Les employés sont l’essence du moteur nommé organisation. Sans eux, rien ne serait possible. Un pan des théoriciens de la réputation leur attribue la propagation de cette dernière. Les managers ont besoin de ceux-ci afin de divulguer l’identité et la culture de l’entreprise. Plus celles-ci seraient partagées, plus les interactions avec les différents stakeholders seraient efficaces. C’est la raison pour laquelle le recrutement de collaborateur est la pierre angulaire de toute organisation et la raison pour laquelle le concept de « marque employeur », désignant l’image que l’on souhaite propager aux potentiels candidats, a pris tellement d’importance. Cette marque est donc indispensable à protéger. Problème, il est devenu de plus en plus difficile pour les organisations d’apparaître comme entité parfaite. Tout manquement, dysfonctionnement ou mauvaise communication est désormais visible et fait l’objet de discussion. De même, dans un monde où tout peut être filmé, enregistré, et photographié, les employés sont devenus des actifs à risque. C’est la raison pour laquelle je me penche aujourd’hui sur cette problématique afin de dessiner les contours des différents risques et des pistes qui existent afin de limiter ceux-ci.
I. Historique des crises 2.0 autour de la marque employeur
L’histoire des employés, motifs de crise, débute déjà en juin 2007. Un employé technicien de Comcast est filmé par un client, en train de dormir sur son canapé. La vidéo est postée sur YouTube et entraîne une véritable vague de protestations. Comcast ne répondra jamais à ces commentaires.
En octobre 2008, Un américain employé chez Burger King se retrouve filmé en train de prendre un bain dans la plonge du restaurant, le tout diffusé sur YouTube. La marque a renvoyé l’employé, mais n’a pas répondu aux différents commentaires.
Un an plus tard, c’est au tour de deux employés qui se filment en train de mettre des crottes de nez sur les différents aliments et qui upload la vidéo sur YouTube. Les réactions ne se font pas attendre. La marque a su réagir sur Twitter et a offert une réponse par la voix de son PDG ce qui est une première depuis que ce genre de crise existe.
https://www.youtube.com/watch?v=1D9PikBzNNo
Il faut attendre juin 2010 pour voir le premier cas en France. Un contrôle effectué par la CNIL révèle que les employés d’Acadomia laissent des commentaires injurieux sur les fiches de leurs clients. Ces commentaires concernent parfois leur vie privée. Acadomia réagira en répondant et en créant une page Facebook dédiée pour répondre à la crise. Par exemple, on y trouvait le mot « conne » écrit 212 fois ainsi que les mots « gros con » « vraiement trop conne » « mère salope » « gros crétin » « saloperie de gamin » « parisien frustré » « sent le tabac et la cave » ou « seul bémol : il pue ».
En juin 2011, une employée de Kookai, présente dans au stand de la marque placé dans le magasin Le Printemps à Nancy, a été licenciée suite à des insultes contre Mme Morano. Cette annonce fera réagir vivement les internautes.
Un mois plus tard, c’est Monoprix qui s’attire les foudres de la foule numérique suite au licenciement d’un salarié qui avait tenté de faire sortir du magasin six melons et deux salades récupérés du conteneur à poubelles du magasin Monoprix.
Loi des séries, en octobre de la même année, c’est le groupe Cora qui déclencha l’un des bad buzz de l’année puisqu’il licencia une caissière après avoir « volé » un ticket de caisse comportant un bon pour un hamburger. La caissière était en fait une syndicaliste qui se confiera à « Sept à Huit ». La crise eut de multiples pics au rythme des apparitions dans les médias traditionnels. Cora fera en plus l’erreur de proposer une vidéo des employés de Cora qui filment leur quotidien afin de redorer l’image de Cora. Cela n’a fait que relancer une nouvelle crise.
En décembre 2011, on revient à une logique plus habituelle puisqu’une vidéo est postée sur YouTube où l’on voit un employé de Fedex filmé par une caméra de surveillance en train de jeter un colis contenant un écran plat par delà une barrière électrique. La vidéo fut vue 8 millions de fois et elle obligea Fedex à faire intervenir un top manager en la personne de Matthew Thornton.
