C’était la polémique du week-end. Mes radars auraient du s’activer face à un tel cas, mais je dois avouer que j’ai profité du week-end pascal pour me reposer. En cause ? Le Groupe RATP a refusé une publicité de « Les Prêtres » qui mentionnait que le concert serait pour les « Chrétiens d’Orient”. au nom du principe de neutralité et de laïcité. Alors que de nombreux chrétiens d’Orient sont actuellement persécutés et dans un climat politique tendu où le FN est à l’affût de la moindre polémique, le cas est très intéressant. Analyse via le logiciel SaaS Visibrain Focus TM.
I. Introduction
Fin mars, les prêtres font la publicité de leur concours dont des bénéfices iront aux chrétiens d’Orient :
Devant le refus de publier la publicité avec le bandeau d’événement, Les Prêtres décideront d’attaquer la RATP en justice et la polémique rugit sur les réseaux sociaux. Face à cette polémique, la RATP publie quelques tweets de communiqué de presse :
“L’association CHREDO a fait savoir qu’elle entendait saisir la Justice en référé à propos de l’affiche concernant un concert du chœur « Les Prêtres ».
Il convient de rappeler que l’affiche annonçant ce concert a bien été apposée du 24 au 30 mars 2015, en 250 exemplaires, dans les espaces publicitaires de la RATP gérés par Métrobus. Seule la mention de la destination de la recette de ce concert a été supprimée, conformément aux conditions générales de vente bien connues des clients annonceurs.
La RATP ayant pour l’instant maintenu la décision prise antérieurement attend désormais que ce litige soit tranché par l’Autorité judiciaire.
Dans l’hypothèse où notre position juridique serait contestée, la RATP en assumera toutes les conséquences en ouvrant ses espaces publicitaires.”
Jean-Michel di Falco va lancer la charge sur Twitter :
https://twitter.com/proteus2013/status/582442327706329088
Le nombre de réponses à ce tweet est absolument incroyable. Rarement, je n’ai pu voir autant de dialogue autour d’un tweet polémique. Les réactions seront donc assez vives et assez significatives pour que les politiques récupèrent la cause comme Joël Giraud, Jean-Luc Mélanchon ou Michèle Alliot-Marie. Voyant les signaux au rouge, le premier ministère Manuel Valls va donner son opinion sur Twitter :
https://twitter.com/manuelvalls/status/585107755666649088
C’st finalement Jean-Vincent Placé qui aura le dernier mot politique
La lutte contre la RATP lancée sur les réseaux sociaux aura donc vu une victoire de ces derniers. Le mécanisme et la propagation de l’information sont donc, à plusieurs titres, très intéressants.
II. Analyse
La RATP étant un acteur important sur Twitter, les mentions reprenant les mots-clefs qui ont servi au “crawling” de départ RATP – Chrétiens d’Orient – chretiens d’Orient – GroupeRATP) ont été trop large
J’ai donc réalisé une coupure de bruit en partant de RATP, mais en rajoutant tous les mots très spécifiques. Je suis arrivé à
“RATP AND (chrétien OR chrétien OR affiche OR Daesh OR Orient OR prêtres OR @GroupeRATP OR arabie OR Laïcité OR Laïque OR Censure OR Digne OR islam OR @LA_CHREDO)”
Cela donne donc la courbe réelle
Un nombre de liens assez classique et un nombre de tweets assez grands. Ce nombre est presque égal à la SNCF et ses quais trop étroits à la différence que le pic fut atteint en seulement un jour alors que nous avons ici une semaine entière. Par contre, le nombre de personnes impliquées est bien moindre.
Dans l’ensemble, c’est peut-être la première fois que j’observe une crise latente sur les réseaux sociaux. Là où la plupart des crises sur les réseaux sociaux prennent la forme d’une courbe de Gauss lorsqu’on zoom sur leur déroulement, la progression dans notre cas est stable et ne faiblit pas jusqu’au moment où la RATP annonce qu’elle obtempère.
J’ai donc coupé les phases de la crise en plusieurs parties.
1. 30-31 mars 2015
La partie “classique” du bad buzz est celle où je vais m’étendre, car c’est généralement la plus intéressante, car elle indique comment la mèche est allumée.
La situation de départ est la suivante, à savoir le tweet de Di Falco qui jusqu’à 19 h va être la seule source :
https://twitter.com/proteus2013/status/582442327706329088
A minuit, différentes personnes ont posté le message et ont su engager leurs audiences respectives.
