Devant la multiplication du phénomène d’infobésité, l’omniprésence de la publicité, et la remise en question des entreprises, il est un fait que le permis de communiquer ne s’obtiendra plus simplement en payant une somme d’argent, mais en obtenant une licence sociale de communiquer. Explications sur la manière de l’obtenir.
I. Introduction
En l’an de grâce 2004 naquit Facebook. Désormais tout ce qui était communication avant cet âge serait appelé la communication à papa, Nous sommes donc en l’an 12 après Facebook. Les phrases pour narrer cet ancien temps commenceront toutes par AVANT et se couperont par un maintenant. On ne dira plus reputation mais « E-réputation » ; on ne dira plus autoportrait, mais selfie, plus arnaqueur, mais growthacker, plus research & development mais « Open innovation », plus évangéliste, mais guru, plus Robert des archives, mais Robert Supreme Big Data Analyst.
Pourtant si l’on y regarde bien, les choses n’ont pas vraiment changé. Comme je le vous disais sur mon article à propos du rejet de la publicité, on a beau parler de conversations, de serious game, de publicités en ligne, de virtual reality et consorts, la situation est la même depuis des décennies, voire des siècles, on recherche de l’audience et son attention. Et il s’agit de trouver la meilleure adéquation pour ce faire. Je ne vais pas vous refaire tout le contenu de l’article, mais le fait est que dans la recherche de l’attention de l’audience, les publicitaires ont fait sauter tous les verrous possibles et imaginables. Publirédactionnels, street marketing, placement de produits, sponsoring, les publicités nous poursuivent partout et jusque dans nos chiottes.
Seulement, dans cette recherche d’attention permanente, il y a saturation dans la mesure où nous avons trop de messages (ce que l’on appelle l’infobésité) puisque même les personnes sont devenues des vecteurs de communication. Cela a eu pour effet d’avoir de forts mouvements antipubs.
La publicité a également été remise en question partout où de nouveaux médias arrivaient. (Twitter, Facebook, Instagram, etc.)
Par la même occasion, l’entreprise, à force de vouloir être partout est devenu un acteur du monde avec ses propres responsabilités sociales et sociétales où l’on arrive parfois à des situations où l’on demande plus d’une entreprise qu’un politique. Cette situation a fait changer la communication des entreprises de paradigme, car alors qu’avant mon autorisation de communiquer s’obtenait avant facilement (le média s’occupait de la légimité auprès de ses lecteurs/spectateurs et nous achetions cette légitimité), l’absence de bordure/délimitations codales de la publicité oblige les annonceurs à désormais s’assurer d’obtenir sa légitimité de communiquer auprès de son public.
Il arrive ainsi parfois que des organisations se retrouvent dans l’impossibilité de communiquer. Prenons l’exemple de M6, attaquée par une ONG, Baraka City, pour avoir organisé Pékin Express en Birmanie, un pays où une minorité birmane est massacrée.
Si les commentaires ne venaient que de l’ONG musulmane, la paralysie de communication de M6 était totale : impossible de suivre le hashtag de l’émission, chaque message Facebook était assailli de commentaires assassins rendant impossible l’interaction. Il y avait de facto une incapacité à communiquer.
II. La licence sociale de communiquer
Au départ de ma réflexion, il y a la théorie de la Social License to Operate qui était utilisé dans les mines afin de pouvoir opérer sur les lieux. (Voir un peu ici et surtout ici)
Pour moi, il y actuellement exactement le même besoin, mais pour communiquer. Adaptons ainsi les socles et les leviers à travers les 4 piliers de la licence sociale de communiquer
1. La légitimité du média
Premier socle : la légitimité du média. Chaque média a ses propres règles et ses acceptations par le public. Prenons l’exemple du cinéma. Comme on ne veut jamais rater le début du film, on vient bien à l’heure, et ce même si l’on sait qu’y aura un retard de 10 minutes pour laisser passer les 450 pubs. Mais dès lors, on désire une publicité attrayante utilisant les leviers du grand écran et du son. On comprend alors pourquoi la publicité de Guerlain pour Shalimar a suscité des réactions virulentes sur les blogs et sur Twitter à cause de sa longueur (plus de 5 minutes !) ainsi que sa lenteur (rien ne se passe ou presque).
https://www.youtube.com/watch?v=C7LxwFkJgBQ
La raison ? La légitimité du média n’est pas obtenue. Même chose pour ces deux cas sur Twitter :
- À gauche, Toyota avait mal compris le principe de Twitter et envoyait des messages à tous les gens qui tweetaient à propos du Superbowl afin de les inviter à participer à un concours pour la Camry 2012. Les contestations n’ont pas manqué.
