Introduction
Il est partout: infectant les pages Facebook à un point tel que j’ai pour dogme de ne suivre aucune marque, hantant les livres que je lis sur le Bad buzz,omniprésent comme conseil numéro un des consultants lors des conférences que je suis via les différents LiveTweet mis en place et m’harcelant jusque dans un entretien d’embauche pour “Conversation Manager” où l’on me demande dans un test douteux d’écrire une légende/bodycopy d’une image LoL pour le compte d’une marque de voiture .Lui, c’est l’humour sur les réseaux sociaux , cette religion qui a su convertir tout le monde et ne souffre d’aucun infidèle qu’il faudrait châtier.
Elle, dont le prophète apparut en cette journée du 10 janvier 2012 où ses apôtres l’ont découvert:
Résistant au torrent de gobelins venant attaquer la page Facebook de Bouygues , Tanguy, armé de son seul humour fit face à ces manents, et ce, alors que SFR avait déjà fui le combat et que les assaillants utilisaient des espions par une technique désormais appelée la Bertaudière.
La légende, le mythe du rire était né. Érigé en prophète du community manager, les articles ont fleuri ça et là en son hommage et le premier commandement de la bible du community manager en temps de crise a été martelé sur les tablettes iPad des consultants: l’humour tu utiliseras.
Avec le temps, un astérisque naquit cependant à ses côtés pour annoncer le disclaimer ” A ne pas utiliser dans tous les cas”.
Vint ensuite le moment où il fallait expliquer et refaire l’histoire pour expliquer en quoi le rire était le_moyen pour coller à l’esprit et des codes du Web.
Pour ce faire, tout y passa : de l’histoire de DTC.fr , 4chan, VDM ; les smileys et les memes. ( un bouquin sur le bad buzz sans meme est une perle rare)
Dans le même temps, les KPI du web pointaient leur nez favorisant l’engagement ( le Like, le commentaire) à tout le reste ( nombre de questions des gens répondus, perception des gens sur un sujet, etc.)
Et là : torrent de LOLcat et d’images humoristiques pour favoriser l’engagement et se pointer chez le client armé de chiffres en béton.
Mise en situation : c’est vendredi, vous attendez à la gare en discutant avec vos amis lorsqu’une personne portant un T-shirt Skoda apparait au sein de votre groupe et vous crie ” Enfin le week-end ! “, vous souriez. Comme vous souriez, un autre ami proche de vous lâche un sourire dans l’espoir de vous plaire.
Heureux, le mec avec son T-shirt Skoda s’en va et rajoute deux barres sur un tableau:
Que sa journée est bonne puisque sur la soirée, celui-ci a eu 18 sourires.
Bon, oui je suis de mauvaise foi, je prends une situation complètement extrême, mais je le fais exprès.
Je le fais pour une raison : pour donner du sens et pour vous illustrer un point de vue.
Quels sont les points marquants de cette mise en situation ?
- En quoi cette situation remplit-elle les objectifs marketing? Cela ne permet pas de vendre le plus de produits, renforcer les valeurs de marque, connaître les préoccupations des gens, etc.
- La question de l’information. Qu’est ce que l’utilisateur a obtenu en plus par mon information ? En quoi cela va le marquer ? En quoi s’en souviendra-t-il ? Se souviendra-t-il que c’est Skoda qui lui a suscité un rire ou une satisfaction de la fin de week-end ?
- La question de l’émetteur. Ici, le point marquant que je souhaite le plus développer est la question de l’émetteur. Ce qui suscite le rire, l’émotion, c’est l’arrivée du week-end ; sur Facebook, ce qui suscite le like, le rire, c’est l’image du chien, pas l’émetteur. La marque ne gagne donc rien, puisque ce que les gens aiment, ce sont les messages et pas eux, pas leurs valeurs, pas leurs produits.
Comme toutes les problématiques des réseaux sociaux, ces 3 problématiques ne sont pas nouvelles en soi et existent depuis longtemps.
Ainsi, la question de la bonne pub que tout le monde aime, mais dont personne ne se souvient de l’émetteur en est un exemple. Elle est même le cauchemar du créatif puisqu’il se retrouve avec une publicité géniale, mais refusée par le directeur marketing par peur que l’on ne se souvienne pas du produit.
Mise en situation: Vous souvenez-vous du produit de “Maurice( le poisson rouge) tu as encore mangé tous les…”, « Tu peux te brosser Martine », “Maman, il me faut de l’eau, de l’eeeaaaaauuuu!!!!!”, “Get up Ah” ou encore très récemment la publicité pour ” on a remplacé le papier partout sauf pour ..”
Mais ce qui est nouveau, c’est qu’aujourd’hui , on comptabilise les “j’aime”, les “partage” et non plus le nombre de voitures achetées durant la campagne.
Les KPI ne sont donc plus un objectif marketing, mais un metric. On fait ensuite une induction metric = objectif marketing.
Également, la publicité faite autour du job de community manager est mauvaise. Tout le monde sait désormais qui est derrière la marque.
Telle la divulgation lors d’une crise qu’une agence de gestion de crise se cache derrière la communication, le simple fait de savoir qu’il s’agit d’un community manager qui nous parle casse le processus de spontanéité et l’identification à la marque.
Quand Tanguy répond sur la page de Bouygues Telecom, on ne parle pas de Bouygues, mais de sa personne. Ce n’est donc pas Bouygues Telecom , le héros , c’est le community manager.
Un peu comme si lors d’une publicité Bouygues Telecom , on disait que la publicité réalisée par Publicis ( aucune idée de l’agence en charge du dossier, c’est un exemple) était bien et que l’on parlait partout plus de Publicis que de Bouygues pour celle-ci.
