Nouvel ordre social du 21e siècle, les influenceurs ont subi une évolution sociale à l’instar des troubadours qui voguaient jadis à travers les châteaux pour pousser la chansonnette en échange de victuaille, et qui maintenant se font payer le PIB du Ghana pour répéter à tue-tête « Oh baby baby baby ». À ceci près qu’ils ont fait le chemin en seulement 6 ans.
Ils ne se passent plus une stratégie Web sans que l’on parle d’influenceurs, les éditeurs de logiciel ayant même du leur attribué une case spéciale afin de savoir ce que ces manitous, gourous, et parfois amateurs de matous ont pensé de leurs marques.
Ces dernières appréhendent avec une angoisse non dissimulée la réponse que ceux-ci vont donner à leur invitation cocktail-bar où l’on cherchera à leur montrer le bénéfice du tout nouveau packaging révolutionnaire qui si l’on y ajoute un peu de flou ressemblera assez à un phallus pour terminer dans une publicité Perrier.
Influenceurs décidant subtilement à quelle soirée cocktail ils vont se rendre.
Et pour cause, les influenceurs ont réussi à amasser des communautés qui sont prêtes à les suivre dès que celui-ci aura fini l’hamburger qu’il vient d’Instagramer fièrement sous le hashtag #foodporn.
On va boire de l’Orangina chers influencés !
Hôtels, opérateurs de téléphonie, vendeurs de hamburgers sur Paris, candidat de The voice, ils ont tous peur de cette nouvelle classe sociale et cherchent à s’attirer les bonnes grâces de ceux-ci pourvu qu’ils puissent balancer un peu de leur influence telle la semence divine qui ira féconder leurs résultats financiers pour faire des petits euros.
Trace d’un influenceur restée intacte dans le jardin d’un vendeur de hamburgers. À tweeter d’urgence !
Pendant ce temps-là, d’autres font la queue afin d’enfin recevoir le Perks qui donnera le tout nouveau mascara Dior en espérant que ceux-ci daigneront ne pas envoyer la même couleur que celle envoyée par Channel, L’Oréal, Nivea et Bourgeois.
Apprentis influenceurs faisant la file.
Ces apprentis ne comprennent pas pourquoi ils ne sont pas considérés comme influenceurs alors que leur classe et leur influence dans le monde réel semblent évidentes. Ils vont dès lors tout faire pour essayer de monter leur influence.
Enquête dans les égouts de l’influence pour découvrir les techniques utilisées et sache cher lecteur que je t’en veux, car la plongée fut traumatisante.
II. Plongée en eaux troubles
Le business a tellement l’air juteux que je me suis dit que je devais mener l’enquête. Comment devenir un influenceur ? Quelles sont les qualités d’un influenceur ? Comment faire pour transformer un pet en un jet d’influence ?
J’ai mis mon costume de Mario le temps d’une enquête.
1. Un influenceur a beaucoup de followers
Je commence ma plongée avec l’une des évidences qui m’apparaît la plus certaine : l’influenceur a beaucoup de followers, car c’est justement ce qui prouve son influence. Je pars en quête des personnes avec le plus grand nombre de followers sur base d’un échantillon.
Sachez également qu’avec ce dernier , vous pourrez perdre du poids facilement:
Par contre, je ne puis cacher ma stupeur quand je regarde le nombre de gens qu’ils suivent. Comment écouter parmi cette masse ? Leur nombre de followers ne serait-il pas lié à ce constat ? J’ai bien entendu certaines personnes parlant de la technique de mass following, soit le fait de suivre des gens pour être suivi en retour. Le monde serait à ce point à la recherche d’influence que pour accepter de suivre quelqu’un uniquement parce qu’il vous suit ? J’ai voulu faire le test.
J’ai décidé de jeter mon ratio à la poubelle, et de ne plus avoir une veille potable pendant quelques jours pour suivre un maximum de gens. Je partais de la situation suivante :
J’ai ensuite rajouté des gens sans profil de mass following. (j’ai d’abord pensé à le faire, mais je me suis dit que cela ne prouverait rien) . Je me suis dit que je trouverais également d’autres profils intéressants à la suite de cette expérience et que cela ne pouvait que susciter plus d’interaction. Je suis donc arrivé à la situation suivante après 1 heure de clic :
En même pas une heure, j’avais donc gagné 90 followers. Après 24 h : (et un petit tri)
J’ai presque gagné 250 followers, soit 1/4 de ce que j’avais au départ, juste en faisant quelques clics. Au final, ça nous dit quoi ? Ca me fait juste penser à cette scène de 99 francs :
« Mets mes lunettes, mets-les. Comme ça, je m’embrasse un peu »
Certains ne suivent plus que pour le follow qu’il voit en eux, pour avoir une pseudo influence en plus, qu’importe si cela rend un flux Twitter illisible, pourvu qu’on voit mes tweets plus haut, plus loin et plus fort. (Même si parmi ceux qui ont suivi, certains ont peut-être trouvé mon flux intéressant alors qu’il ne me connaissait pas, ou qu’ils se disent avoir un compte Twitter ouvert au dialogue, etc.)
