Comme je l’avais prédit en 2015, le nombre d’artefacts de communication a connu une augmentation tout à fait prodigieuse. Voici donc les meilleurs arnaques, duperies et autres artifices utilisés par les marques ou des personnes pour obtenir de la visibilité. Si vous avez raté le top 10 de 2013, c’est par ici que cela se déroule.
I. Introduction
Petit rappel si vous ignorez ce qu’est un artefact de communication, je disais que si les bad buzz m’ont appris deux choses, c’est bien le fait que :
- La presse est en crise. Ils ont sacrifié leur pertinence et leur sourcing sur l’autel de la visibilité. Le but n’est plus d’être le plus crédible, mais d’être le plus lu. J’en ai déjà fait le portrait acide ici où j’avais d’ailleurs déjà introduit l’artefact de communication, mais si vous n’avez pas le temps de lire, disons surtout que la presse est devenu une machine à buzz, voulant recueillir le plus de clics possible, même si c’est au sein des racistes.
Les médias sont également en cruelle panne d’inspiration :
Ce qui les fait devenir des proies de choix de la plupart des entreprises :
Se succèdent aussi toutes les informations “insolites” avec une forte consonance autour du sexe.
On voit également la diversification des activités (paris en ligne, sponsoring, etc.) qui affectent la ligne éditoriale quand ce n’est pas carrément des textes écrits par les marques
- Ce qui importe n’est plus le tweet, le message, la pub, mais l’histoire qu’il y a autour ainsi que les valeurs véhiculées. Ainsi ce genre de démarche n’a plus pour but le message, mais l’environnement :
Car ici, c’est l’aspect « inédit » qui fera que le message soit partagé. La presse a donc besoin de contenu, et les marques ont besoin d’attention. L’artefact de communication est un produit de communication qui réunit ces deux besoins.
II. L’artefact de communication
Cela ne dit toujours pas ce qu’est l’artefact de communication.
Autrefois, sur le web, il y avait un adage : « Don’t feed the troll ». Le troll est cette personne qui va aller déposer un appât nommé trolling dans l’espoir que quelqu’un va sauter dessus. Or, on remarque que pour qu’on parle d’une marque sur le Web, cette dernière doit parfois devenir un troll pour susciter du « bruit ». C’est ainsi que j’ai vu apparaître une nouvelle manière de pratiquer la communication autour de la théorie de « l’artefact de communication » que je définis comme étant « Un prétexte matériel ou immatériel qui sert d’appât pour la presse ou le public dans un but de visibilité ». Qu’importe l’emballage du message pourvu que celui-ci passe. L’illustration la plus probante de ce changement est la mobilisation des Femens qui offre du spectaculaire et du croustillant aux médias dans le but que le message passe.
Un autre spécialiste de l’artifice de forme est Lucien Degauchy, parlementaire français surnommé par tous « le canari jaune ». Lucien Degauchy a la particularité de s’habiller de jaune chaque mercredi au parlement. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit du jour où les débats sont filmés à la télévision. Seul homme habillé de couleur, il est ainsi visible aux yeux de tous. France 2 l’a également filmé courant de gauche à droite de l’assemblée dans le but d’être visible à chaque changement d’angle de la caméra. Derrière cela, le message est « je suis là » :
Certaines organisations dans le but d’offrir l’emballage parfait ne reculent devant rien : crises simulées, fausses études, fausses informations et consorts sont désormais partout.
Autres organisations qui ont besoin de visibilité alors que les gens détournent habituellement le regard : les ONG. Le Ice Bucket Challenge est l’exemple type d’un artefact de communication. Lancé par une association ALS qui lutte contre la sclérose latérale amyotrophique (SLA), le buzz a été véritablement mondial après que des stars se soient prêtées au jeu.
La majorité des gens n’avait que peu d’intérêt pour cette association, relativement inconnue auparavant. Celle-ci a su grâce à l’Ice Bucket Challenge proposer un artefact de communication en bonne et du forme : enveloppons le contexte plutôt que le contenu. Sachant qu’une énième campagne aurait été jugée par la plupart des gens « chiante », cette opération de communication a réussi tous ses objectifs. Toutefois, on montre également les limites des artefacts de communication : comme on s’attarde plus sur le contexte et la manière de diffuser son message, ce dernier est quelque peu éclipsé. La visibilité est ainsi éphémère tout comme le « coup » de Carambar n’est qu’un one shot qu’il ne sera plus possible de renouveler.
