La guerre est déclarée entre Nordpresse (le Gorafi belge) et Sudpresse (une feuille de chou) suite à la une de presse sur les migrants que ce dernier a réalisé. Ce combat vient symboliser un ras-le-bol contre ce média pour qui l’éthique est un frein à l’activité économique. Pour Sudpresse, tout est bon pour vendre, ou pour qu’il y ait du clic.
I. Sudpresse et son oeuvre.
Sudpresse, c’est un groupe de média regroupant plusieurs journaux locaux :
- La Meuse (Liège)
- La Nouvelle Gazette (Charleroi)
- La Province (Mons)
- Nord Éclair (Tournai/Mouscron)
- La Capitale (Bruxelles)
Il s’agit du média le plus vendu de Belgique avec plus de 500 000 lecteurs. Le groupe se plaît à dire que grâce à lui, des gens continuent à lire des journaux. Son “core” business est bien entendu l’information locale et ses chiens écrasés. Leur logique est clairement celle du peuple, quitte à être sensationnaliste, voire odieux.
L’oeuvre de Sudpresse ? Difficile à résumer et difficile de choisir les meilleurs moments qu’on a eu avec ce torchon innommable. Contentons-nous de faire un petit état des lieux des derniers chefs d’oeuvre. Tout d’abord, en s’engageant chez Sudpresse, il faut agir vite et au mépris de toute déontologie ou de vérification d’information. Durant les attentats de Paris, on a ainsi eu la rédaction qui s’est fait avoir comme des bleus par un terrible hoax :
Un innocent est alors traîné dans la boue. Plutôt que de supprimer l’article qui a fortement buzzé, le journaliste a édité l’article et la promotion Facebook en laissant la photographie et en rajoutant uniquement qu’il s’agissait d’un hoax.
Pourvu que ça clique puisque ça “fait le buzz”. Cette phrase est très souvent utilisée par Sudpresse. Jouant sur le populisme, le quotidien sera content de faire venir moult racistes déverser leur bile sur une affaire d’un sirop de liège certifié Halal.
Le quotidien est d’ailleurs condamné par le CDJ (Conseil de déontologie journalistique) pour manquement à la modération de commentaires racistes. (Son fonds de commerce) Peu importe pour ce lupanar où le clic est le totem à déifier et n’importe quelle affaire est un prétexte à rameuter du clic. Quitte à se servir des drames pour réaliser du clickbait :
Peu farouche, le “quotidien” publie même des vidéos de shaming comme un vulgaire site de revenge porn :
Habitués à n’avoir aucun respect pour l’être humain, et encore moins pour la femme, ces infamants placent astucieusement leur contenu dans leur article :
Les secrets d’une bonne fellation dans un article de viol avec mineur ? Vous en rêviez. Sudpresse l’a fait !
Lorsqu’une photo du Bataclan filtre et que les autorités françaises demandent de ne pas la diffuser par respect pour les victimes, Sudpresse réclame un droit à l’information et diffuse des morceaux de cadavres, des êtres vivants réduits à l’état de boustifaille pour l’appétit du journal. (Je ne la diffuse pas, mais la preuve est ici)
Sudpresse, c’est un des rares quotidiens à avoir une section “buzz” dans leur édition papier. Et le niveau est extrêmement élevé.
Même l’écriture des articles est taillée pour ce format qui vise à provoquer l’engagement. Il ne s’agit plus d’information, mais de contenu. On va jusqu’à publier des rumeurs pour les commenter.
Bien évidemment, le pendant 1.0 de toute cette saleté est l’utilisation astucieuse de une à la limite de la légalité, en se prenant à chaque fois pour le juge. Le lendemain des attentats :
Lorsqu’un de ses journalistes n’est pas d’accord avec cela, on lui indique doucement la porte. Avec Wesphaël, pas besoin de procès :
Cela nous mène maintenant au combat pour cette une :
Celle de trop. À l’intérieur, Sudpresse donne même l’adresse d’une personne pour qui la vie pourrait être menacée. À noter que Sudpresse est coutumier du fait puisqu’ils ont récemment dévoilé des informations sur les enfants de Marc Dutroux, et ce alors qu’ils sont totalement innocents dans cette sordide affaire. “Justice” est faite.
