La façon dont les rumeurs et le lynchage 2.0 sur les entreprises commencent est un processus extrêmement compliqué à schématiser et à observer.
D’où cela débute? Comment la rumeur évolue-t-elle ? La réponse peut être trouvée dans des phénomènes plus petits qui sont dès lors plus observables que les « bad buzz » ou rumeurs traditionnels
I. Récit
Il est 00:30 le 28/04/2012 lorsqu’en pleine veille sur les réseaux sociaux, je remarque un hashtag en trends topic assez étrange: #sucemoipour .
Je commence par me dire : quel degré de déchéance a-t-on encore atteint dans la déchéance humaine. Intrigué donc, je clique dessus. (Je suis donc attiré vers une information dont je n’aurais pas eu vent avant par la visibilité qu’offre Twitter.)
Ce que je découvre est effarant:
Ce qui est intéressant ici, ce sont les messages:
- Quoi tu n’as pas vu ?: Le buzz , bon ou mauvais se nourrit de l’impression que tout autour de nous ne fait qu’en parler.Cela devient dès lors une news jugée indispensable sur le moment qu’il faut avoir vu sous peine de passer pour un « has been ». Le commentaire sur l’événement devient alors une manière de dire: Oui, je l’ai lu. Et quoi tu n’as pas lu ? Je suis donc meilleur que toi parce que je le savais avant.
- Va sur Google et tape XXX: (effectivement en tapant sur Google, les caractères SEO de Youtube avantageux font que la vidéo trône en excellente place. v. Screenshoot)
Je suis avant toi, je t’explique comment faire parce que je suis à la base. Tu es un retardataire, heureusement que moi je sais. ( Repris plusieurs fois rien que sur ce modeste screenshoot. Ce ne fut que ca)
On ne peut pas comprendre un lynchage, une rumeur , un bad buzz sans comprendre cet état de fait. L’information devient un truc dont on ne peut plus vérifier l’information , tout simplement parce qu’on a l’impression d’être en retard d’une guerre.
A partir de là, tout va trop vite.
Typiquement, les médias qui arriveraient durant cette phase-là et ne prendront que les informations qui sont divulguées à ce moment-là.
Ainsi, l’information ne devient plus l’événement en soi mais la façon dont il est commenté. En clair, les média n’iront pas cherché l’information première en allant chercher les informations sur place mais couvriront le trigger ( http://gestionereputation.over-blog.com/la-théorie-du-trigger-crise ) et ce qui se dit sur les réseaux sociaux, donc ici la vidéo sur Youtube ainsi que les commentaires.
C’est typiquement le cas qu’on a pu observer plus récemment avec les informations sur le caillassage supposé des secours ainsi que le vol des cadavres à Bretigny.L’information est lâchée sur les réseaux sociaux, les médias la reprennent alors qu’ils ne sont pas sur place.
Or cela pose problème. Pour preuve, en revenant sur le sujet de notre cas pour lequel nous sommes désormais en phase d’intensité maximale:
C’est le moment où l’information à elle seule n’est plus suffisante pour nourrir le feu du « buzz ».
Un Buzz , qu’il soit bon ou mauvais a besoin de se nourrir d’éléments nouveaux: les nouveaux commentaires du CM , un élément nouveau pas connu , le commentaire de quelqu’un d’important, un article qui résume la crise : bref du bois pour le feu.
Or ici, nous sommes à un moment où à part la vidéo: rien n’est nouveau.
Dès lors, alors que la visibilité est importante, tout le monde veut apporter son grain de sel pour montrer qu’on en sait plus que l’autre. C’est là que la rumeur intervient.
Ainsi, on peut voir des nouveaux éléments ( vrai ou faux?) comme le nom et la ville:
Mais là où c’est le plus intéressant, c’est l’observation du phénomène de rumeur. C’est-a-dire qu’on ajoute petit à petit des détails/caractéristiques qui ne sont dits nulle part mais qui sont là pour ajouter une part d’information en plus:
Alors, est-ce qu’elle est SFR ou Free la puce? Personne ne peut le savoir, mais deux personnes se lance sur la marque en question. C’est à ce stade là que c’est le plus dangereux pour les entreprises.
Le « buzz » finit par très vite redescendre dû à l’heure tardive et ne recommencera plus le lendemain par l’absence de fait nouveau ou tout simplement le fait que cela soit désormais « has been ».
Quels sont les enseignements de ce cas?
II. Enseignements
1. Tout buzz se déplace en phase de mécontentement ( bad buzz ) / commentaires ( autres)
Le début de cette histoire commence en réalité sur Facebook.
C’est là-bas qu’a été posté la vidéo et c’est là que les commentaires ont été les plus virulents et nombreux.
Pourtant, cela finira par migrer sur Twitter avec une plus grande visibilité car on dépasse le champs du réseau initial au sein duquel l’information transite.
2. Twitter donne de la visibilité à des microévénements.
Le Trending topic de Twitter offre une visibilité énorme à des choses petites.
