Appartenance à une organisation criminelle, blanchiment d’argent, corruption… Le Parlement européen a fait les gros titres le mois dernier.
Après une série de perquisitions début décembre, des sacs d’argent liquide sont retrouvés au domicile d’Eva Kaili, encore vice-présidente du Parlement européen à l’époque. L’élue du S&D est accusée d’avoir perçu des centaines de milliers d’euros de la part du Qatar, en échange de la défense des intérêts du pays auprès de l’Union européenne. D’autres membres de son parti (Marc Tarabella, Maria Arena, Andrea Cozzolino) sont également mêlés à l’immense scandale politico-financier que deviendra le Qatargate.
Après coup, nous nous sommes interrogés sur les mécanismes de propagation médiatique et d’appropriation politique de l’affaire et dans quelles mesures la bulle européenne a été touchée. Quelles sont les parties-prenantes qui se saisissent du sujet et à quel niveau se situent-elles ? Quelles sont leurs stratégies de mobilisation sous-jacentes ?
Propagation : mobilisation instantanée et médiatisation localisée
Immédiatement au lendemain des perquisitions, le Qatargate fait la une avec de nombreuses reprises dans les médias belges et français. A Bruxelles, le journal Le Soir est le premier à relayer l’information, avant que les autres médias belges francophones ne reprennent l’information. Les mentions autour du Qatargate sont d’ailleurs éminemment empreintes de la présence de médias, journalistes et correspondants européens.
Pour autant, au-delà de ces premières reprises (51% des discussions ont lieu dans ce laps de temps de 72 heures), les volumétries baissent rapidement une fois les réactions émises, sans que les divers rebondissements qui suivent ne génèrent pas de regain d’activité.
Un crime, deux tribunaux
Le scandale met surtout en lumière les différentes stratégies de mobilisation des partis politiques. Le Qatargate a servi de prétexte à un certain nombre d’acteurs pour hisser leurs idéologies et revendications plus génériques.
Deux terrains de débat se dessinent, avec des logiques conversationnelles qui s’inversent selon le pôle de l’échiquier :
Un premier terrain majoritaire (64% des mentions) est formé par l’extrême-droite européenne qui profite de l’opportunité pour designer l’Union européenne comme principale coupable du Qatargate, avec la résurgence de forts narratifs eurosceptiques.
Les eurodéputés du groupe Identité et Démocratie (Virginie Joron, Jordan Bardella, Gilbert Collard) occupent très fortement l’espace conversationnel et sont particulièrement actifs sur le scandale. Remise en cause de l’intégrité d’Ursula Von Der Leyen, contestation des votes au Parlement, complicité des autres groupes politiques : dans ce pôle conversationnel, les méfaits sont généralisés à la bulle européenne dans sa globalité.
Un second terrain porté par la gauche européenne (Manon Aubry, Raphaël Glucksmann), beaucoup moins visible, a pour narratif principal que les Qataris sont les principaux coupables. Le scandale est surtout repris pour dénoncer les ingérences extérieures et étrangères dans les affaires européennes. Contrairement au pôle d’extrême-droite, l’intégrité du système européen n’est pas remise en cause. Ils agissent en ordre dispersé ce qui explique que la cartographie ne les fait pas rejaillir en tant que communauté unique. Cette mobilisation est encore plus prégnante sur LinkedIn avec de nombreuses prises de parole de députés européens (Pierre Larrouturou, Michèle Rivasi, Aurore Lalucq).
Une bulle européenne en huis-clos
L’extrême-droite mobilise une grande superficie de l’espace de débat mais n’est pas pour autant des plus impactante auprès de la sphère européenne.
Pour évaluer l’impact du discours des parties prenantes actives dans le Qatargate, nous avons reconstitué le newsfeed Twitter des décideurs et personnalités influentes de l’UE via notre méthodologie de topical impact assesment. Nous avons alors constaté que la bulle reste cantonnée à ses habituelles sphères d’influence, au niveau communautaire. Elle se montre particulièrement réceptive aux parties-prenantes la structurant, avec une moindre sensibilité aux acteurs nationaux pourtant plus mobilisés. Deux fortes potentialités d’influence se sont dégagées :
Bien que le média Le Soir soit celui qui ait révélé au grand jour le scandale, ce n’est pas celui qui a été le plus impactant. Les médias internationaux spécialisés dans les affaires européennes sont les plus influents auprès de la bulle, montrant le prisme essentiellement européen et moins national du scandale. Ainsi, c’est le média Politico Europe qui a été le plus influent en touchant quasiment la moitié de l’écosystème.
Il ressort également que les partis libéraux (Renew) et de gauche (GUE/NGL, Verts/ALE) sont les acteurs politiques qui ont le plus de potentiel d’influence au sein de cet écosystème européen.
En conclusion, cette analyse nous montre que :
- Une polémique telle que l’affaire de corruption au Parlement européen ne dure pas dans le temps au-delà de l’émergence du scandale.
- Ce n’est pas le média qui sort le scoop qui est le plus impactant : les relais sont ailleurs. La bulle européenne se montre sensible au positionnement des acteurs internationaux la constituant, moins à celui des parties-prenantes nationales pourtant plus mobilisées. Les médias traditionnels européens (Politico, Euractiv), les partis de gauche et Renew sont les meilleurs leviers d’influence.
- Comme n’importe quel grand phénomène médiatique, des stratégies d’opportunité s’observent avec une large reprise des partis d’extrême-droite qui monopolisent le débat sur Twitter. La gauche européenne peine à se frayer un chemin sur ce réseau social mais c’est sur LinkedIn qu’elle commence à faire entendre sa voix.
- Les partis politiques utilisent le Qatargate pour hisser leurs revendications traditionnelles : la gauche dénonce les ingérences dans la politique européenne, tandis que l’extrême-droite fait preuve d’euroscepticisme.
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