Dans cette article, j'évoquerai les changements notoires qui me semblent menés vers ce nouveau concept : l'e-réputation.
La dynamique de la circulation de l’information
Les entreprises ont jusqu’alors toujours communiqué dans une logique TOP à DOWN. Soit l’entreprise, émettrice « E », qui veut envoyer une image d’elle-même « I » à l’aide un message « M » à un public ciblé « R » qui se fera sa propre image « I’ » de l’entreprise « E » :

Nous obtenons ce schéma vertical dit Eimir`
L’entreprise utilise un media qui sert de médium pour faire passer son message et son image auprès du public. Le public lui, dispose de moyens limités et unidirectionnels pour retourner l’image qu’il a de l’entreprise : courriers des lecteurs, interview par des journalistes, call-center, courriers, etc.
Les entreprises peuvent aussi solliciter ce feed-back par des enquêtes de satisfaction ou d’image. Dans ce schéma, la réputation d’une entreprise est donc la somme des I’ générés à la suite de l’ensemble des messages émis par une entreprise.
La définition que je viens d’énoncer montre la principale faiblesse de ce schéma. En effet, elle masque la dimension des messages véhiculés au sein du public sur l’entreprise en question. Cela est dû au fait que ce phénomène est difficilement observable et quantifiable si ce n’est par des enquêtes d’image très poussées.
L’apparition de l’Internet et surtout du Web 2.0 bouleverse ce schéma. Pour la première fois, les entreprises et le public disposent d’un médium où la dynamique TOP à DOWN est brisée.
Le public dispose du même médium que les entreprises : de passif, il devient actif. N’importe qui peut publier n’importe quoi pour n’importe qui; le feed-back n’est plus unidirectionnel, il devient un message passant par le médium. Cela nous donne donc un schéma horizontal circulaire proche de celui-ci :

De façon moins compliquée, lors d'une conférence menée à l'ULB , j'avais commencé l'exposé en me tenant devant une majorité d'étudiant :
Cela change donc la manière de communiquer de l’entreprise dans la mesure où elle quitte sa communication verticale pour adopter une communication horizontale, au même niveau que le public.
Le public tolère donc moins les méthodes autrefois habituelles qui reposant sur le modèle TOP-DOWN.
La communication marketing est-elle affectée par celui-ci?
Selon moi, non car quand une entreprise décide de faire de la publicité pour une raison X, elle cherche à capter de grosses audiences pour diffuser son message.
Je reprends dès lors une notion d’Alexandre Villeneuve et Edouard Fillias, appelée les carrefours d’audiences qui sont « les grandes rues de l’Internet où il convient, quand on veut exister, d’ouvrir une enseigne. »[4]
Ces carrefours du Web sont des lieux comme Facebook, Google, YouTube, les sites d’actualité, les forums spécialisés, les blogs spécialisés, etc. L’entreprise fait donc ce qu’elle a toujours fait : elle se fixe un objectif marketing, un positionnement à transmettre, un public cible à atteindre, crée un message et cherche l’endroit le plus adapté, le « carrefour d’audience » pour y diffuser son message. Toutefois, chaque carrefour a ses règles spécifiques.
Cette nouvelle dynamique de circulation de l’information permet aussi au public de se doter d’experts en tout genre (avocats, spécialistes de la question, influenceurs, etc.) qui pourront apporter une contre-expertise aux versions données par les entreprises. Cette expertise est de plus gratuite et facilement accessible à n’importe quelle organisation.
Le Web 2.0
Nous sommes en présence du schéma dit d’Imim qui arrive à l’aube du Web 2.0 et où une opportunité et un danger ont vu le jour :
-Le danger est que l’impact des messages de l’entreprise sur son image soit fortement diminué par l’impact des messages du public.
En effet, 88 % des gens font confiance à des gens comme eux, contre 54 % à un CEO[5]; 44 % (contre 70% en 2009) à un site appartenant à une marque et 64 %(contre 70% en 2009) à des commentaires d’utilisateurs[6].