En juillet 2012, Quechua publie une offre de stage stipulant que le candidat doit pouvoir prouver qu’il dispose d’un Klout de minimum 35 pour postuler. La mention est très rapidement critiquée par les internautes car ils ne trouvent pas normal qu’un critère aussi aléatoire et controversé soit un préalable. Quechua retirera finalement celui-ci.
Octobre 2012, un employée se disant cadre d’Orange insulte une employée de la SNCF :
https://youtu.be/nBVpcc9WhtQ
Après une enquête menée par Orange, il s’avère que s’il s’agit bien d’un employé d’Orange, mais que ce n’est en aucun cas un cadre de l’organisation.
En novembre 2012, un cas tout à fait nouveau surgit avec l’équipier Quick, un salarié de la chaîne de restauration rapide qui dénonce beaucoup de pratiques de son entreprise. Il sera traîné devant les tribunaux.
Juin 2013, on retourne à nouveau vers un classique puisqu’un employé de Taco Bell se fait prendre en photo en train de lécher des Tacos. Il diffuse la photo par Instagram. La marque annoncera vouloir mener une enquête afin de découvrir le restaurant et l’employé en question. Après enquête, l’employé aurait voulu faire une blague et les tacos étaient destinés à être jetés.
En juillet 2013, un habitué, Fedex reçoit une vague de protestations après que des employées se soient fait filmer en train de jeter des paquets.
En octobre 2013, Elle annonce le lancement de la « Elle académie », une académie qui prendra 12 stagiaires pour une période de 6 mois. Pour être éligible, il faut avoir moins de 25 ans, un bac +3 effectué de préférence dans une école très réputée et avoir une expérience de plusieurs années en entreprise.
L’aspect “stagiaire de masse” possédant un profil déjà adapté à un emploi à temps plein a créé de vives manifestations sur Twitter et via l’onglet commentaire de l’annonce. Depuis, Elle a revu les exigences à la baisse et demandé l’aide d’une agence RH à but non lucratif.
Novembre 2013, Cellullar solutions, entreprise britannique, publie sur son site internet l’organigramme du staff de sa société. On peut y voir 27 employés : toutes des femmes jeunes et “sexy”.
Du côté de la partie management, la situation est tout l’inverse puisque celle-ci n’est occupée que par des hommes. Cette situation a créé un “bad buzz” pour l’entreprise sur internet qui est accusé de discrimination.
Face aux critiques, le dirigeant de la société Damian Motteram nie tout problème de discrimination et explique que cet organigramme datait d’une autre époque et que désormais certaines femmes avaient grandi dans la société et occupaient des postes hauts placés.
La catégorie “Meet the staff” du site Web n’est en tout cas plus disponible.
Décembre 2013, Les personnages du Parc Astérix se font prendre en photo en faisant la quenelle, geste “anti système/sionniste/whatever” de Dieudonné :
Avril 2014, une Twittos se fait extorquer par une agence SCNF qui lui demande de payer deux fois un PV. Elle décide de tweeter ce vol et reçoit plusieurs centaines de retweet.
https://twitter.com/m_c_scappa/status/457278740645822465
Le même mois, un usager d’Air Canada filme depuis son hublot d’avion des employés d’Air Canada jetant depuis une au moins 3 M des baguages sans la moindre précaution.
Août 2014, L’enseigne de Fast-Food Mac Donald va être sous le feu des projecteurs lorsqu’une cliente découvre une croix gammée dans un de ses hamburgers. En cause, un de ses employés qui a été viré sur-le-champ.
Le même mois, la marque de transport public flamande De Lijn a subi une vague de protestations après que l’un de ses chauffeurs ait été filmé en train d’éjecter violemment et sans raison apparente une femme enceinte hors de son bus. La cause ? Celle-ci possédait un ticket valable par SMS. Valable ? Pas selon le conducteur qui a refusé de la laisser entrer.
