Les dirigeants de grands groupes sentent de plus en plus l’appel de la prise de parole et de l’importance d’exister. S’ils appréhendent parfois encore l’aura, la visibilité, et la large audience des médias, les réseaux sociaux ressemblent à une “safezone” pour incarner leur rôle de porte-parole naturel de leur entreprise. Nous avons décidé de partager notre connaissance en la matière en isolant la tectonique des plaques.
Ils en oublient cependant un enjeu clé : cela dépasse la simple communication institutionnelle. Il s’agit de traduire en mots l’impact concret des choix, d’esquisser des perspectives, et de devenir un phare des employés dans la nuit de leur travail quotidien. Tout cela n’est pas simple. On va donc étirer les potentialités d’une prise de parole sur les réseaux sociaux.
Le résumé
- Sur la connexion entre réseaux sociaux et CEO, nous sommes dans deux mondes différents entre des CEOs qui n’ont pas d’objectifs clairs et des organisations qui n’ont pas le process et l’habitude de traiter ces demandes.
- Cela va cependant devenir un passage obligatoire pour les prochains CEOs pour assurer leur objectifs sur les 3 “extra-“. (Extra-financiers, Extra-légaux et Extra-réputationnels)
- Leur vision est souvent tronquée. Soit en surinterprétation ou en sous-interprétation. Le problème réside essentiellement dans leur propre pratique informationnelle ou sur l’écosystème de la rédaction de notes des personnes qu’ils rencontrent qui vont pointer davantage les médias traditionnels que les médias sociaux biaisant les méthodes de construction de leur opinion en
surinterprétant leur propre cercle personnel au lieu d’appréhender les cercles par objectifs poursuivis.
- L’objectif clé est de trouver un “intérêt partagé” et un “objectif atteignable par les réseaux sociaux” autour des axes primordiaux du plan d’action moyens et longs termes du CEO.
- La méthode doit avoir une cible bien établie et fixer une ligne éditoriale qui corresponde à la cible et à l’objectif poursuivi.
- Les indicateurs doivent sortir des indicateurs “médias sociaux” qui ne parlent pas aux CEOs et qui ne devraient parler à personne. (En plus de n’être que l’assurance de donner des résultats déceptifs) Le nombre de publications sur un sujet, le nombre d’engagements, le nombre d’impressions biaisées en trillion : c’est du bullshit et ca ne parlera jamais à des gens intelligents qui doivent prendre une décision et comprendre les bases factuelles qui sous-tendent cette décision.
I. Deux mondes différents
- Ca y est. Le dirigeant a pris une décision importante. Il comprend l’intérêt de communiquer en son nom. Il n’est certainement pas le premier et il a certainement un référentiel en tête. (Nicolas Hieronimus, Michel-Edouard Leclerc, Xavier Niel) Ils convoquent alors la direction de la communication, voire directement le social media manager du groupe.
- Ca y est. C’est venu de nulle part (où ca provient d’un plan global avec stratégie qui n’avait aucune chance sur le papier), mais la direction de la communication ou la/le social media manager du groupe reçoit la demande. Il faut communiquer au sein du groupe.
Normalement, nous venons d’assister à un alignement. Les deux sont prêts. C’est un matching Tinder. Sauf qu’en fait…Non.
- D’un côté, nous avons quelqu’un qui a l’habitude de gérer tout son organigramme, son quotidien, et ses décisions sur base de ses compétences et de son expérience. Il a une ascendance. Une légitimité du quotidien. Sur ses champs, le CEO descend dans l’open space et il écrase n’importe quel junior de l’entreprise sur n’importe quelle mission. Sauf qu’en réalité, sur ce champ, il ne sait rien. Il n’a jamais fait ca auparavant. Jamais on ne lui a appris ca. Il ne lit que les médias traditionnels. Il est incapable de donner les clés vers le bas d’autant qu’on lui parle d’engagement, de reach, de plein de mots franglais qui n’ont pas de sens pour lui. (A raison)
De l’autre, nous avons une direction de la communication. Il y a trois types :
- Ceux qui ont toujours considéré dans la chaine alimentaire que les réseaux sociaux n’étaient pas de leur rang. Les réseaux sociaux ? Les internets ? C’est au bout du couloir de l’open space de l’équipe. Pour ceux-là, ruisselement total. On fait monter les réseaux sociaux sur la mission en indiquant bien que cela sera géré par la personne en charge de cela. Rapidement, cela prend contact avec une agence sur des fonds de budget pour être certain que l’interne ne va pas mal gérer la chose.