Le public fait aussi plus confiance à une personne comme eux plutôt qu’à la radio (66 %), ou à la TV (63 %), ou à la presse (53 %) ainsi qu’à Internet (42 %).[7]
Une étude de l’institut Cision en 2009 montre que 89 % des journalistes écrivaient leurs articles en utilisant les réseaux sociaux comme source.[8] La tendance est donc à ce que la voix du public prenne le pas sur la prise de parole d’une marque par n’importe quel support publicitaire.
Le danger est dès lors évident puisque le Web s’est imposé comme instrument prescripteur et l’instrument du débat par excellence :
selon une infographie Olimeo.com, 67 % des internautes expriment leur avis en ligne. (Un acheteur content transmet sa satisfaction à 3 personnes en moyenne alors qu’un mécontent transmet son mécontentement à 11 personnes.)
60% des gens ont effectué une recherche sur l’Internet avant d’effectuer un achat en ligne (Pew Research Center, 2009) et 38% des gens affirment pouvoir renoncer à un achat suite à des avis négatifs d’amis virtuels (Médiamétrie, 2011) : chaque position, chaque avis, et chaque mécontentement se retrouvent sur un endroit potentiellement accessible à tout le monde.
Alors qu’auparavant, ceux-ci étaient immatériels et disparaissaient pour laisser place à un autre sujet de discussion; ils sont désormais matérialisés et permanents.
Jeff Bezos, CEO d’Amazon.com l’a très bien compris : « Si vous mécontentez les clients dans le monde physique, ils pourraient en parler à 6 amis. Si vous mécontentez les clients sur Internet, ils peuvent le dire à 6000 amis »
A cela, de nouvelles méthodes de recherche dites « sociales » sont en train de voir le jour, Google compte en effet intégrer dans son moteur de recherche les recommandations et les visites des contacts/amis sur Google plus. [10]
L’opportunité : je disais lors de l’explication du schéma Eimir, que l’une de ses grosses faiblesses était que l’on négligeait l’importance de la déformation du message au sein du public.
Jusqu’à présent, ce phénomène était difficilement observable ou quantifiable. Avec l’apparition du Web 2.0, tout ce qui se dit sur l’entreprise est désormais accessible et dans une moindre mesure, quantifiable.
Il est désormais possible de surveiller en continu tout ce qui se dit sur une entreprise, la comparer avec l’image qu’elle veut transmettre et réguler cette vision en instaurant un dialogue avec le public.
Autrefois, une entreprise ne pouvait connaître que par des enquêtes d’opinion, l’image qu’elle avait auprès du public, estimer à quel point le public avait appréhendé son positionnement et réajuster celui-ci au besoin par d’autres messages publicitaires en espérant qu’I’ sera la plus proche d’I. Il lui est désormais possible d’avoir un aperçu de la situation à l’aide d’une veille stratégique sur ce que l’on dit d’elle. Elle est aujourd’hui capable de voir le processus par lequel les gens façonnent I’.
Mieux, l’entreprise peut participer au processus. Il s’agit donc d’une véritable opportunité pour elle.
Cette vision de danger et opportunité se reverra plus tard lorsque je définirai la crise. On y découvre en effet que la traduction chinoise du mot crise a un double sens.
Processus d’achat
David Court et trois autres chercheurs ont réalisé des études auprès de 20000 consommateurs pour déterminer le processus d’achat actuel.[11]
Selon ces chercheurs, le processus d’achat des clients était jusqu’alors de pouvoir choisir parmi une multitude de marques.
A partir de là, une sélection s’opérait sur base de critères divers. Enfin, c’est à partir de cette sélection que le choix final s’opérait.
Prenant compte de ce processus d’achat, les marques et les entreprises consacraient une grande partie de leurs investissements à travailler la notoriété de la marque, mais, selon cette étude, avec l’apparition du Web 2.0, l’étape de considération et d’évaluation est devenue plus importante et il faudra donc investir aussi dans ces étapes-là.
De plus, si la relation entre la marque et le client est forte, le client aura plus tendance à ne plus répéter tous les processus d’achat.
Ceci montre donc l’importance pour les entreprises d’être aujourd’hui plus proche de leurs clients et surtout de travailler leur réputation beaucoup plus qu’avant.