Récemment, c’est carrément une fausse vie qu’à mené un artiste français, Alexandre Ouairy qui s’est fait passer pour Tao Hongjing pendant dix ans parce que le marché de l’art contemporain ne jurait que pour les artistes asiatiques. Dernier type d’artefact de communication : les déclarations ou campagnes provocantes pour qu’on parle de nous. Celles-ci ont toujours existé, l’exemple le plus connu est celui des campagnes Benetton. Toutefois, avec l’arrivée du Web et la culture du buzz (bon ou mauvais), elles sont de plus en plus présentes avec pour seul but de noyer le poisson. Au contraire d’avant, elles jouent sur un filon particulièrement efficace : le paradoxe réactionnel que l’on peut définir comme « le fait de réagir négativement à un message qui ne plaît pas, et ce alors que cette réaction entraîne une visibilité à celui-ci. » Ainsi, il arrive très souvent que des organisations produisent un artefact destiné à un public qui ne correspond pas à leur cible dans le but que celui-ci réagisse, et ce pour obtenir de la visibilité auprès de la véritable cible de l’organisation.
La technique est par exemple utilisée par l’Etat islamique avec ses images de propagande. Les médias pensent répercuter « l’horreur » et dénoncer des actes alors qu’ils assurent en réalité la propagande de l’Etat islamique auprès de sa véritable cible : les recrues potentielles.
Suite aux attentats de Charlie Hebdo, on a beaucoup parlé du hashtag « #JesuisKouachi ». Or, quand on fait l’autopsie des comptes et de la propagation du hashtag, on découvre une centaine de comptes provenant d’Arabie Saoudite, de Nairobi et autres contrées disposant de supporter de l’Etat islamique. Le reste de la propagation provient des comptes voulant dénoncer le hashtag, surtout des comptes du Front National. Les gens réagissent ainsi négativement au message alors que cette réaction entraîne la publicité de ce dernier. Dernier exemple en date, celui de Donald Trump qui a parfaitement compris ce mécanisme et s’en sert pour toucher sa véritable cible : l’Américain moyen.
III. Le top 10 des artefacts de communication de 2015
Mais trêve de bavardage. Cette parenthèse théorique pour bien comprendre les phénomènes à l’oeuvre laisse place aux cas les plus illustres de cette année 2015.
Les nominés non classés
Soit parce que le désir intentionnel est flou, soit parce que cela a été un échec ou un semi-succès, les cas suivants ont été nominés, mais non repris dans ce top 10. Commençons par les retentissants échecs.
Nana
Nana sort un nouveau produit, le Shrepad, un destructeur de serviette hygiénique rechargeable via iPhone :
https://www.youtube.com/watch?v=OyynViM6Fvc
Ce produit est bien entendu tout à fait faux, et est lancés par une véritable campagne presse avec témoignage du directeur de la cellule recherche et développement de la marque qui n’est autre que le directeur marketing :
Heureusement, la manœuvre sera détectée par presque toute la presse en raison du fait que l’événement se déroulait juste après le faux lancement du « Mikado stick « . La marque a dû s’excuser et dire qu’elle comptait annoncer son « produit de l’année ».
Plan International
Pour dénoncer la condition de certains enfants réduits à l’esclave, l’ong PLAN international va orchestrer un faux blog d’une mère qui montre l’exploitation domestique de sa petite fille. Des blogs ont fait des articles sponsorisés pour dénoncer la mère et se déclarer scandalisés de la situation. Ainsi plusieurs blogueurs seraient ainsi tombés « par hasard » sur le blog. Un blog à peine nouveau qui n’était sans doute même pas référence par Google.
Heureusement, la démarche a donc été détectée par des internautes ce qui a suscité un malaise au sein l’ONG, tant cette campagne souffre d’un manque criant d’éthique.
On retrouve aussi des tentatives “faciles” de faire le buzz qui ne méritaient pas un meilleur classement avec :
Loris Gréaud
Artiste connu pour générer la polémique puisqu’il avait déjà vandalisé lui même son exposition à Dallas, Loris Gréaud aurait organisé sa propre crise médiatique en faisant preuve d’un sexisme. Il aurait mal traité par message privé sur Facebook une journaliste du Dallas Observer. Celle-ci ne serait pas en mesure d’appréhender son exposition pour la simple raison qu’elle a besoin d’un mec avec 400 Mg de stéroïdes.