D’autant que j’y ai croisé beaucoup de tweetwelcome automatisé par justunfollow, etc. Sommes-nous devenus des robots pour posséder une quelconque influence ?
La bonne nouvelle, c’est que le montage est flagrant:
Le pic est tellement poussif par rapport à la croisière normale que la technique est détectable.
Autre constat, j’ai croisé une autre technique qui consiste à acheter de faux followers (comptes robots qui suivent automatiquement un compte) dans le but de paraître influent aux yeux du non-initié. Ainsi, Faouzi Lambdaoui semble avoir utilisé cela :
Je ne peux donc dire qu’un influenceur se choisit par le nombre de followers. Diantre.
2. Un influenceur a un beau ratio followers/following
Puisque certains utilisateurs utilisent donc cette méthode de mass following, il faut trouver un autre moyen de les détecter. Je me dis donc que l’on va utiliser un algorithme (les gens adorent ça les algorithmes, ça fait scientifique et on peut parler de prédiction) qui va calculer le ratio entre le nombre de followers et de following. Je pars donc à la recherche de personne ayant un bon ratio. Pour ce faire, Xavier Couture, apparait comme un véritable influenceur aussi bien dans la vie réelle (mari de Claire Chazal, ancien de Canal et du PSG) que via son ratio qui est magnifique :
11 000 followers. Ça, c’est de l’influence. Seulement, lorsqu’on regarde un peu les méthodes qu’il a utilisées, on tombe sur ceci :
À savoir qu’il a utilisé le mass following pour choper des followers et puis s’est désabonné pour paraître influent. Quelle classe. Dès lors, des comptes avec ceci :
À savoir un bon ratio, mais 9000 personnes suivies montre une influence qui fait pschht. Mon hypothèse du ratio est donc mauvaise. Diable.
3. Un influenceur a un gros réseau professionnel
Je continue mon exploration de ce monde bizarre avec Louis Serge Del Sarte, leader européen sur… Viadeo ! Celui-ci n’a pas manqué d’immortaliser son passage à 100 000 relations sur le réseau social professionnel français :
Bravo Louis Serge ! J’apprends donc également que l’influenceur est une personne modeste :
L’influenceur s’autolike car il a tellement d’influence qu’il s’autoinfluence
L’influenceur sait également se mettre en scène dans un CV vidéo : ensemble, mettons le turbo.
L’influenceur est précis. Si Linkedin ne mentionne pas le nombre de connections, l’influenceur sait palier aux faiblesses du réseau social.
Je ne peux donc apparemment pas dire qu’un influenceur se détecte par son influence professionnelle. Flute.
4. Un influenceur touche l’ensemble de ses followers
Que de déchets remontés dans cette plongée dans les égouts de l’influence. J’en viens donc à me demander si le nombre de followers a une importance où il s’agit d’un spectre inutile.
Je veux donc partir de valeurs sûres et non plus sur base d’indicateurs. Je vais prendre quelqu’un qui était le plus suivi au sein d’une communauté. Pour ce faire, je me sers de Camille Jourdain qui était le plus suivi lors de mon enquête sur l’e-réputation.
Mon but ? Faire l’autopsie de ses followers afin de mesurer l’étendue de l’influence en place. Au moment de celle-ci, il avait 28 560 followers.
Premier choc, 9915 followers n’ont plus fait le moindre tweet depuis avril 2014. Ils sont 5814 à ne plus avoir tweeté en 2014 et 2533 à ne plus avoir tweeté depuis 2012 ; 2064 personnes n’ont jamais tweeté depuis le début : cela fait donc 11 979 personnes qui ne verront jamais le dernier tweet envoyé. (41, 94 %)
Cela rend ce genre de classement totalement biaisé vu que certains ont des followers plus « frais » et donc un pourcentage d’utilisateurs plus actifs :
En gros, tous les calculs d’impressions sont obsolètes et fournissent donc de faux enseignements. Ce n’est pas pour autant qu’il ne s’agit pas d’un influenceur vu que cela laisse quand même 16 581 followers qui sont actifs et qui ont donc une chance d’être touchés par le message.
Autre trouvaille, l’application de Social Bakers est totalement biaisée :
Concernant la répartition par nombre de followers, il y a également un grand nombre avec moins de 100 followers :
Au niveau des followers, on vogue entre :
et :
Extrêmement éclectique donc. Cette petite revue montre qu’un influenceur ne peut pas toucher l’ensemble de ses followers et surtout que les followers au-delà d’un certain nombre peuvent ne rien à voir en commun avec le domaine d’expertise de l’influenceur.
5. Un influenceur possède une communauté qu’il sait toucher
S’il ne touche pas toute son audience, je me dis qu’un influenceur, vu qu’il influence, doit toucher une communauté très spécifique. Je me pose quand même la question par rapport au fait que certains influenceurs ont des passions diverses qu’ils exposent.