Les acteurs sont :
- Israfilterata dont il suffit de regarder les tweets pour comprendre que ce compte est plutôt anti-musulman
https://twitter.com/IsrafilElRafa/status/582598832707510272
- Louisetudy dont le compte semble très axé “catholique” :
- Vivien_Hoch dont on ne peut vraiment isoler une thématique sur base de son compte Twitter
Le lendemain, le 31 à 9 h, la configuration ne change toujours pas :
On retrouve néanmoins de nouveaux centres dont :
- Philippealb73 qui porte le signe distinctif des chrétiens d’orient sur Twitter et qui s’affiche clairement pour le FN :
- Le compte StopGleeden, le compte anti Gleeden :
Enfin, à minuit le 31, le feu d’artifice a pris puisqu’enfin 20minutes, un média reprend l’information :
Entre-temps, Jeunefrançaise qui se définit comme identitaire ajoute un tweet qui fonctionne :
https://twitter.com/jeunefrancaise/status/582943462129049600
On peut donc dire que la majorité des messages proviennent de gens qui ont clairement un avis tranché sur la question des chrétiens et de la France identitaire. Chacun a su toucher une partie de son réseau ce qui fait un “feu d’artifice” sous forme de broadcast network selon la typologie des conversations sur Twitter.
Le schéma de propagation sous format animé est le suivant :
2. 1-2 avril 2015
Les extrêmes et intéressés ont réussi à alerter les médias qui font l’écho de l’information.
Si nous regardons les nouveaux venus :
- Jeremo12 qui se déclare sioniste :
- OppositionFr, compte Twitter qui tacle le gouvernement (et aussi l’opposition)
_FabriceRobert, président du bloc identitaire :
https://twitter.com/_fabricerobert/status/583341426450120704
Également,signe que l’on commence à quitter les blocs extrêmes, RKaroutchi, sénateur UMP :
Mais aussi Valérie Pécresse :
Autre point intéressant, le graphe que je vous donne pour les mentions utilise un algorithme de spatialisation qui met les comptes les plus connectés au centre. Ceux-ci font donc consensus parmi les autres membres du réseau. Si la place de RATP au centre est donc logique, celle de Agrif et La Vie montre que la majorité de ceux qui parlent de ce cas sont des chrétiens ou militants chrétiens.
3. 3-7 avril 2015
Après une apparition dans les médias, on assiste à une récupération politique tandis que les mouvements FN et identitaires continuent à viser explicitement la RATP.
Sur la gauche, nous avons les groupes identitaires et FN qui ciblent spécifiquement la RATP
En bas à droite, Manuel Valls via sa série de tweets va mobiliser des gens typés à gauche qui n’étaient pas présents auparavant :
https://twitter.com/manuelvalls/status/585107755666649088
En haut, Valérie Boyer en plus de Valérie Pécresse ont su mobiliser l’UMP :
Proteus2013 dont le nom est caché par Figaro sur mon graphe annonce la victoire et mobilise plus que Placé qui annonçait la même chose :
https://twitter.com/proteus2013/status/585114951527825408
4. Bilan
La dernière courbe après analyse est la suivante :
L’affaire est presque tombée dans l’oubli. Le fait que j’arrive à avoir ce “silence” avant et après montre également que j’ai su appliquer les bons filtres pour éliminer le bruit. C’est un des enjeux pour les organisations d’éliminer le bruit autour des mentions qui les préoccupe. Au niveau de la sémantique, les résultats sont les suivants :
Les enseignements de ceux-ci sont que :
- Di Falco a été l’influenceur et la pièce centrale de cette crise. Valérie Pécresse est la politique avec Manuel Valls qui a le plus récupéré un écho médiatique de cette affaire. Enfin, sans surprise, les médias les plus partagés sont ceux plutôt typés “à droite”.
- L’organisation visée était la RATP. Dans ces cas où une entreprise est particulièrement visée, le hashtag de son nom fait un carton plein. Elle récupère également pas mal de mentions.
- On peut voir la place de l’islam alors qu’a priori, celui-ci n’a rien à voir avec l’affaire. Certaines communautés s’en sont servis pour montrer un ennemi ou pour montrer que le christianisme était victime par rapport à l’Islam.
III. Conclusions
Ce cas fournit un certain nombre d’enseignements plutôt intéressants.