L’explication de l’artiste donné aux Inrocks par rapport à ces deux faits est éloquente :
« Le premier mouvement de ce projet était l’expérience d’une prophétie autoréalisatrice, qui allait produire ou non l’événement destructif de l’ouverture. Le second mouvement, qui n’était en aucun cas un projet de communication, consistait à propager The Unplayed Notes Virus, un virus d’auto-destruction partielle : de mon projet, de mon exposition, de mon image publique et de celle du musée. L’idée était alors de tenter de produire un équivalent immatériel de l’espace physique de l’exposition, alors plongé dans un état d’irrésolution suite à l’événement s’étant produit pendant le vernissage. »
Avant d’expliquer son plan : « J’ai contacté en direct cinq journalistes qui avaient émis des critiques négatives ou imprécises sur mon exposition. Avec une rhétorique très limitée et spécifique pour chacun d’entre eux, je les provoquais et remettais en cause leurs compétences professionnelles et intellectuelles, ainsi que leur capacité globale à lire le projet, en espérant susciter chez eux une réaction. »
Rick Owens
Visibilité facile pour ses créations avec un défilé où il faisait défiler des mannequins le sexe à l’air en pleine fashion week :
Il a refait le coup en octobre 2015 en faisant porter des mannequins… aux mannequins :
Aux portes du top 10, on retrouve Wouter Beke et WWF Belgique :
Wouter Beke:
Le politique CDN & V Wouter Beke va organiser un faux faux pas où il aurait laissé son téléphone à sa fille qui a tweeté pour lui.
Une fois les médias tombés dans le panneau, il va publier que tout cela n’était qu’une campagne de communication pour la sensibilisation des jeunes aux réseaux sociaux.
WWF:
Plutôt que de simplement communiquer sur la disparition du tigre et ne pas passionner les foules, WWF Belgique a décidé de lancer une plateforme où l’on pouvait tester si son nom de famille était également en voie d’extinction en Belgique. L’ensemble est copieusement malin.
10. Le Gorafi
On peut discuter de la place du Gorafi à cet endroit dans le sens où son métier principal est justement de publier de fausses informations. Toutefois, il y a fort à parier qu’il s’agissait d’une campagne maîtrisée qui avait pour but de faire parler d’elle. Le Gorafi a annoncé sa fin. Sur chaque page du site était annoncée : « Le Gorafi, c’est fini. Merci de votre fidélité ! » . Toute la presse va alors se demander si le Gorafi ferme réellement ses portes. Un journaliste de la RTBF annonce par contre clairement qu’il fait le jeu du Gorafi dans une relation Win-Win, signe que l’artefact de communication est effectivement une demande de la presse.
9. Mikado
Pour relancer un produit qui ne décolle pas, le Mikado King, un Mikado avec plus de chocolat, la marque va créer un faux produit : le Mikado Stick. Un Mikado sans chocolat ce qui fera réagir les internautes.
https://www.youtube.com/watch?v=NLOYslYyB8U
Le community manager va beaucoup en jouer :
L’initiative sera reprise par Fun Radio qui a lancé un hashtag dédié. Au final, tout cela était pour relancer le Mikado King choco :
Les retombées furent conséquentes puisqu’ils ont été 1 er TT France et 3e Monde. Il y a eu 9 millions de vues sur les vidéos YouTube, 10 % d’engagement sur les réseaux sociaux et 230 retombées RP. On s’en fout me direz-vous puisqu’il faut faire du pognon ? Justement, l’augmentation de chiffre d’affaires a été de 17 % pour les Mikado King et 27 % Pour Mikado comparé à l’année passée
8. Vita Liberté
C’est le faux bad buzz de l’été. La marque de fitness Vita Liberté fait une publicité dont on a déjà vu des dérivés sur 4chan et autres : « Vous êtes grosses, vous êtes moches… Payez 19 euros 90 et soyez seulement moches ! »
De manière totalement incroyable, le community manager va alors voir tomber les médias un par un et les agrafer sur sa page Facebook. Le tout prendra à la fin la tournure d’un « mur des cons » improvisé :
Ils iront même jusqu’à poster une version masculine pour couper les féministes sous le pied :
7. Ryanair
Grand spécialiste des effets d’annonce, Ryanair publie chaque année sa petite news insolite :
Il y a même un TOP 15 ici.
Cette année, ils ont fait croire que la compagnie irlandaise allait vendre des billets d’avion à destination des États-Unis à 14 euros. La nouvelle a fait le tour des rédactions, tandis que Ryanair dira qu’il s’agissait d’une « erreur de communication » qui n’avait pas été rétablie en raison d’un week-end chargé complété par la Saint-Patrick. Car il est bien connu que les communicants ne travaillent jamais le week-end ou les jours fériés !
6. L’URSA
L’URSA, une entreprise d’isolation de bâtiments va utiliser la même stratégie que Paddy Power. Ils vont organiser une fausse entreprise (Arsu systems) et une fausse campagne comprenant un site Web et une vidéo où ils déclarent que l’avenir de l’isolation est d’utiliser de la fourrure d’ours blanc.