Ainsi lorsque ceci apparaît:
Il n’est pas dit sur les blogs ou retweet qu’il s’agit de la Fnac qui blague, mais du community manager. Soit c’est le message qui est retenu et non l’émetteur , soit si l’on se souvient de l’émetteur c’est le community manager qui en tire les bénéfices.
2. Le contre-exemple
Mais il y a des exemples qui prouvent que l’humour peut être bien utilisé. Ou du moins, il y avait…
Quand Orangina communiquait autour de l’actualité et autres dans son propre univers créé de toute pièce autour des animaux. Là l’identité de marque ,les valeurs, etc. étaient présentes.
Maintenant, le délire autour de 0% des buveurs d’Orangina n’a plus la même force.
On se souvient aussi de Tipp-ex qui rebondit en communiquant sur le produit.
L’humour est donc possible, mais à condition de transmettre des informations sur le produit ( Tipp-ex), sur l’univers de la marque ( Orangina ) ou sur des valeurs.
3. Pourquoi tant d’humour?
Le rire est un magnifique vecteur de partage, et force est de constater que lorsqu’un community manager fait quelque chose qui sort de l’ordinaire, il y a une impression que cela plaît à tout le monde et que cela a fait le tour du monde.
Tout simplement parce que le monde des community manager est un monde clos. Ils se suivent l’un l’autre sur Twitter, un réseau social où ils sont très très TRÈS présents.
Mais en réalité, ce qui semble être un coup de génie connu par tous, la bonne petite PRA bien stéréotypée, elle n’en a aucune connaissance.
La chaîne de réponse avec 10/20 marques qui se sont parlés l’un l’autre, le commun des mortels, il s’en fout un peu.
Tout au plus, s’il est connecté à Twitter et qu’il voit l’information, il s’en amusera, mais c’est tout.
De plus, au nom du rire, de nombreux bad buzz surviennent et ceux-là , on a plus tendance à en avoir connaissance d’autant que les médias traditionnels reprennent l’information. Petit zapping des différents fails:
Et très récemment:
Est-ce que cette recherche de l’humour, une arme puissante en vaut la chandelle?
Vous avez en fait la réponse en vous puisque je viens volontairement à travers ce chapitre de faire du dénigrement gratuit de la question.
- Si vous avez une envie profonde de répondre à cet article pour me dire que j’ai tout faux, la réponse est oui.
- Si vous hésitez, c’est que manifestement il faut l’utiliser un peu moins et tempérer son utilisation.
- Si vous êtes d’accord avec tout ce que je viens de dire, c’est que manifestement il faut bannir l’humour comme instrument de promotion.
II. Le rire comme stratégie de réponse dans une crise 2.0
Si j’ai remarqué une chose à travers mes recherches , c’est que la crise 2.0 n’a pas grand chose de différent dans sa gestion par rapport à la crise normale.
Les crises 2.0 sont même des petites crises avec moins d’impact. Chaque aspect (en dehors de la rapidité, de son démarrage et de sa propagation) si l’on regarde bien a déjà été théorisé par des auteurs antérieurs. Les stratégies de réponse ne font pas exception.
Ainsi, Patrick Laguadec en 1986 comptait trois types de réponse :
Vient ensuite Jean-Pierre Piotet qui a délimité 5 stratégies de réponses :
Enfin, Marie-Hélène Westphalen propose 5 types de riposte (Westphalen, Marie-Hélène. La communication externe de l’entreprise. Paris: Dunod, 1997.):
Cet historique des réponses proposées jusqu’alors est aussi présent dans le livre sur la communication de crise de Thierry Libaert qui propose pour sa part 3 types de stratégies :
La stratégie de la reconnaissance :
- Bonne foi et naïveté
- Amalgame
- Dissociation de l’entreprise et de ses hommes
La stratégie du déplacement latéral :
- Faire bouger la crise
- Contre attaque
- Accusation externe
La stratégie du refus
• Dénégation
• Le silence : originel ou postérieur
Hormis le fait que dans la stratégie de Laguadec, la dissimulation tout comme la discrétion sont impossibles tout comme pour l’abonné absent et le bouc émissaire de Jean-Pierre Piotet ainsi que le silence et le transfert de Marie-Hélène Wesphalen, on remarque directement une chose: la stratégie du rire n’est pas présente.
Cela n’est à mon sens pas étonnant. Imaginez une vraie crise où un individu vous confie son désarroi ou sa douleur et vous lui répondez avec de l’humour:
Insensé ? Exactement. Parce que si vous pouvez rire, blaguer , utiliser de l’humour , c’est que vous n’êtes pas dans une vraie crise mais dans les 69% des crises level 1 qui composent mon échantillon.
Et là je ne laisse pas de choix multiples pour votre interprétation de mes propos.
Mobistar en a fait la dure expérience récemment. En cas de crise, oubliez donc l’humour pour vous concentrer sur vos valeurs, votre entreprise, la problématique du moment.
Après tout, les plus grands humoristes avaient tous une face sombre dont on n’a absolument nul besoin durant une crise.
Le rire est donc un vecteur puissant et peut aider , si bien maîtrisé, à susciter de l’engagement sur les réseaux sociaux.
Par contre, en cas de crise, s’il vous venait à l’idée d’utiliser l’humour comme stratégie de réponse, appelez-moi , car vous auriez au moins une personne que cela ferait rire.
Et pour éviter toute crise pour humour déplacé, souvenez-vous qu’on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui. Or, n’importe qui peut vous lire sur le Web. C’est peut-être finalement là le problème.