- Les autres qui ont toujours tout au long tenu les réseaux d’un coup de l’oeil. Généralement, les plus malins de la typologie. Ils ont su qu’il fallait savoir en parler mais qu’il ne fallait surtout pas faire croire que l’on maitrisait la chose par peur d’être catégorisé comme “maniant les internets”. Ceux-ci vont piloter eux-mêmes en prenant la chose comme un challenge.
- Ceux qui en viennent et qui s’en sont finalement extirpés pour atteindre la direction de la communication. Autant dire qu’ils ne vont pas chuter sur la marche des réseaux sociaux au moment où finalement la direction deigne leur dédier un peu de temps, de légitimité et un intérêt stratégique. Une autre potentialité est que finalement ils font déjà la communication des réseaux sociaux de tous les DG du groupe qu’ils représentent.
Alors qu’il devrait y avoir alignement, il n’en est finalement rien par rapport à cette histoire. Ils n’ont pas l’habitude de se parler et les pratiques générales ne sont pas standardisées. N’importe quelle personne sur les matières juridiques, management ou financiers ont l’habitude d’être en contact avec les missions du CEO. Mais sur l’extra-légal, l’extra-financier, l’extra-réputationnel (les 3 “extra-“), c’est le flou absolu.
Bref, on a des process généraux pour ces champs qui sont relativement codifiés. Et tout est objectivé dans le temps (Publications des résultats financiers trimestriels, date de procès connus, etc.) là où dans le sociétal, tout peut tomber du jour au lendemain (changement d’une loi, d’un arrêté, crise réputationnelle, mais cela a une incidence directe ou critique.
II. Le CEO
De ce que nous avons eu l’habitude de croiser sur ces types de missions, nous avons remarqué certains modèles types : (signalons tout de même que nous sommes dans la caricature ou l’agglomérat des choses)
1. Ils n’ont pas d’objectif
Ils sont dans check-list ou l’intuition : il faut publier sur les réseaux sociaux. Ils n’ont aucune idée du but si ce n’est qu’il faut avoir une “aura”. Une aura n’est pas un objectif. Même en construction de marque et de “branding”, personne en marketing n’accepte un briefing comme cela. Cependant, le champ est nouveau : la marque individuelle n’est pas encore codifiée ou théorisée. Pour autant, elle doit respecter les mêmes attendus généraux à savoir la définition d’un objectif, pour une cible, sur un canal spécifique avec des indicateurs clés.
2. Ils se comparent
Corolaire du point précédent, mais comme ils n’ont aucun objectif, ils vont placer des référentiels. En période d’incertitude et de non-connaissance des choses, il y a deux modèles de CEO : le “visionnaire” et le “comparateur”.
- Le visionnaire est dans un autre monde (qui soit devient le nouveau monde, soit est un univers
parallèle non atteignable)
- Le comparateur va se comparer avec des référentiels qui sont toujours plus haut que lui-même. Un continent plus haut, une dimension plus mondiale, un modèle inatteignable à atteindre.
Paradoxalement, il est plus facile de discuter avec un visionnaire qu’un comparateur. Le comparateur sera également dans une autre dimension, mais il va objectiver le fait que ca soit possible. (A tel point qu’il est impossible d’argumenter avec lui car la réponse serait “mais vous n’êtes pas tel acteur”, significatif d’exclusion totale) Le visionnaire est à la recherche de savoir si sa vision peut être déclinée ou augmentée par la communication.