La campagne va alerter le monde écologique qui va créer un hashtag #WeAreAllBears et un groupe de lobby. Un des militants s’exclamera : « Les ours sont protégés par le programme de protection des animaux en voie de disparation et Arsu Systems est en train de les tuer pour utiliser leur peau et leur fourrure pour faire du profit ! C’est illégal et cela mérite des poursuites ! ». En réalité, tout cela était faux et Ursa Systems va même retourner l’argument en sa faveur : « avec cette fausse campagne, URSA a cherché à obtenir l’attention des médias (ce qui a été réussi) sur la problématique du réchauffement climatique en révélant la brutale vérité » à savoir que notre style de vie est en train de causer la perte des animaux et aussi de la vie humaine. Et la marque de conclure : « c’est pour cela qu’il est important que chacun d’entre nous prenne sa part dans le combat contre le changement climatique.
5. Phuc Dat Bich
Il ne faut parfois même pas être une grande marque reconnue pour arriver à ses fins. Pour se plaindre de la politique des noms sur Facebook (il faut donner son véritable nom sous peine d’être suspendu), un utilisateur de Facebook va faire un post qui fera le tour du Web :
Tout cela n’était qu’un simple canular : « ce qui a commencé comme une blague entre amis est devenu une blague qui a ridiculisé les médias et fait ressortir le meilleur des gens qui m’ont contacté ».
Les articles de la presse vont alors pointer le fait que « tout le monde se serait fait avoir », comme une tentative de se dédouaner.
4. Volkswagen
Durant le match de football France-Brésil, la marque de voiture Volkswagen a fait exprès de laisser une faute d’orthographe sur ses panneaux publicitaires. À ce moment, l’entièreté des affichages n’affiche que cette publicité, ne laissant aucune chance d’éviter son passage à la télévision :
Les réactions d’internautes ne tardent pas à venir :
En réalité, derrière cette erreur se cache une publicité Volkswagen diffusée à la mi-temps qui révèle le pot au rose :
3. Sealed Air Corp
Inventrice du célèbre papier à bulle Sealed Air Corp va créer un artefact de communication grâce au Wall Street Journal. L’entreprise créatrice du papier à bulle annonçait la fin du papier bulle au profit d’une nouvelle technologie révolutionnaire, le « iBubble Wrap ». Les articles citant le journal abonderont pour annoncer la prétendue mort de ce papier d’emballage. Seulement, Sealed Air Corp n’est bien entendu pas la seule entreprise produisant du papier à bulle. Le papier à bulle est donc encore loin d’être mort. L’entreprise a su jouer sur le fait que la marque Bubble Wrap, nom qui deviendra générique, est une propriété de celle-ci. Elle s’offre même le luxe d’annoncer d’elle-même qu’il faut rester calme :
2. The Sun
Le Sun fait croire qu’elle arrêtera de diffuser une femme seins nus en page 3 de son journal. Elle publie d’abord une femme la poitrine recouverte, avant de publier un hommage à une star de la télévision britannique. Le Times et d’autres médias embrayent annonçant une victoire d’un mouvement féministe « No more page 3 » qu’ils interviewent qualifiant cela de « réellement historique et de grand jour pour le pouvoir citoyen » Une semaine après, le Sun qui se doutait que la presse allait reprendre l’information publie en page 3 une femme nue faisant un clin d’œil et accompagnée d’un texte : « Du aux récentes couvertures des autres médias, nous tenons à clarifier que ceci est la page 3 et ceci est une photo de Nicole, 22 ans de Bournemouth. Nous voulons nous excuser au nom de tous les journalistes de presse écrite qui ont passé les deux derniers jours à parler et à écrire à propos de nous. » C’est ce qui s’appelle un beau troll.
1. L’Association allemande des avocats
Une vidéo « Pour Laura » où un homme énervé coupe un ensemble de meubles et d’objets suite à son divorce circule à travers le Web grâce à des articles.
Dans celle-ci, il s’adresse à sa femme et la remercie pour ces « douze merveilleuses années » et lui dit qu’elle a bien mérité d’obtenir la moitié des biens. Il met ensuite en vente l’autre moitié sur Ebay pour rendre le tout plus réel. Le tout apparaît très peu crédible, mais assez pour qu’une majorité de médias se mettent à répercuter l’information.
Et ce fut un magnifique canular mené par l’Association allemande des avocats pour dire qu’il faut toujours bien préparer son divorce pour éviter ce genre de mésaventure.
Voici donc pour les plus grands artefacts de communication de l’année 2015. Si vous en avez d’autres, n’hésitez pas à me le signaler par Twitter ou commentaire. De même au cours de l’année. On se retrouve très bientôt pour le bilan de l’année des crises 2.0 et surtout le top 10 des bad buzz les plus idiots de l’année 2015 !