Responsabilité sociale et environnementale
Ces dernières années, les entreprises endossent de plus en plus une responsabilité sociale et environnementale. Pourquoi ce changement ? Je distingue trois causes qui peuvent, me semble-t-il, expliquer une partie de ce changement :
La circulation de l’information : Contrôler l’information est devenu aujourd’hui nettement plus difficile, car elle peut être répercutée à travers l’Internet très rapidement, mondialement et librement. A la manière des politiciens, les actes des entreprises sont maintenant traqués par les citoyens. La conséquence de cette surveillance oblige les entreprises à respecter les valeurs sociales de la société et à ne pas affecter la nature environnante.
La cause des crises : Ernst & Young publiait déjà dans son rapport de 2010[12] que les risques environnementaux et sociaux se classent respectivement à la 8e et 9e place. BP/Shell et les marées noires, Total et le naufrage d’Erika, Nestlé et l’utilisation d’huile de palme, Cora et le licenciement d’une employée pour « vol de ticket », Air France et le rapatriement des Français du Japon, etc. : tous ces exemples nous montrent à quel point les responsabilités sociales ou environnementales sont devenues de véritables causes de crise.
La mondialisation : La mondialisation est une des causes des délocalisations et une source de tensions sociales qui poussent les entreprises à communiquer et à intégrer cette dimension dans leur communication. La mondialisation a obligé les entreprises à inclure plus d’acteurs dans leurs communications et de prendre en compte un nombre plus élevé d’acteurs cibles et surtout d’acteurs surveillants.
Ces responsabilités sociales et environnementales constituent une étape majeure de cette transition : la marque n’est plus seulement un produit ; c’est la conjugaison de la marque productrice et de la marque-produit.
Auparavant, Nike évoquait auprès du public l’image de chaussures et de vêtements. Désormais, Nike renvoie également l’image de produits fabriqués par des enfants asiatiques. Une marque n’est donc plus simplement l’image qu’elle projette au travers de ses produits, mais également ce qui se dit sur elle.
Cette dimension a néanmoins toujours existé via le bouche-à-oreille ; ce qui change, c’est que maintenant ce bouche-à-oreille, concept immatériel est matérialisé sur l’Internet et est accessible au plus grand nombre.
Le véritable changement provient une fois de plus du Web 2.0 et plus particulièrement des réseaux sociaux.
La société a maintenant un moyen de pression énorme sur les entreprises. Lorsqu’on touche à des problématiques de responsabilité environnementale, c’est l’ensemble de la population humaine que l’on touche.
Selon une enquête IFOP, 25 % des gens sont prêts à appeler au boycott de marques ou d’entreprises sur les réseaux sociaux.
Sur l’Internet, il est désormais possible de mobiliser des personnes venant de n’importe où dans le monde. Greenpeace et les autres ONG l’ont très bien compris : auparavant, quelques personnes intéressées et physiquement présentes dans un seul point du globe pouvaient être mobilisées afin de manifester. Il est désormais possible de mobiliser n’importe qui dans le monde en quelques minutes pour entreprendre une action médiatique répercutée sur l’ensemble du globe. Les personnes mobilisées sont dès lors non identifiables pour les entreprises : sont-ce de vrais clients manifestant leur mécontentement ou sont-ce des ONG ? Le flou est total et la manifestation, massive.
L’ensemble de ces constatations nous mène donc à la création du terme e-réputation.
Et vous, si vous avez eu le courage de tout lire, est ce que vous avez d'autres raisons qui pourraient expliquer cette avénement vers le concept d'e-réputation?
Les sources utilisées pour cette article:
[4] Fillias, Edouard and Alexandre Villeneuve. E-réputation: stratégies d'influence sur Internet. Paris: Ellipse 2011, 2011. 114. Print.
[5] Van Belleghem, S.. The conversation manager. Leuven: Lannoo Campus, 2010. 19. Print.
[6] Nielsen.com. Global Online Consumer Survey. 2011. E-book.
[7] Eurobaromètre. European Commission. 2009. Print.
[8] Club E-reputation. Questions d'entreprise sur l'e-reputation. 2012. E-book.
[10] http://www.lefigaro.fr/hightech/2012/01/11/01007-20120111ARTFIG00542-la-nouvelle-recherche-sociale-de-google-cree-la-controverse.php
[11] Mc Kinsey Quarterly. The consumer decision journey. 2009. E-book.
[12] Ernst & Young. The top 10 risks for business. 2010. E-book