3. Ils ont peu de temps
Dans les deux cas, il est toujours intéressant d’avoir un acteur qui “objective” les choses et qui soit externe. Mais externe à 100 %, c’est-à-dire qu’il ose dire les choses. Le temps d’attention moyen est de 15 minutes. Pour cause, le CEO a l’habitude d’être sollicité pour plein de décisions qu’il doit prendre rapidement. Passées les 15 minutes de présentation sans décision à prendre, il est ailleurs.
4. Ils ont une méthode et un instinct
L’avantage, c’est que s’ils sont arrivés là où ils sont, c’est qu’ils sont pour la plupart brillants. Ils savent identifier dans quelle mesure leur interlocuteur va être intéressant pour eux ou pas. Il sont “tranchants”. Si les 15 premières minutes vont dans le bon sens, le reste va dérouler.
5. Ils ont des points de friction.
Derrière la carapace, ils ont cependant des sujets problématiques. Des choses qui sont dans leur to-do list et qui sont compliquées. Tout l’enjeu est d’aller “gratter” vers ces sphères pour identifier leurs points de friction.
6. Ils cherchent des indicateurs
Une fois le plan d’action établi, le principal problème va survenir : les indicateurs social media ne veulent rien dire et sont total bullshit. 2000 mentions ? 3 trillions d’impressions par mois ? Qu’est-ce que cela veut dire pour un dirigeant ? Rien.
7. Ils valorisent la consultance
Ils sont habitués à la politique interne et les gens qui ont peur de prendre des décisions. Ainsi, ils vont valoriser et aimer les apports extérieurs avec un regard neuf, distancié et neutre. Et ce, alors que dans 85 % des cas, leur propre équipe leur aurait dit exactement la même chose s’il n’y avait pas de relation de pouvoir.
8. Ils estiment mal le pouvoir des réseaux sociaux
Leur vision des réseaux sociaux est biaisée, soit en sur-interpétration soit en sous-interprétatation. La faute à une surimportance des médias traditionnels. Principalement par leur propre moyen de lire l’actualité, mais aussi par les narratifs des médias sur les médias sociaux. A l’inverse, ils survalorisent le poids des médias. Ils ont la note “médias” ou ils ont eux-mêmes lu l’article. Les personnes que les CEOs rencontrent ont eu une fiche sur eux via leurs apparitions presse. (Quoique ces fiches sont de plus en plus nourries par les réseaux sociaux et les autres données ouvertes)
III. La méthode
Quelle méthode pour s’assurer de réduire l’incertitude de ce genre de projet ? Nous avons isolé les principales étapes :
1. Comprendre les opportunités générales
Tout est possible avec les réseaux sociaux. Cependant, il y a déjà un certain nombre de choses dont il y a des preuves qu’il y a un “modèle” ou “cadre” possible où la probabilité d’obtenir des résultats est plus grande. Les réseaux sociaux aujourd’hui permettent essentiellement de :
- Toucher son secteur.
- Donner envie de rejoindre l’entreprise.
- Réagir rapidement aux actualités.
- Construire une audience de premier cercle autour de l’entreprise (fournisseurs, commerciaux, employés, secteur) et reposer sur celle-ci pour étendre cette base.
- Influencer le milieu politique
- Communiquer aux employés.
2. Comprendre
Au lieu de foncer vers les indicateurs social media sans sens, il est important de comprendre l’agenda du CEO. Quel est son plan à 5 ans ? Qu’est-ce qu’il y a besoin comme sous-objectif pour atteindre cet objectif ? Quelle est la mutation pour les parties prenantes à assurer ? Comment être certain que le changement d’ethos soit connu des parties prenantes clés qui prendront la décision collégiale que la mutation est réussie ? Quelle est l’audience de l’organisation ? Correspond-elle à l’écosystème qui doit être appréhendé pour le plan ?