II. Sudpresse, le CDJ et les subventions publiques
Le plus incroyable dans ce petit état des lieux de quelques pépites de la feuille de chou qu’est Sudpresse, c’est qu’à l’exception de la une avec Wesphaël, toutes ces évocations datent des 6 derniers mois, et uniquement sur base de screenshoot glanés sur Twitter, ne lisant ou ne parcourant jamais Sudpresse. Je vous laisse dès lors imaginer l’étendue des dégâts sur plusieurs années. Il y a en effet un véritable problème Sudpresse, à la simple vue du compte-rendu du conseil de déontologie journalistique puisque sur les plaintes jugées fondées de ce dernier pour l’année 2015, 62 % concernent Sudpresse.
Cela ne m’importerait pas autant si le groupe Sudpresse n’était pas un des quotidiens les plus financés par les deniers publics avec 1,6 million d’euros, derrière l’Avenir qui n’a que 100 000 euros de plus. La formule pour donner des subsides est calculée selon le nombre de journalistes employés et le tirage quotidien (et d’autres petits détails). À ce jeu, Sudpresse fait donc coup double : plus elle vend, plus elle peut engager, et plus elle reçoit des subsides. Elle est donc gagnante sur tous les tableaux, symbole que notre système de subsides est mal foutu. À l’occasion de l’utilisation de la photo des cadavres du Bataclan, j’avais particulièrement été choqué et désirais une réponse du ministre Marcourt par rapport aux subsides.
Aujourd’hui, je suis encore dans l’attente d’une réponse, et ce malgré le fait que j’ai quelque peu insisté, me montrant d’ailleurs un énorme troll irrévérencieux : (j’aurais honte si le sujet ne me tenait pas autant à coeur)
Vincent Flibustier, propriétaire de Nordpresse, a également le même agacement et remarque que rien n’avance malgré toutes les condamnations du CDJ :
“Sudpresse reste un média largement subsidié, mais qui ramasse à longueur de temps des plaintes au Conseil de Déontologie journalistique. Il est souvent condamné, mais les avis sont publiés de manière très discrète, trop à mon goût.”
Toutefois, même cet enjeu n’est que symbolique puisque les subventions à la presse, c’est peanuts, une goutte d’eau dans le budget des médias. Prenons juste le temps de mettre en contexte :
Cela ne représente qu’1/40 ème du chiffre d’affaires. Il faudrait également 10 ans de subsides pour régler la dette du groupe.
III. Conclusions
Reste que le débat reste entier : actuellement la formule de subsides ne récompense pas la presse de qualité, alors que celle-ci en a cruellement besoin. Il faudrait dès lors réinvestir dans les quotidiens de qualité, et pour cela il faut une plus grande part de l’état dans la partie. Le système actuel est à ce point pervers que l’on récompense un groupe de médias, car il arrive à vendre et qu’il arrive à embaucher. Du coup, on se retrouve avec des gens qui vendent leur âme de journaliste et leur diplôme pour devenir artisans d’une feuille de chou, condamné à produire des fèces tous les jours. Ma principale peur est que l’on perde toute une génération de journalistes parce qu’on aura tardé à repenser la place de la presse dans nos sociétés.
Cependant, le danger d’un réinvestissement de l’état est que celui-ci n’intervienne trop dans l’établissement de ces subsides, car comment déclarer qu’un quotidien est de qualité ? Ce que fait Sudpresse n’est-il pas ce que les gens désirent comme information ? Le tout semble mener à une impasse dans laquelle le 4e pouvoir perd de son pouvoir quoiqu’il arrive.
Finalement, ce dilemme nous montre la seule utilité de Sudpresse : nous fournir un miroir dans laquelle se reflètent nos contradictions, nos pratiques de consommation, et la trumpisation du monde dans laquelle tout le monde s’enferme. Un mur, vite.