Ainsi Aurelie Condouel, possède une veille assez intéressante dans le domaine de l’e-réputation, mais tweet également sur les séries (avec des spoilers), The Voice, ou Danse avec les stars. Un tel éclectisme peut poser des questions à l’annonceur : si je suis TF1, est-ce que cette personne est qualitative à inviter ? Si je suis un logiciel de veille, est-ce que sa communauté est pertinente sur le sujet ?
J’ai donc fait péter les moyens mis à ma disposition pour réaliser cette enquête en faisant une cartographie de ses 6050 followers.
Commençons par la plus petite communauté, à savoir celle en mauve. Elle est constituée de 211 membres UMP. J’ignore si Aurélie Condouel a des affinités pour ce parti politique, mais elle possède en tout cas une petite communauté. Vient ensuite la verte où il y a beaucoup de gens qui se font du mass following. La communauté de 958 membres n’est donc pas qualitative. En jaune, la communauté people où Aurélie Condouel a réussi à se faire suivre par de nombreuses stars, ce qui démontre une influence dans le monde de la télévision et du people. Seulement le nombre de personnes « grand public » qui se rattache à ces célébrités est extrêmement faible. (1269 personnes, stars comprises) En rouge, la communauté la plus grande de 3576 personnes peut être qualifiée d’isolée. En effet, ils ne forment pas du tout une communauté fixe, mais ce sont des gens qui n’ont AUCUN lien entrant parmi toutes les autres personnes.
Cela titille mon esprit, ce qui me pousse à voir le degré d’inactivité parmi son réseau. Cela confirme les constatations faites plus haut, à savoir que 3417 personnes n’ont plus tweeté depuis 2 mois. 2802 personnes n’ont plus tweeté depuis 2013 (voire 2008) et 686 personnes n’ont jamais tweeté. Cela fait donc 4103 personnes totalement inactives. Le vrai nombre de followers est donc de 1947 réparti entre 3 communautés (e-réputation, UMP et stars)
Pourtant l’account est alléchant :
et je le répète, je trouvais la veille pertinente et en rapport avec le sujet. (je serais toujours en train de follower s’il n’y avait pas les spoils)
Confirmation également que les résultats via SocialBakers sont totalement faux :
III. Conclusions
Je remonte enfin à la surface de cette plongée qui fut néfaste pour les croyances de départ.
Remontée des résultats.
Si l’on résume ce que nous informe cette plongée dans les égouts de l’influence :
- Un influenceur ne peut pas être choisi par rapport à son nombre de followers. Avoir des followers est en fait facile, je l’ai prouvé grâce à mon petit test de mass following. De plus, avoir un grand nombre de followers ne veut plus rien dire désormais, car on peut facilement bloquer quelqu’un.
- Le ratio followers/following est la chose la plus rassurante, mais elle peut également être manipulée.
- Être connu dans la vie réelle ne veut pas forcément dire que l’on sera influent sur le Web. Xavier Couture s’est senti obligé de faire jouer du mass following pour asseoir une pseudo-influence.
- Avoir un réseau professionnel ne veut, aujourd’hui, plus rien dire. Il est impossible de dire si un réseau constitué sur Linkedin et Viadeo est un réseau de personnes qui se sont réellement déjà vues et qui peuvent être mobilisées.
- Un influenceur ne touche pas le nombre de personnes qui sont inscrites dans la colonne followers. Plus le profil Twitter est vieux, plus il y a une grande partie de followers inactifs.
- Plus un influenceur a de nombres de followers, moins ceux-ci seront qualitatifs. En effet, il y a un effet de tassement en fonction de l’intérêt. (Par exemple, pour le #CM/Réseaux sociaux, au-delà des 6000 followers, c’est trop)
Tous les apprentis influenceurs auront très dur s’ils ne commencent que maintenant, car les influenceurs historiques profitent de leur nombre de followers précédent. En gros, quelqu’un qui paraît influenceur, ramènera plus de followers, et ce même si celui-ci ne communique plus du tout sur son champ d’influence. (en gros même s’il communique sur The Voice, les hamburgers, la drague, et les soirées d’influenceurs) Que la vie est injuste pour qui veut siroter son cocktail au frais d’un annonceur crédule.
L’influence est donc toute relative. Les pseudo nouvelles méthodes sont aussi crédibles que le Klout. On ne peut mesurer réellement une influence sur le Web. Il faut tester l’influence dans le monde réel. Si des gens se bougent pour voir une personne, qu’elle déclare leur flamme, on peut y déceler une influence. Si tel n’est pas le cas, il faudrait parfois se remettre en question et revoir ses stratégies de marketing d’influence. Le prochain choc devrait venir de la part de Twitter si le réseau se décide à afficher le nombre de vues par tweet.
Cela montre également que nous investissons parfois dans du vent. Telle une bulle économique, que l’on pourrait qualifier de Bulle shit en hommage à ce que l’on pêche quand on daigne descendre dans ses égouts. ( Et sinon, le volume II des égouts de l’influence est sorti !)