- À droite, Bank of America qui utilisait un robot pour répondre aux gens sur Twitter. Dans un contexte où les réseaux sociaux doivent être humains, les règles du média étaient également loin d’être respectées.
Enfin, finissons cette revue d’exemple avec le cas Cuisinella « ça sent le sapin » où en plus du caractère anxiogène, les règles du « stunt » sont loin d’être suivies puisqu’il est évident que les personnes mises en scène ne sont que des acteurs payés pour l’occasion.
https://www.youtube.com/watch?v=PmD_tBWJw1Q
Sans légitimité du média, il est impossible d’obtenir l’adhésion des publics. A noter que cette légitimité peut être obtenue par l’artefact de communication. Avec les meilleurs exemples 2014 là, et 2015 ici.
2. La légitimité historico-relationelle
Deuxième levier, la légitimité historico-relationelle qui est obtenue par rapport à 3 éléments.
a) Par rapport à sa réputation
Si vous prenez une organisation, les gens en ont une certaine image. Sur le Web, les messages et images circulent de manière circulaire. Ce flux peut se stopper dans le cas où l’entreprise renverrait une image qui n’est pas celle que les gens en ont. Il y a dès lors presque un « rappel » à l’ordre. « Hey ho, vous voulez nous faire penser que, mais je n’ai pas oublié qui vous êtes. » C’est ce que j’appelle la disruption réputationnelle.
C’est ce qui est arrivé à la police de New York (#MyNPD) qui avait organisé un concours sur Instagram où il fallait se photographier de façon gentillette à côté d’un policier pour faire passer l’image d’une police « proche des gens ». En retour, ils avaient reçu ce que les gens pensaient vraiment d’eux. On peut également avoir le cas inverse, où l’on a une belle réputation et un fait vient nous montrer le contraire. Par exemple, Zaz qui facture 40 000 euros pour un concert privé de 30 minutes alors qu’elle nous crie son socialisme partout.
Ca c’est beaucoup passé également avec toutes les tentatives de rapprochement « social » de la part d’entreprises qui ne le sont pas, comme Biritish Gaz, JP Morgan ou Ryanair qui avaient organisé des Q & A sur Twitter pour se montrer proche des gens.
b) Par rapport au secteur
Cette mémoire discursive se retrouve également à travers l’historique du secteur. Lorsqu’une panne générale survient chez SFR. Tous leurs clients attendent un dédommagement équivalent à celui qu’Orange avait fait dans le passé, à savoir au moins un jour gratuit. Il n’en est rien et on rappelle dans le discours l’opposition entre les deux. Un crash aérien de Malaysia Airlines sera de toute façon mis en contexte par rapport à un autre, etc.
c) Par rapport à son histoire
Toutes les informations transmises par, ou sur une entreprise sont toujours croisées par rapport à son histoire. Ainsi, lorsque la crise « Dropped » survient à TF1 (deux hélicoptères qui se crachent durant un jeu de télé-réalité), les conversations sur les réseaux sociaux mentionnent également Koh Lanta. Les journalistes intègrent également toujours ce fameux historique dans la boucle de leur article. Ainsi, même lorsque la compagnie Malaysia Airlines n’avait aucune crise à son actif, les journalistes sont allés chercher un petit incident avec un bimoteur. Même le lieu du crash de la German Wings est sujet à une résurgence de traces pour dire qu’un crash s’y était déjà produit.
Et le problème c’est qu’actuellement, les traces de l’histoire sont facilement accessibles à tout un chacun. C’est ce que j’appelle la théorie du marqueur temporel.(Explications ici) Par exemple, ces deux jeunes joueurs du PSG ont vu leur ancien tweet ressurgir :
Les politiques sont ceux qui paient le plus la conséquence de ces traces disponible. Actuellement, ce qui fait le plus la une de l’actualité est la citation sur le 49.3 de François Hollande : « le 49.3 est une brutalité, un déni de démocratie ». Même chose pour le directeur de la communication d’Uber qui avait tenu des propos contre l’organisation lorsqu’il était porte-parole du ministère.
