Je suis tranquillement en train de travailler sur mes analyses des attentats sur Twitter lorsqu’on me demande quelque chose sur Twitter :
En cliquant sur l’article, j’ai presque un infarctus en tombant là-dessus :
Connaissant bien les outils de social media monitoring, j’ai l’habitude de voir les études sur le positif/négatif sur des patates, bières ou chocolat. Ça me dérange un peu plus quand on analyse un phénomène social avec des outils qui sont ultra biaisées. Pour rappel des études ont mis une personne normale d’un côté et un algorithme de tonalité de l’autre. Les différences allaient parfois jusqu’à 40 %. Ce vent n’a donc aucune valeur scientifique.
L’autre chose qui me turlupine, c’est la présence de plein de pays européens dans la liste. Il faut savoir que j’observe l’Etat Islamique sur Twitter depuis maintenant 1 an et de façon régulière. Beaucoup d’autres personnes intéressées sur ce domaine viennent me demander des données sur des hashtags de propagande. Presque jamais je n’ai observé de France ou de Belgique dans les métadonnées. Pour les non pratiquants, les métadonnées sur Twitter nous donnent l’indication de trois façons :
- La localité indiquée dans le profil Twitter.
- Les coordonnées GPS si l’utilisateur autorise Twitter à les donner.
Si au début, il y avait de nombreux fails d’islamistes qui indiquaient eux-mêmes où ils se trouvaient soit via leur profil (plus rare), soit via géolocalisation ( se marrer ici) , cela n’arrive plus jamais.
3. Les “timezone”. Cependant, de plus en plus les membres de l’Etat Islamique mentent sur leur GMT ce qui ne s’observait pas au départ.
Sur base de ces metadata qui ne sont donc pas trop fiables, je n’ai jamais vu de français ou de belge. Je l’avais déjà prouvé avec le journaliste Jean-Marc Manach pour JeSuisKouachi. Très récemment, on remarque qu’il est également devenu impossible de surveiller les membres de l’EI en raison de la censure de Twitter et ce, malgré les stratégies de resiliences dont l’EI fait preuve.
Bref, je m’égare. Je suis très mal à l’aise avec l’étude et je tweete donc vigoureusement mon opposition à une actualité qui va donner une fausse idée de la société belge. (Comme si les politiques belges n’étaient pas déjà assez bons à le faire)
Puis voilà que j’observe que la RTBF reprend l’actualité en l’état avec une grosse introduction :
“Nulle part en Europe occidentale, ne sont publiés autant de tweets favorables à l’EI qu’en Belgique.”
Là, cela commence à m’énerver et je souhaite découvrir l’auteur de l’étude pour aller consulter la méthodologie. Et là pour isoler l’acteur, je tombe sur un cas magnifique :
C’est donc le Quotidien Die Welt, mais relayé par De Morgen. Die Welt qui a pris exemple sur The Guardian. Et l’étude vient finalement appuyer tous les discours du moment sur le fait que la Belgique soit une arrière-garde de l’Etat Islamique. Heureusement que plus bas, on indique la véritable source :
Je tape donc simplement sur Google Brookings Twitter ISIS et je tombe sur la vraie étude. Je m’attends à trouver une étude bien dégueulasse et une méthodologie à la noix. Je parcoure le document, et tout me paraît bon puisqu’on parle des mêmes métadata et autres. Et en fait, tout est tellement bien que rien ne concorde avec l’infographie montrée puisque voici le classement en infographie :
Tout cela concorde avec mes observations. Je me demande donc d’où vient les chiffres dont se sert The Guardian et consorts. Je pars sur le site de Die Weilt.Celui-ci cite The Guardian comme source primaire. Pendant ce temps-là, on me signale que Geeko reprend l’information. Bref, revenons sur le site de the Guardian qui cite des “académiques italiens”. Quand je tombe sur le site de ces fameux chercheurs italiens, je tombe sur http://voicesfromtheblogs.com (pas envie de leur filer un lien entrant) où je comprends déjà pourquoi il y a une analyse de la tonalité :
Une belle ACADEMIC company ( une entreprise académique, great) , spécialiste en Web Sentiment (charlatanerie). Leur but est donc de vendre des solutions de tonalité aux entreprises. Des profiteurs donc. Le lien n’étant pas direct, il faut que je trouve l’étude à travers le site ce qui une fois la chose faite est tout à fait cocasse. L’étude complète, la voici . Malgré le fait qu’on sous-titre dans l’infographie “Twitter”, elle prend en compte tous les réseaux sociaux ( mais uniquement ce qui est atteignable par API, donc pas les posts privés de compte de gens comme vous et moi, mais juste des entreprises ou les médias) , mais aussi les news. De plus, le plus débile dans la méthodologie est que l’étude part de mots-clefs sémantiques comme ISIS, EI et autres et non des “supporters”.