La vidéo a été mise sur Facebook et a rapidement été partagée par beaucoup de personnes, jusqu’à arriver dans l’ensemble des rédactions belges.
https://www.facebook.com/video.php?v=10152736018542625
En décembre 2014, la secrétaire générale du Setca se fait filmer dans un magasin qui ne fait pas grève. On la voit pousser violemment à la grève, jetant des vêtements dans tous les sens. La vidéo, lancée par Sudpresse fera le tour du Web cumulant près de 819 000 vues pour un pays de 11 millions d’habitants. Son nom sera jeté en pâture et elle réagira : “Je n’ai rien jeté par terre, je n’ai rien abîmé. Il fallait qu’elle sorte de son rôle de laver plus blanc que blanc par rapport à sa direction. C’était un devoir moral de fermer ce magasin.”
Le SETCA communiquera aussi sur ce cas : “Elle s’est expliquée. C’est sa responsabilité. Nous ne cautionnons aucun acte de violence. Mais ici, il n’y a pas eu d’acte de violence, comme elle le dit elle-même. Dommage de toujours s’arrêter à ces petits faits alors que des grévistes ont eux aussi été agressés…”
Il y a donc une minimisation du cas, ce qui revient à dire qu’il s’agit d’une politique de l’autruche.
En janvier 2015, le directeur de l’école 42 se fait filmer dans un des auditoires de l’école en train de donner la fessée à une jeune femme :
L’ensemble a fuité sur des blogs en tout genre et la réputation du directeur de l’école en a pris un sacré coup, et la majorité des blogs ont reçu une lettre d’avocat pour que la vidéo soit supprimée de leur site.
Février 2015, le site Graphic -job publie une petite annonce pour un graphiste. Dans celle-ci se retrouve une phrase qui glacera rapidement le sang des internautes :
Si possible pas “juif”. Du côté de l’agence qui a réalisé l’annonce, on reçoit un coup de téléphone d’un journaliste à qui ils diront : “C’est par rapport aux horaires. On est un studio qui ne compte pas ses heures et qui travaille parfois dans des moments de rush. Donc on voulait quelqu’un qui ne tienne pas compte de ces soucis culturels ou religieux (sic)”
Pourtant, par la suite, NSL Studio dira sur Twitter :
Elle dira également que cela serait le site qui diffuse les offres, graphics-jobs qui serait en tort. Celle-ci s’excusera d’ailleurs :
Finalement, l’agence licenciera la personne qui avouera avoir mis le message :
Avril 2015, un employé de Delhaize invite tous les “rouges” (socialistes) à plonger dans le canal après le suicide de l’homme politique belge Stevaert.
Mai 2015, on aura un tir groupé de mauvaise pratique de recrutement caché : Biba qui organise un concours pour profiter de graphiste gracieusement et de Dr Martens qui organise un concours pour gagner une place gratuite qui force à prendre des photographies.
II. Typologie des risques
Sur base de cet historique, il est possible de faire un étalage des risques possibles, mais avant d’établir celle-ci, il me semble assez intéressant de remarquer que presque tous ces cas de crises 2.0 ont deux points communs :
il y a une preuve matérielle et visuelle du forfait perpétré. C’est cela le grand changement qui s’est opéré. D’une situation où on pouvait protéger pleinement son employé tout en maquillant son forfait, il est désormais impossible de nier. Souvent, cela mène d’ailleurs à un licenciement ou une mise au placard.
Il y a un enjeu plus collectif qu’individuel. La plupart des pratiques dénoncées le sont dans une logique de “bien public”.
Les différents cas rencontrés sont donc :
1. Un employé est filmé ou photographié dans une situation compromettante qui n’engage que celui-ci.
L’employé est filmé ou photographié dans une situation compromettante, mais qui n’engage que lui. Il s’agit typiquement du cas Orange ou Delhaize. L’organisation n’est associée que parce que l’intéressé travaille dans l’organisation.
Solution :
- Se distancier des propos ou des actes. L’exemple d’Orange est à ce titre parfait puisque l’organisation va d’abord mener l’enquête avant de faire la moindre déclaration.