1. L’utilisation de traces numériques à l’encontre de la RATP
J’avais dit que cela serait un enjeu pour les organisations dans le futur de gérer les traces numériques que l’on a parsemé, et qui seront utilisése pour dénoncer une incohérence dans le discours. J’avais réuni cela autour de la théorie du marqueur temporel. Les Twittos vont ainsi rassembler des traces qui se sont accumulées au fur et à mesure du temps pour dénoncer l’hypocrisie de la RATP. Certains exemples sont déjà disponibles plus haut, mais en voici d’autres :
https://twitter.com/sebseminariste/status/584512571220320257
https://twitter.com/israelpaix/status/584372470402154496
https://twitter.com/TacusselVictor/status/584339996812935168
https://twitter.com/PtdArcole/status/583377321769459712
Si les internautes le dénoncent, la presse n’est pas en reste puisqu’Atlantico ressort de vieilles publicités, on fait ressurgir un article parlant d’un contrat de 1,6 milliard en Arabie Saoudite et Le Nouvel Obs ressort l’historique des censures. Cela démontre une fois de plus la forte nécessité de connaître son historique des traces et son histoire.
2. Comme d’habitude
Comme d’habitude, la censure est un terrain fertile à la polémique en raison de l’e’fet Streisand. Les réseaux sociaux agissent dès lors comme un contre-media.
Comme d’habitude, une organisation qui ne prend pas la parole, qui ne dialogue pas, et qui ne se justifie pas se fait manger tout cru, car elle n’appose pas son “framing” de la situation. De ce fait, la seule histoire portée par les gens a été que #chutontue. Le débat a alors migré non plus sur le côté laïque de la communication, mais sur le massacre des Chrétiens d’Orient. Si l’on peut être pour la laïcisation des affiches, il est impossible d’être pour le massacre des chrétiens. Le gouvernement devait donc communiquer en ce sens.
3. On ne communique qu’avec son camp
Déjà identifié dans les analyses de conversations politique , on a la confirmation que les gens restent dans leur coin. Tant que l’h’stoire n’est portée que par les mouvements FN et identitaires, la gauche et le centre restent muet. Dès que Manuel Valls et Jean-Vincent Placé communiquent leur soutien aux Prêtres, on voit l’apparition de communautés inexistantes jusqu’a’ors. Cela prouve qu’une adhésion à des faits peut être silencieuse. Il a fallu qu’un politique de leur camp politique prenne la parole pour qu’ils le fassent également. Cela nous montre qu’i’ ne faut pas toujours être obnubilé par ce qui est dit ou ce qui se dit dans son propre camp, mais aussi parce ce qui est juste et normal. Avec l’apparition des logiciels de social media analytics, on a parfois trop tendance à se concentrer sur ce qui est dit, et pas sur la majorité silencieuse.
4. Un cas parfait de récupération politique
Souvent, les organisations cherchent à faire du bruit autour d’une “issue” qu’i’ faut mettre dans l’agenda médiatique afin que les politiques se sentent soit acculés soit tentés de récupérer l’h’stoire. Ce cas-ci est une parfaite illustration du séquençage parfait qu’il faut atteindre dans une campagne de lobbying indirect
Évidemment ici, le manque de cohérence de la RATP fait que tout le monde trouve en soi idiot ela décision de la RATP, mais dès fois, (et plus particulièrement pour les batailles avec des ONGS impliquées) l’évidence ne gagne pas sur le terrain du lobbying. Cela montre en tout cas les différentes phases qui se sont déroulées en 7 jours.
5. La confirmation de la recette de la propagation du buzz : un message autoporteur
On l’a’parfaitement vu dans la petite animation de la propagation du buzz dans les premiers jours. Le message est diffusé par des centres tout à fait différents. Dans chaque incubateur du message, l’idée se propage. C’est le signe que le message est automoteur et qu’il suffit de le diffuser pour que cela fasse mouche. On avait déjà remarqué ce phénomène et la nécessite de créer différents sujets d’une même thématique pour multiplier les centres. Si une organisation remarque cette propagation en broadcast networks (avec comme centre des gens comme vous et moi), elle doit savoir que le message ne continuera qu’à’se répandre et qu’i’ faudra prendre la parole ou prendre une décision, car il est certain que cela ira plus loin.
C’est d’ailleurs très intéressant de voir que le buzz s’est propagé sans courbe de Gauss et que la progression a été soutenue.
Voilà pour cette analyse d’un cas fortement instructif qui nous confirme pas mal de faits et nous montre une réalité : les réseaux sociaux sont et seront au centre d’enjeux et de crises pour les organisations.