Et un des problèmes les plus conséquents qu’auront à faire face les entreprises dans les années à venir est le fait que l’ensemble de ces traces numériques disponibles à chacun feront que les citoyens, les gens, pourront mieux connaître une entreprise que les gens qui y travaillent. Prenons le cas de la Malaysia Airlines qui après ses deux crashs organisait un concours où l’on devait indiquer les 10 choses que l’on souhaite faire avant de mourir ou de son tweet : « envie d’aller quelque part, mais vous ne savez pas où ? ».
L’année passée, dans une publicité Coca Cola et Fanta ont lancé : « pour célébrer les 75 ans de Fanta, nous faisons revenir le bon vieux temps avec le Fanta Classic. » Or, ledit « bon vieux temps » remonte aux années 40 en Allemagne nazie. Pas tout à fait un « bon » vieux temps.
De même, lorsque le compte de fact-checking de l’Élysée présente son nouveau logo, le community manager de Fred & Farid poste :
3. La légitimité contextuelle
a) Le contexte de l’actualité
Nous sommes le 7 janvier 2015, les attentats de Charlie Hebdo se sont déroulés et les community managers sont tous de facto au chômage technique. Le contexte fait qu’il y a une impossibilité à communiquer, car presque aucune marque n’a le permis social de le faire, si ce n’est des marques extrêmement émotionnelles ou qui possèdent l’ADN pour se le permettre. Un commentaire sur le forum MyCommunity manager à ce moment précis :
Ceux qui tentent de récupérer l’événement se font déglinguer sur place :
Rappelons l’importance de l’actualité pour la communication des organisations dans un monde où le contexte est partout et l’actualité instantanée. En juillet 2012, suite à la tuerie d’Aurora, le compte Twitter de Celeb Boutique se réjouit de voir l’hashtag #Aurora en trending topic pensant que c’est pour la réussite de la promotion autour d’une robe du même nom.
British Airways avait lancé une campagne qui invite à s’échapper et à découvrir l’océan Indien alors que nous sommes en pleine recherche de l’avion de la Malaysia Airlines. Cela choquera évidemment l’ensemble des passants.
En plein crash d’avion, j’avais pu ainsi repérer les publicités suivantes :
Rappelons aussi cette publicité Gucci qui prend une autre dimension en réalité de l’actualité :
L’actualité agit sur la communication, et elle doit donc être prise en compte dans l’obtention de la licence sociale de communiquer.
b) Le contexte de la culture du pays
Mais le contexte c’est aussi la culture du pays dans lequel on communique. Un des cas généralement abordés en cours de marketing est celui de la Renault Koleos, lancée en Grèce alors que le mot Koleos veut dire vagin.
Une vidéo où Guillaume Pley proposait d’embrasser une fille en 3 questions faites publiées partout dans le monde, mais il n’y a qu’en France que cela s’est très mal passé ; la mascotte du Happy Meal, acceptée partout en Europe, a fait peur aux USA ; Mac Donald qui au Mexique dit que les tamales c’est dépassé ; Starbucks dit en Argentine que seuls les Américains peuvent faire des gobelets Starbucks : autant d’exemples qui prouve que chaque pays a ses spécificités et qu’il faut en tenir compte dans sa communication dans le but d’acquérir la licence sociale de communiquer.
c) Le contexte sociétal
La société est en perpétuelle évolution et ses valeurs également. Il faut donc tenir compte de l’évolution à travers le temps de celles-ci. Le meilleur exemple de ce constat est celui l’un des héritiers de Barilla qui avait dit que les valeurs de la famille de Barilla font qu’il n’y aura jamais d’homosexuel dans une publicité de la marque.
Or, les valeurs de la société évoluent, et une famille maintenant, ce n’est pas seulement une famille hétérosexuelle, mais aussi des homosexuelles. Pensons au culte de la minceur ou de la femme parfaite de plus en plus remis en question. Même la question de la nourriture animale est actuellement en évolution. Il est donc nécessaire de s’insérer dans ce contexte sociétal pour acquérir la licence sociale de communiquer.
4. La réputation institutionnalisée
Enfin, le dernier échelon est en quelque sorte pour moi une vision utopique : le Graal. C’est la réputation institutionnalisée. C’est-à-dire que quoi qu’il arrive, la marque arrive à rebondir sur ses pattes. Mieux encore, les gens communiquent et transmettent leur réputation pour eux.