- Ne pas forcément choisir la solution de facilité, à savoir licencier, car cela n’est pas tout à fait nécessaire. De même, dans ce cas, Orange sera exemplaire puisque Bruno Mettling, directeur général adjoint en charge des ressources humaines montera au créneau. Ils ont convoqué et accompagné leur salarié. Cela transforme le danger en opportunité puisque la marque employeur y gagne fortement en jouant le côté “familial”.
2. Un employé est filmé ou photographié dans une situation compromettante qui engage l’organisation
L’employé est filmé ou photographié dans une situation compromettante qui engage tout à fait l’organisation. Dans ce cas, la preuve est faite soit sur son lieu de travail, soit dans l’exercice de ses fonctions. Cette contamination de l’organisation est catastrophique et demande généralement des mesures disciplinaires extrêmement strictes.
Solution :
- Rappeler les règles définies par le top management.
- Rassurer sur les procédures.
- Isoler le cas. Rendre l’événement “exceptionnel” et grave. On pourrait presque qualifier cela de “stratégie de la branche morte” qu’il faut qu’on coupe. Souvent, le licenciement sera présent. Toutefois, en terme d’image, mieux vaut parfois jouer le blâme, mais uniquement si l’acte n’est pas trop grave.
3. Un employé se filme sur son lieu de travail en train d’adopter un comportement qui n’est pas acceptable
L’employé est lui-même l’acteur et le diffuseur de son contenu. Typiquement le cas de Tacos.
Solution :
- Toujours mettre une clause de confidentialité du lieu de travail dans le contrat de travail. Cela peut permettre d’avoir toutes les cartes en main.
- Sensibiliser. Certains employeurs organisent une petite formation avec les cas les plus fréquents dès le premier jour de travail.
4. L’organisation effectue un licenciement injustifié
L’organisation effectue un licenciement dont le motif paraît tout à fait loufoque ou injustifié. Il s’agit typiquement du cas de Cora et le vol de ticket.
Solution :
Généralement, le licenciement est effectivement tout à fait injustifié et injuste. (Sinon, les gens ne se mobilisent pas du tout) Il n’y a donc qu’une seule solution : couper le fusible du supérieur qui a commis le licenciement injuste et réhabiliter la personne.
5. L’organisation adopte des pratiques de recrutement discutables
Ici, l’organisation se voit critiquée, car elle adopte des pratiques de recrutement tout à fait discutables. Que cela soit par l’embauche massive de stagiaire, ou par l’utilisation de critères tout à fait douteux, la foule s’insurge et veut faire respecter les normes de la justice sociale.
Solution :
Répondre en toute sincérité et attendre que cela passe.
6. Un employé ou un ex-employé mécontent décide de se venger en se servant des réseaux sociaux
Dans ce cas, un employé va généralement sous couvert d’anonymat, s’étendre publiquement face aux dysfonctionnements de l’organisation. Cette “attaque” peut également survenir d’un employé qui ne fait plus partie de l’organisation. Ces “attaques” paraitront pour le public d’autant plus véridiques et authentiques que la dénonciation provient de l’intérieur.
Solution :
- Essayer de rétablir le contact.
- Démentir les propos qui sont fallacieux.
- Ne surtout pas laisser traîner en pensant que cela “passera”.
III. Conclusions
Si les seules pistes à mettre en place sont la charte des réseaux sociaux et la formation, il ne faudrait pas non plus perdre de vue que n’importe quelle crise peut affecter la marque employeur. Des publicités sexistes au changement raté de logo, tous ces événements peuvent mettre à mal la relation de confiance et de proximité que l’employé éprouve par rapport à son organisation.
Or, cette situation peut s’avérer particulièrement critique dans la mesure où toute réputation passe par ceux qui sont au front tous les jours pour propager l’identité et la culture de l’organisation.
Il est donc plus que nécessaire de prendre des mesures pour pérenniser cette identité, et cette culture de façon à ce que les employés deviennent les meilleurs alliés de l’entreprise, quelle que soit la crise de façon à ce que les employés deviennent le meilleur bouclier qui soit.