Ce 27 mai, nous avons pu assister à deux crises de grande ampleur. Premièrement, en Suisse, des dirigeants de la FIFA se sont fait arrêter par le FBI pour corruption et fraudes tandis qu’en Belgique, nous subissions une panne électrique du système de Belgocontrol, ce qui a stoppé tous les avions durant de multiples heures. Dans ces deux cas, nous avons assisté à une communication pour le moins cocasse, à savoir la négation du statut de crise. Un “tout va très bien madame la marquise” moderne de plus en plus en vogue dans un monde où la situation de crise n’est plus décrétée par l’organisation qui la subit, mais par le public.
I. Rappel des différentes typologies de réponse en situation de crise
Avant d’expliquer via des verbatim et en théorisant ce type de réponse, il paraît essentiel de revenir sur la littérature existante sur les types de réponses que l’on peut utiliser en communication de crise. La bible sur le sujet étant le livre de Thierry Libaert, qui vient de sortir en 4 ème édition. Dans celui-ci, il donne sa propre typologie des types de réponses :
La stratégie de la reconnaissance : on va reconnaître l’erreur ou la faute.
- Bonne foi et naivité : avouer son erreur en disant que l’organisation est de bonne foi ou qu’elle a été naïve.
- Amalgame
- Dissociation de l’entreprise et de ses hommes : typique de la Société Générale et Kerviel.
La stratégie du déplacement latéral : on va essayer de faire bouger l’opinion public vers un autre angle de la crise. (Autre personne, autre sujet, etc.)
- Faire bouger la crise
- Contre attaque
- Accusation externe
La stratégie du refus : on va nier la responsabilité de l’organisation, soit par le silence, soit par la dénégation
- Dénégation
- Le silence : originel ou postérieur
Pour en arriver à ces stratégies, Thierry Libaert cite les autres auteurs qui ont réalisé une typologie.
Patrick Laguadec en 1986 comptait trois types de réponses :
- La transparence : jouer la pleine transparence quant aux actes de l’entreprise. Le citoyen doit tout savoir.
- La discrétion : ne se montrer que lorsque c’est nécessaire et mesurer chaque prise de parole.
- La dissimulation : ne rien dire vers le public.
Vient ensuite Jean-Pierre Piotet qui a délimité 5 stratégies de réponses :
- Le front du refus : non, ça n’est pas vrai.
- L’abonné absent : aucun commentaire ne sera fait.
- Le bouc émissaire : ça n’est pas la faute de l’entreprise, c’est la faute d’un tiers.
- L’acceptation : l’entreprise avoue ses torts.
- L’amalgame : l’entreprise essaie de mettre en cause un tiers afin de faire passer le message qu’elle n’est pas seule fautive.
Enfin, il nomme Marie-Hélène Westphalen qui proposent 5 types de riposte : (Marie-Hélène Westphalen, La Communication Externe de l’Entreprise, Editions Dunod, 1997)
- Le silence : ne pas réagir, ou s’il le faut, livrer le minimum d’informations possibles.
- L’offensive : réfuter la crise et essayer de le prouver au public par l’offensive.
- Le transfert : on attribue la responsabilité à quelqu’un d’autre.
- La reconnaissance : avouer sa faute et collaborer entièrement.
- La discrétion maîtrisée : donner petit à petit les informations
Si l’on devait classer la stratégie déployée, seule la stratégie du refus de Thierry Libaert semble pertinente, mais en y ajoutant une catégorie.
II. La négation du statut de crise
a) Belgocontrol
Vers 9 h 45, l’espace aérien belge est fermé suite à une “panne d’électricité” chez Belgocontrol, le contrôleur aérien belge. Belgocontrol va d’abord adapter une stratégie du silence, ne donnant aucun fait et n’excluant pas non plus une intervention extérieure malveillante. Très vite, les experts s’étonnent et dénoncent comme Damien Herst dans Le Soir “Dans les systèmes critiques, en cas de panne, des batteries prennent le relais dans un premier temps tandis que des générateurs, fonctionnant par exemple au diesel, se mettent rapidement en marche. Pour des systèmes plus critiques, ce sont des machines synchrones qui prennent le relais. Ces machines fonctionnent en permanence et sont prêtes à intervenir dès qu’elles décèlent une perte de courant. Visiblement, ce système n’a pas fonctionné“
La Voka, association des patrons flamands donne déjà le chiffre de 50 M de perte suite à ce fiasco électrique.
Une fois que les faits seront donnés, le porte-parole de Belgocontrol va avoir la phrase tout à fait magnifique : “la panne d’électricité est survenue lors d’un test sur les générateurs de secours. Le fait que cela se produise à ce moment-là montre que nous entretenons très bien les systèmes“.
Bien sûr, cette situation est loufoque et personne n’y croit :
On a donc eu 200 vols annulés, 25 000 personnes touchées, plus de 500 personnes qui ont du dormir dans l’aéroport, et tout le système aérien a été bloqué pendant des heures, mais l’organisation dit que “tout va bien madame la marquise”.
b) Fifa
Au matin, des responsables de la FIFA se sont fait arrêter dans l’hôtel qui accueille les membres de la FIFA pour leur congrès annuel. Des bureaux sont également perquisitionnés tandis que l’on apprend que le choix des coupes du monde en France, en Afrique du Sud, en Russie et au Qatar serait truqué. Sur Twitter, les internautes se lâchent joyeusement :
Pendant ce temps-là, c’est à peine si Walter de Gregorio, directeur de la communication de la FIFA, ne sort pas le champagne puisque “vous n’allez pas me croire, mais c’est un bon jour pour la Fifa“. Celui-ci de rappeler que “Joseph Blatter, et son secrétaire général Jérôme Valcke “ne sont pas impliqués“. (si tant est qu’en tant que dirigeant on ne connaisse rien)” d’ailleurs tout va tellement bien “qu’il n’a jamais été question de reporter le congrès ou l’élection“. A noter que France 2 n’est pas en reste puisque durant son journal télévisé de 20h, toutes les attributions de coupe du monde truquées étaient nommées sauf celle de la France. Tiens tiens.
III. Conclusion
Ce type de stratégie de communication de crise que l’on pourrait rajouter comme stratégie de refus consiste à non plus nier les faits ou l’implication, mais de nier le statut même de la crise. Ce faisant, les communicants espèrent que l’on ne les prendra plus à partie puisqu’il n’y a plus de crise. Seulement, cette stratégie fait partie d’un autre siècle, celui où une organisation vivait dans un monde opaque et où les réseaux sociaux n’existaient pas encore. Nous vivons aujourd’hui à une époque, certes bizarre, où l’état de crise n’est plus déclaré par l’organisation qui la subit, mais par les publics. Axel Gryspeerdt, professeur émérite à l’Université Catholique de Louvain disait “il y a crise quand une organisation doit communiquer plus vite que d’habitude”. En niant le statut de crise, les différentes parties prenantes n’en sont que plus virulentes ce qui demande à l’organisation de communiquer davantage. Ceci prouve que la stratégie de la négation du statut de crise n’est qu’un artifice qui ne guérit rien, tout du contraire et qu’elle rejoindrait donc les nouvelles réponses telles que “c’est ma mère” , “faute morale/démon intérieur” ou stratégie de l’erreur invincible.