Prenez Apple : BendGate, Antenna Gate, polémique sur Foxconn, etc. Rien n’a jamais affecté ni leur réputation ni leur vente. N’importe quelle actualité sera partagée par tous les médias quand ces derniers ne commentent pas en direct la conférence de presse. Ils sont dans un état de grâce, sans doute passager, mais qui illustre assez bien ce que pourrait être une réputation institutionnalisée. Cela nous donne ainsi le modèle de Social Licence to Communicate :
III. Conclusions
Normalement si vous respectez ces 3 étapes, vous devriez avoir la permission de communiquer. Bien sûr, il restera toujours des bourdes possibles :
Mais pour moi, l’intérêt de ce modèle est
qu’il est plus que temps que les marques et organisations reprennent leur liberté de communiquer. Si vous prenez par exemple Nicolas Sarkozy qui aurait mal tourné :
N’importe quel politicien s’il organise ce genre d’événement aura de toute façon un bad buzz à son actif. Faut-il dès lors ne plus rien faire et obtempérer ? Je pose la question.
Il y a deux ans, j’avais donné l’exemple loufoque d’une marque de viande qui se ferait attaquer par des végétariens. Cela s’est passé cette année avec Jambon d’Aoste. Monoprix a fait l’objet d’une crise parce que l’enseigne a utilisé des visuels de personnes de couleur noire pour ses chocolats noirs et pas pour ses chocolats blancs.
Lorsque la polémique émerge, le schéma narratif proposé par le « lanceur d’alerte » tend à faire croire que l’histoire s’est déroulée comme indiqué. Les chocolats noirs sont illustrés par des personnes de couleur noire et les chocolats blancs ne sont pas illustrés par des personnes de couleur blanche parce que Monoprix est raciste. En réalité, si des personnes de couleur noire sont montrées sur les packagings de chocolat noir, c’est parce qu’un label fair-trade promeut les paysans locaux. Or, dans cette localité, les paysans sont de couleur noire. Tandis que le chocolat blanc n’a pas de label Fair-trade et ne promeut donc pas les paysans locaux.
Apple a lancé des emojis censés montrer plus de multiculturalistes. Que s’est-il passé ? Les roux ont lancé une pétition pour qu’ils soient présents aussi. La une de Newsweek était sensée dénoncer le sexisme de la Silicon Valley. Au final, ce sont eux qu’on a traités de sexistes pour cette illustration. J’ai eu la stupéfaction de tomber sur un forum où la Barbie donnée par Mac Donald se faisait taxer de racisme parce qu’elle avait la main droite relevée alors que des gens ont vu Hitler dans une cafetière.
La campagne « dites-le avec Nutella » de la célèbre marque de pâte à tartiner aurait été victime d’un « bad buzz ». Pourquoi ? Parce que dans cette campagne qui consiste à customiser son pot de Nutella, la marque a empêché l’inscription de certains mots comme « bites, couilles, enculé » et autres grossièretés ainsi que les dérivés des mots « huile de palme ». Si Nutella avait autorisé l’inscription de ces mêmes mots, il y aurait également eu un bad buzz. Donc, de toute façon une crise quoi qu’il arrive.
Le distributeur de dessous érotique Ann Summers a fait l’erreur de lancer une collection de lingerie appelée Isis et ce alors que l’on est en plein frimant médiatique autour de l’Etat islamique qui se désigne comme étant ISIS.
Bref aujourd’hui on a de plus en plus droit à des bad buzz qui sont de véritables pétards mouillés qui illustrent la consanguinité twittospho-communicante où des gens s’ennuient et ont envie de lancer le bad buzz.
En clair, il est plus que temps de comprendre qu’il est :
- Impossible de contenter tout le monde, car chacun a ses propres demandes. (Je rappelle ma citation absolue « Batman sans le joker, c’est juste un connard en slip »)
- Tout le monde ne perçoit pas les informations de la même manière.
C’est dans ce contexte que la Licence Sociale de Communiquer prend tout son sens pour vous dire que vous serez toujours droit dans vos baskets si vous :
- Respectez les règles du média. Ne pas hésiter à se servir de l’artefact de communication pour l’obtenir.
- Soyez bien conscient de vos traces et de votre histoire.
- Soyez en accord avec le monde dans lequel vous vous insérez.
Et là peut-être qu’après quelques années, votre réputation sera un Graal qui fera que vous n’aurez même plus à communiquer pour asseoir votre communication : les gens le feront pour vous.
Plus que jamais, il faut se couper du bruit, écouter le monde et le public dans lequel on s’insère, et disposer de la licence sociale de communiquer sans quoi vous serez paralysé dans un monde où tout est communication, mais où celle-ci devient de plus en plus complexe.