Déjà 1 878 874 signatures sur 2 000 000 ! C’est par ce chiffre important que se présente la pétition lancée par Philippe de Villiers, réclamant un référendum sur l’immigration. Dans un contexte déjà marqué par les polémiques sur la transparence et la légitimité des mobilisations en ligne, ce “compteur” sert de levier symbolique pour illustrer une “pression populaire”. Pourtant, derrière ce chiffre, il y a pas mal d’interrogations et surtout des traces d’astroturfing, phénomène que j’ai largement commenté et renseigné à travers les années.
Pétition : la recherche du million
La recherche du million, score faiblement déjà égalé par le passé est souvent recherchée et signe d’un succès à l’échelle de la société française avec très peu d’équivalence cela dit :
- Pétition contre la loi Duplomb (2025) : lancée sur le site de l’Assemblée nationale, elle a franchi le seuil du million de signatures, suscitant une forte pression sur le gouvernement.
- L’Affaire du siècle (climat) : la pétition de soutien aux ONG pour condamner l’inaction de l’État a rassemblé plus de 2 millions de signatures dans le mois qui suivait son lancement.
- Pétition “hausse des carburants” de Priscillia Ludosky (2018) : elle a dépassé le million de signatures, contribuant à lancer le mouvement des Gilets jaunes.
- Pétition contre le projet de loi El Khomri / “Loi Travail” (2016) : la pétition en ligne a rassemblé environ 1,35 million de signatures en quelques jours.
- Pénélope Bagieu et la pêche en eaux profondes avec Bloom (2013)
Toutes ces pétitions ont cela dit :
- Un démarrage non médiatique et non politique
- Une forte reprise citoyenne avec plein de publications sur les réseaux sociaux
- Des relais intermédiaires avec des politiques et une certaine forme de transpartisanisme
- Une reprise médiatique une fois la propagation admise
Pas mal de ces pétitions ont cependant la même caractéristique d’être sur des plateformes sans fonctionnalités de vérification et sont pour la plupart sujette à caution à l’exception de la récente pétition contre la Loi Duplomb.
Elles sont donc sujettes aux mêmes critiques que ce que l’on voit circuler à savoir que l’on pouvait voter plusieurs fois et qu’il y a des anomalies comme le fait que Jean-Luc Mélenchon aurait signé la pétition comme bien expliqué par TF1.
Une propagation politique et médiatique
1. Une volumétrie bizarre
En dehors de ces points qui n’ont pas été abordés pour les précédentes pétitions, c’est surtout d’autres faits qui sont intéressants pour caractériser la propagation de cette pétition. Sa propagation est en deux phases : (avec une volumétrie assez semblable à la loi Duplomb)
Ca n’est pas arrivé comme cela pour les pétitions comme pour la loi Duplomb :
Il n’y a eu qu’une seule exception qui était la pétition pour la pêche en eaux profondes (archives de 10 ans) mais pour la simple raison qu’il y avait un vote du parlement après la pétition. C’était une autre époque également en termes de volumétrie.
2. Un manque de reprise et de partages dans les sphères d’influence
Dans notre panel Follaw (les 20 000 personnes qui comptent au niveau français et européen) , les partages de la pétition sont très très limités et avec tout le temps les mêmes acteurs :
Puisqu’on voit aussi une base citoyenne (lobbying) très légère et une propagation par des groupes RN (Reconquête n’a pas de groupe mais c’est principalement eux)
On est loin de la pétition Duplomb :
3. Une propagation médiatique et reconquête
Dernier élément : la propagation de l’information sur cette pétition. Elle démarre de Philippe de Villiers et du JDD. Ensuite, ce sont d’autres médias et journalistes qui s’en font l’écho. Ceux-ci voient dans cette pétition le symptôme d’une frustration démocratique, dénonçant vingt ans de « déni démocratique » sur la question de l’immigration.
Cet écosystème médiatique est rejoint par Sarah Knafo. Et tout cela reste très fortement dans un écosystème médiatique. Cela suit cette propagation :
Cela donne au final un groupement de médias (Frontières, Boulevard Voltaire, Le JDD, etc.) :
Auquel se rajoute Pascal Praud plus proche du traitement médiatique « traditionnel ». (Cnews, LCI, BFMTV, etc.)
On est donc loin de la propagation d’une pétition qui grandit au sein de persones non politisées et non médiatiques et qui circule tellement qu’elle fait l’objet d’un traitement médiatique. Car ici, c’est le traitement médiatique qui crée la propagation. En définitive :
- Cette pétition est sortie directement par les médias et le parti reconquête. Elle n’est donc pas d’origine citoyenne. Elle n’a d’ailleurs même pas de bouton partage sur le site.
- Elle est entretenue par les médias Valeurs Actuelles et le JDD avec une propagation volumétrique bizarre par rapport à d’habitude.
- Le nombre de signatures ne peut pas être garanti car la pétition n’est pas hébergée par une plateforme dont c’est le métier et qui garantit la neutralité de celle-ci. (Mais ici, en dehors de la pétition sur la Loi Duplomb, ce fut également le cas)
Elle est donc pur astroturfing. Mais elle a le mérite de montrer que l’extrême droite ne se contente plus d’un discours “réactif” ou “anti-système”, mais s’approprie les tactiques de mobilisation civile, les outils numériques, le marketing politique et le “soft lobbying” pour créer des pressions de l’opinion publique. Elle cherche à se donner une légitimité populaire à travers des formes que l’on associait souvent à d’autres mouvements.