Tout cela permet de savoir “ce qu’il serait possible d’atteindre par les réseaux sociaux”. En gros, il s’agit de proposer une “boutique” d’actions possibles qui correspondent au plan global et dont il est possible d’avoir une composante axée sur les réseaux sociaux.
3. Fixer le bon objectif et surtout les bons indicateurs
Cette phase de compréhension va permettre que le CEO choisisse l’objectif de son choix dans la “boutique”. Elle permet de dire au CEO : “je vais t’aider à atteindre cet objectif via les outils que j’ai à ma disposition”.
Le plus important est surtout de donner les bons indicateurs de suivi pour s’assurer du résultat. Important dans cette phase-là, mais il ne faut jamais donner d’indicateur d’engagement ou de visibilité sur les réseaux sociaux :
- Cela ne veut rien dire par rapport à l’objectif poursuivi
- Ce sont des “bonbons récompenses” que les plateformes nous donnent
- Ces indicateurs ont tendance à être toujours en baisse parce que la part de voix sur LinkedIn ou autres devient moindre avec le temps.
Il faut ouvrir ses shakras sur les indicateurs en se plugant avec d’autres choses liables : le chiffre d’affaires, le recrutement, les journalistes, etc. Aujourd’hui, toutes les disciplines génèrent de la data qui est pluggable à d’autres systèmes. L’enjeu est là.
4. Les contenus
Vient le moment du déploiement. Chaque CEO et chaque organisation est différente sur plein de composantes. Les choses clés sont cependant :
- Pas de personnalisation extracerbée du CEO. Tout le monde s’en fout de la vie du CEO. Ce qui est intéressant c’est l’angle “personnel” du CEO sur ses objets. (Les thématiques ou problématiques attenantes à l’entreprise, au secteur ou à la société)
- Des visuels clés. Il faut de vrais visuels qui ont une fonction conative (on attire le regard) , une fonction contextuelle (voici où j’étais) et une fonction explicative. (voici ce que je veux dire)
- Des taggings clés. Il faut identifier et taguer les acteurs clés de la prise de parole. Cela permet d’externaliser la prise de parole dans d’autres sphères que “le premier cercle”.
- Il faut une cible précise qui est “décideur de l’objectif”. Sinon on finit rapidement dans le “Martine à la plage” qui ne passionne personne sauf les employés bons élèves.
- Eviter les contenus plats d’agences. Comme pour les IA, les contenus plats, désincarnés, sans substance et sans intérêt ne produisent aucun effet. Ou alors on retombe dans les canaux et la communication traditionnelle. Mais avec les mêmes effets.
4. Canaux
Pour les canaux, il est important de se dire que tout est possible. A quand un CEO sur Tik Tok pour montrer la voix ? Il serait à coup sûr unique. Et la réputation d’un dirigeant se construit par antagonisme ou unicité. Mais si vous voulez réduire l’incertitude, voici les résumés des canaux de manière “safe”.
5. Se servir des indicateurs pour corriger les éléments ou pour prouver la plus-value
Important, mais le reporting des champs est ultra important. Dès le départ, s’il est possible, objectivez l’indicateur en T0. En toute logique, si vous avez délégué des ressources, du temps et des mesures, le T+1 serait toujours meilleur que le T0. Mais cela permettra aussi de voir les variables sur le contenu et les canaux. Les indicateurs, s’ils sont mauvais sont simplement signe d’un besoin d’ajustement mais pas une erreur de casting pour la première année. Par contre, si pendant 2 ans, aucune chose ne change et le résultat ne suit pas : le problème est la personne. Mais si jamais vous avez atteint vos indicateurs et vos objectifs, vous aurez à jamais quelque chose d’incroyable : votre CEO sait que via les réseaux sociaux, il peut atteindre ses objectifs. Et cela n’a pas de prix. Mais cela a des budgets !