Donc on récapitule. J’ai 12 lignes de news. Dans celle-ci, seul la première phrase vient du média qui cadre sa news. Sinon j’ai 3 sources différentes dont le plus gros paragraphe est un grand n’importe quoi de médias qui s’autocite l’un l’autre et qui cache les sources primaires :
La dernière fois que j’ai observé un tel phénomène était durant le crash de la Malaysia Airlines et ces fameux “téléphones de gens qui sonnent encore” où tout venait de deux sources pas totalement fiables :
On n’avait jamais eu à ma connaissance la confirmation de ce phénomène alors que les journalistes d’autres médias étaient sur place.
Sur le plan du fond, la phrase “L’Etat islamique utilise Twitter de façon active pour recruter des combattants ont préparer des attentats.” est totalement fausse. Si l’EI recrute sur les réseaux sociaux comme Facebook, les forums et même Snapchat, il ne l’utilise pas du tout pour recruter. Il l’utilise essentiellement pour faire sa propagande et essayer d’avoir des mentions dans les médias occidentaux. Jusqu’à présent, je n’ai jamais vu de belges ou français dans les discussions que j’ai monitorées. Mais les données que fournit Twitter sont tellement falsifiables que cela ne veut rien dire. Il est très facile de ne rien mettre comme “location”, de trafiquer le GMT et de ne pas autoriser Twitter à utiliser la géolocalisation. En réalité, seul Twitter devrait avoir ses données-là sur ses serveurs même si je ne le sais pas.
Les études sur base d’outils de social media monitoring sont tout à fait nul. Personne n’a accès aux données Facebook (sauf Facebook) et Google + (sauf Google) des gens. On ne peut capter que des pages publiques et encore pas de manière optimale.
Aucune étude sur la sémantique positive ou négative n’est valable. L’ironie particulièrement utilisée par rapport aux articles sur l’Etat Islamique biaise déjà un dispositif qui est totalement nul et qui n’a jamais fait ses preuves. C’est une chimère scientifique.
III. Conclusion
On va chercher une étude vieille d’un an parce qu’on cherche à illustrer une pseudo réalité médiatique actuelle. C’est cela qui est le plus dangereux pour un journaliste et je suis d’autant plus déçu que la RTBF est d’habitude de loin le meilleur média sur la vérification de ses sources.
Il y a dans cet article plus de 3 sources primaires différentes et de nombreuses sources secondaires parce que les médias se copient l’un l’autre sans vérifier les sources.
A la base de tout cela, on retrouve des gens qui profitent de leur statut d’académique pour faire la promotion de leur propre business à côté. Jamais ces gens ne détaillent leur méthodologie et ne font que détailler leur corpus ce qui est une technique de charlatanerie scientifique bien connue. . La presse est flouée, mais il y a quand même un constat : les seuls qui m’ont posé la question étaient des internautes et non des journalistes. Pendant ce temps-là, les récupérations sont déjà là :
Et je n’ose regarder Facebook et Twitter.
Pourtant, dans un climat de peur, il faudrait être encore plus attentif à ne pas propager des conneries sans nom. Car une chose est certaine : la Belgique est peut-être la plateforme du terrorisme en Belgique, mais non, ces citoyens ne sont pas les plus positifs d’Europe sur l’Etat Islamique.