Cet été, j’ai eu à de nombreuses reprises l’occasion de commenter les agissements des groupes d’extrême droite sur Twitter. Si ceux-ci n’étaient pas organisés de façon structurelle, il en est tout autre de l’action qui a été menée hier à l’occasion des discours de François Hollande et Angela Merkel. Preuve une fois de plus que le FN et l’extrême droite en général semblent beaucoup mieux organisée sur Twitter que ces principaux rivaux. Analyse via Visibrain Focus TM
I. Introduction
Au début, tout commence par les tweets que seuls les initiés suivent :
Les politiques font comme d’habitude leur promotion :
Et si l’information n’est pas passée partout, sachez qu’ALERTE MEDIA :
Bref, tout est normal. Sauf que cette fois, Marine Lepen va pouvoir alpaguer les deux dirigeants européens et qu’elle l’annonce bien à l’avance :
Angela Merkel et François Hollande arrivent :
Marine Lepen fait une piqûre de rappel :
Du côté d’Hollande, rien n’est annoncé via le hashtag. Personne ne s’occupe du live-tweeting si ce ne sont les médias. Une fois la parole de Marine Lepen enclenchée, on ne la lâchera plus :

Pour maintenir un flux aussi fort, c’est que le community manager disposait des tweets à l’avance ce qui dénote d’une excellente organisation. Derrière, une majorité des cadres du parti vont relayer également la parole. Passons désormais à l’analyse.
II. Analyse
Note méthodologique : l’analyse se base sur les tweets comportant le hashtag et posté sur la période suivante :

On remarque une omniprésence de Marine Lepen dans le top des tweets :

Tout paraît comme si la leader du front national avait pris les devants sur les discussions :

Même le lien le plus tweeté est à créditer à Marine Lepen :

Derrière le tweet de cette vidéo, on retrouve tout un parti aligné :


La masse mobilisée est impressionnante d’organisation. Ce qui me fait dire qu’en communication politique, il y a deux moyens de faire front : foutre tout le monde derrière toi sur le plateau de Parole et des Actes et les voir bâiller, ou au contraire faire porter le message depuis Twitter avec sa photo dessus ce qui donne du crédit localement au message puisque chaque homme politique dispose de sa propre base électorale. Personnellement, entre les deux, j’ai choisi. Manifestement du côté des partis traditionnels, on y est encore loin.
Cependant, les comptes créés spécialement pour l’occasion (double, faux ou vrai nouveaux) sont toujours énormes avec le FN :


Ils sont 26 % des comptes twittant la vidéo qui sont des comptes à – de 100 followers. C’est la même proportion (26,7 %) pour tous les comptes qui ont mentionné ou retweeté Marine Le Pen. Signe soit : d’une utilisation de double compte massive soit d’une mobilisation en offline pour pousser les militants à s’inscrire et à crier pour cette occasion toute spéciale.
Au niveau des hashtags, la répartition n’est, elle, pas à l’avantage de Marine Lepen, mais devant François Hollande. 
Au niveau des expressions, le discours de Marine Lepen prend le dessus en prenant compte des retweets :

On retrouve ainsi le terme de vice-chancelier à de multiples reprises, tout comme vassalisation, domination allemande, tentative de domination, etc.
Quand on enlève les retweets et que l’on se coupe du bruit de celui-ci, la logique des verbatim est tout autre :

On retrouve ainsi solidarité, « More Europe », crise des réfugiés, démocratie, etc. Signe que finalement la manoeuvre politique du FN réussit à changer le discours ambiant par une logique de front commun. Prenons dès lors de la hauteur par rapport aux conversations. Voici la situation initiale :

Marine Lepen annonce son discours et capte dès lors une communauté que l’on voit extérieure (pour rappel, tous les points centraux sont les plus connectés au réseau, plus on s’éloigne du centre, moins les personnes sont connectées à l’ensemble du réseau)

Et à la fin des discours, on obtient la configuration suivante :

Ce qui est très intéressant, et j’expliquerai pourquoi dans la partie « enseignements ». Le tout est illustré par l’animation suivante :

III. Enseignements
L’illusion de masse
Si dans tous les classements quantitatifs, Marine Lepen l »emporte haut la main, ce n’est pas du tout le cas en terme de discussion puisque sa communauté FN (en rouge) n’est constituée que d’une minorité par rapport à l’ensemble du graphe. Une minorité oui, mais une minorité non silencieuse et totalement mobilisée. Cela donne donc une impression de masse et de groupe lorsqu’on suit le hashtag via des outils normaux (Classement des tweets, classement des Top RT, classement des hashtags, classement des expressions ou simplement en regardant le hashtag depuis sa timeline) alors que si l’on prend de la hauteur via la technique de l’analyse des réseaux, on remarque que cette expression est minoritaire par rapport à l’ensemble des discussions. Cela doit faire particulièrement réfléchir les journalistes et leur dire de ne pas se faire avoir en ne consultant que des classements quantitatifs.
Un débat européen sur les réseaux sociaux qui tournent aux extrêmes
Ce qu’on remarque également, c’est que les hommes politiques traditionnels désertent le débat. Il n’y a pratiquement aucun parti national qui prend la parole par rapport aux débats. L’ensemble des conversations non extrêmes fait très « consanguin » alors que les partis d’extrême gauche ou d’extrême droite, eux participent à ces débats et font valoir leur voix. Ainsi on remarque en bas à droite la communauté Podemos, la communauté Mélenchon, en haut à gauche la communauté UKIP, tandis que le mouvement 5 étoile se manifeste en haut à droite. Si les discussions ne sont pas tous provenants du front national, il faut quand même avoir l’honnêteté de dire que les points de vue extrêmes sont bien plus exprimés sur les réseaux sociaux que le point de vue européen traditionnel parce que ceux-ci parlent d’Europe avec des noms de partis et politiques nationaux que les gens connaissent (en le faisant dans la langue du pays), tandis que les élites européennes communiquent avec des hommes politiques européens et partis européens que les gens ne connaissent pas tous.
Un front national… qui fait front !

Face à des hommes politiques qui communiquent sur Twitter leur propre communication et où le moi..je est absolument partout, la communication du FN pourrait être copiée par les autres partis. Comme je le disais dans l’article, il y a deux moyens de faire « front » politiquement : on affiche tout le monde comme des pingouins en rang sur des plateaux TVs ou durant une conférence de presse, ou on communique tous ensemble au même moment la même chose. Entre les deux, j’ai largement ma préférence. Les partis politiques devraient plus se concerter afin de communiquer de manière commune, sans quoi l’idée de masse du FN va prendre de l’ampleur. Parce que cette année, j’ai croisé l’extrême droite sur de nombreuses analyses, je peux dire que oui, Le FN s’organise sur Twitter. Et bien de surcroît.