Twitter et des comptes suspects
Je tombe sur un article qui résume le combat entre les deux villes et qu’aucune des candidates ne veut laisser la place pour 2024 s’en aller. En tombant sur le compte de Los Angeles 2024, je découvre des comptes assez louches :
(Allez voir vous-mêmes via le compte ici, descendez un peu car les achats semblent datés de février)
Beaucoup de comptes semblent provenir de pays arabes. Après tout, pourquoi pas ? Il n’y a plus que deux villes en lice. Seulement, rien dans leurs activités ne semble indiquer un quelconque intérêt pour la question sportive, olympique ou même américaine. Et pour cause, durant le dernier mois, le compte a gagné pas moins de 27 000 followers ! 1/4 de l’audience d’un compte créé il y a de cela 2 ans.
Via Visibrain, j’ai analysé l’ensemble des flux d’activité du compte. Et le moins que l’on puisse dire est que le compte ne semble pas attirer les foules. 8398 acteurs sur une période de 8 mois. De quoi fameusement remettre en cause le nombre de followers actifs.
J’ai également analysé les interactions via ce compte dans les 8398 personnes. Via une formule, j’ai pu isoler les comptes automatiques. Si de nombreux comptes sont présents, aucun n’est directement relié à LA2024.
Seulement, les pays d’origine des personnes qui interagissent peuvent également éveiller les soupçons puisque plus de 55 % des interactions ne proviennent pas des États-Unis :
Parmi ceux-ci, il y avait encore quelques comptes louches comme celui-ci :
Seulement, il faut dire que dans l’ensemble, les supports paraissent “legit” comme peut le prouver la cartographie de toutes les interactions avec le compte. (Mais en supprimant le compte pour voir les liaisons)
La confirmation sur Facebook
Sur Facebook, les soupçons pèsent également puisqu’en seulement 6 semaines, la page Facebook a multiplié par 5 le nombre de ses fans en passant de 200 000 followers à 1 million. (Source : Social Bakers)
Des chiffres à faire pâlir un bon nombre de community manager puisqu’ils rêveraient d’arborer de tels chiffres à leur actif. Et comme pour Twitter, les pays d’origine sont tout à fait nébuleux puisque les 3 pays où ils ont cartonné sont le Bangladesh, le Pakistan et le Népal.
- Bangladesh: de seulement 83 fans à 104.165 fans
- Pakistan: de seulement 56 fans à 92.104 fans.
- Népal: de seulement 71 fans à 78.515 fans.
Un vent d’enthousiasme semble avoir frappé l’Asie ! Pour mieux comprendre le changement qui a eu lieu, voici le top 3 des pays de la page Facebook en 2016 :
Top 3 des pays en mars 2017 :
Vous remarquerez qu’en 2016, 96 % des supports à la page officielle vivaient aux États-Unis. Ils ne sont désormais plus que 25 %. À eux 3, le Pakistan, le Bangladesh, et le Népal concentrent plus de fans que les Usa. Tout cela en moins de 6 semaines. Tout cela fait fortement penser à une opération d’achat de followers et de fans.
De plus, il semblerait que l’engouement patriotique aux USA soit en même temps en baisse puisqu’en 2016, le nombre moyen de nouveaux followers américains était de 16 000. En 2017, il n’est plus que de 7252.
Quant aux chiffres de l’engagement autour de la page, rien ne permet de dire qu’il y a de la triche à l’oeuvre. Heureusement d’ailleurs puisque l’engagement est au plus bas :
II. Une opération d’astroturfing ?
La rapidité de l’augmentation des fans à la fois sur Twitter et sur Facebook, provenant de plus de la part de pays n’ayant aucun rapport avec les États-Unis, indique une possible tentative d’astroturfing.
L’astroturfing est une technique de communication nommée pour la première fois par un sénateur américain Lloyd Bentsen. Son étymologie provient d’un produit de gazon synthétique qui imite à s’y méprendre le gazon naturel. Le sénateur voulait opposer les mouvements sociaux de citoyens dits « grassroots movements » aux tentatives d’entreprises peu scrupuleuses de simuler un emballement citoyen autour de leur cause.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’on voit ce genre de technique dans le lobbying sportif.
En 2012, pour simuler un soutien massif à un projet de candidature pour accueillir un le stade de Fédération Française de Rugby, la société Havas avait acheté des faux fans sur leur page de projet.
Seulement, on peut voir que la ville qui a le plus liké la page n’est autre que.. Dacca au Bangladesh.
Oh le même résultat qu’ici. En réalité, ils achètent leurs followers via une plateforme dédiée. Ce ne sont pas des bots ou autres. En effet, il est devenu difficile d’avoir une armée de bots sur Twitter. Ce sont juste des humains comme vous et moi. Ils reçoivent une commission sous forme d’argent à chaque follow qu’ils font. Dans ces pays-là, cette somme est tout à fait substantielle. Cela permet aux fournisseurs de pratiquer des tarifs adaptés qui sont de cet ordre :
III. Conclusion
Dans la mesure où j’ai du mal à croire qu’un achat de fans ou followers de cette ampleur ne puissent pas alerter le comité de LA2024 pendant un mois, tous les indices mènent à penser que celui-ci a acheté des fans et followers pour paraître plus “digital” et faire croire à un soutien populaire massif à la candidature de la ville. Tout cela, dans le but de faire croire au comité olympique qui ne verra que des indicateurs chiffrés sans comprendre leur formation que la candidature californienne est plus forte localement que celle de Paris.
Il est assez fou que l’on puisse encore penser en 2017 que tout cela n’attire pas les yeux des gens, d’autant que tout est facilement identifiable et démontrable. Si le lobbying et l’astroturfing pouvaient rester cachés jusqu’alors, il est assez rassurant de voir que l’astroturfing sur les réseaux sociaux laisse des traces et que ces traces peuvent être identifiées. Gageons que Los Angeles ne vantera désormais plus ses prouesses digitales.