En gros, cela reprend les éléments que j’exposais ici ( les réseaux sociaux rendent grands ce qui est petit ) ) à savoir qu’il suffit de 1000 Tweets à son sommet pour gagner une visibilité de milliers de personnes là où l’histoire serait rester sur Facebook dans un autre cas sans que je n’ai eu l’occasion de l’observer.
3. Les journalistes doivent enquêter sur les événements et non sur les triggers ou les commentaires
Un journaliste tombe sur ce « buzz » et voudrait en faire une information, il se servirait alors de quelques tweets pour faire son article ( regardez les articles sur les pull « chômeurs » pour en être convaincu) . Bref : il aurait tout faux.
En effet, il raconterait la vidéo Youtube, rapporterait les commentaires racontant qu’elle a « sucé pour une puce » alors que la vraie histoire? La voici:
Non, elle ne suçait pas uniquement pour une puce mais parce qu’il y avait un chantage, des violences, etc.
Parmi tous les commentaires, aucun ne racontait la vérité: ils étaient juste en train de se foutre de sa gueule sur du vent, sur 34 secondes de vidéo alors que sa longueur et ce qu’elle contenait ne voulait rien dire.
Quand bien même on penserait la comprendre, elle n’a de sens que si elle est mise en rapport avec tous les éléments.
Les journalistes ont donc encore un travail par rapport aux réseaux sociaux: celui de délier le vrai du faux. Quand je vois certaines personnes dire que les réseaux sociaux surpassent désormais le journalisme, c’est uniquement dans le cas où les journalistes se prennent pour des usagers et non plus sur ce qu’ils sont: des decrypteurs d’information.
4. Non, les gens n’ont pas forcement raison s’ils se mobilisent en groupe à un instant T contre un individu ou une marque.
Ils ont tous ri sans comprendre la situation totale.
Pourtant, mené et aveuglé par l’effet de groupe et l’influence du réseau: ils l’ont tous partagé et même encouragé la diffusion.
Combien l’aurait fait s’ils avaient eu toutes les informations ? Combien aurait partagé cette vidéo qui montre une femme qui a subi ce que les vrais événements racontent?
C’est la preuve absolue que non, ce n’est pas parce qu’un nombre certain de personnes partagent une indignation ou un événement, se montrent vindicatif ou moqueur qu’ils ont forcément raison et qu’une marque se doit d’obtempérer face à eux.
Des fois, une marque pourrait ne pas forcément donner raison sous prétexte qu’il y a eu un « bad buzz ». On a trop souvent tendance à penser que le nombre, le fait que 90 % des commentaires présents énoncent quelque chose , implique qu’ils ont obligatoirement raison. Non, le Web et encore moins Twitter n’est pas une démocratie car il n’est pas représentatif. Il suffit de 1000 commentaires pour que cela soit en Trend topics et donc considéré comme un Bad Buzz.. Pour combien de spectateurs immobiles ? Pour combien de gens pour qui il n’y a aucune indignation ?
5. Il faut des dispositifs légaux d’urgence pour lutter contre les dérives
Je ne souhaite à personne de subir un lynchage 2.0 parce qu’une personne veut vous voir sombrer : il faut d’urgence des outils légaux pour lutter contre le fait que:
Des traces sont encore aujourd’hui disponibles et ce alors qu’il s’agit d’un microévénement. Tapez « Elle suce pour une puce sur Google » , vous verrez encore en première ligne un post sur le forum jeuxvideo.com
La censure est vaine: la vidéo a été supprimée de multiples fois, le status et la vidéo hébergée également sur Facebook qui le relayait a été supprimé plusieurs fois. Rien n’y a fait. Cela mène vers un autre enseignement:
6. Pour qu’il y ait bad buzz, il faut que son objet physique, sa physical evidence soit disponible et partageable
La vidéo ne cessait de revenir par ceux qui l’ont lancé mais aussi par ceux qui voulaient ne pas parler sur du vent.
En effet, pour commenter quelque chose, il faut que son objet physique, sa physical evidence soit disponible.
-« Hey dis, tu as vu la fille qui suçait pour une puce ? Non ? Ah ok bah elle suçait pour une puce » .
-« Ah ok. Et sinon ? »
C’est la raison pour laquelle , pour toutes les publicités à risques sur les valeurs que j’ai énoncées comme à risque, je conseille de ne JAMAIS upload ceux-ci sous peine d’avoir du partage négatif.
C’est aussi la raison pour laquelle, une fois qu’un contenu est publié, n’espérez pas le supprimer ni vu ni connu, il sera déjà sauvegardé quelque part par quelqu’un qui se fera un plaisir de le remettre à la disposition des internautes et nourrira même le partage.
« Hey regardez ce qu’ils voulaient pas qu’on voit ».
Voilà pour les enseignements de ce cas .
Ce qui est intéressant dans celui-ci, c’est qu’il nous permet d’analyser à une échelle plus petite ( et donc plus facilement observable) ce qui se passe sur des événements beaucoup plus grands comme ce qui se passe pour les entreprises et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’y a qu’un pas pour qu’une rumeur émerge.
Update:
Un an après, on en parle encore, on retweet encore, ils n’ont toujours pas compris les vrais faits. Comme quoi, une rumeur peut avoir la dent longue.