La psychose règne : des clowns agressifs séviraient ça-et-là et les témoignages se succèdent : ils auraient fait peur à des enfants, ils auraient agressé une voiture, ils auraient agressé un passant, etc. Comment en est-on arrivé là ? Récit d’une histoire qui, connectée à d’autres, peut donner de précieux enseignements aux marques.
I. Introduction
L’histoire proviendrait d’une caméra cachée venant des Etats-Unis et importée par d’autres Youtubers.
https://www.youtube.com/watch?v=8xSNiPx791A
L’histoire se diffuse tout d’abord dans le nord de la France ou dans la région wallonne en Belgique. Force est de constater que les clowns ont aujourd’hui envahi le Web, les JT télévisés et les réseaux sociaux. Né dans le nord, on remarque vite des arrestations dans le sud de la France. On en est même arrivé à des situations loufoques.
Le nombre de tweets a explosé :

Tout comme le nombre de groupes et pages Facebook de toute sorte ( Anti-Clown, Chasseur de Clown, Clown Horror Show, etc.)
Si l’on analyse les causes de la propagation de cette histoire, il suffit de voir la littérature scientifique sur la rumeur pour découvrir qu’il s’agit d’une légende urbaine. Bruno Renard décrit la légende urbaine comme « Récit anonyme, présentant de multiples variantes, de forme brève, au contenu surprenant, raconté comme vrai et récent dans un milieu social dont il exprime les peurs et les aspirations. » ( Jean-Bruno Renard. Rumeurs et légendes urbaines. Presse Universitaire de France. 2006. p.6)
Elles se déroulent, pour la plupart, dans des non-lieux. (Sur des autoroutes, dans la rue, etc.)
En général, ces récits sont accompagnés de messages assez négatifs de mise en garde par rapport au monde extérieur qualifié de dangereux. En effet, dans les histoires proposées, cela se passe souvent la nuit et avec des enfants. Or, il est de bon ton de dire qu’il ne faut jamais sortir tard le soir.
Par contre, contrairement aux légendes urbaines, qui relatent des faits fictifs qui ont juste pour but de mettre en garde contre la société moderne et ses dangers, les faits se sont réellement passés, ce qui augmente la viralité extrême de cette psychose.
J’identifie 4 types de vecteurs :
- La co-construction du récit : c’est le volet rumeur/légendes urbaines. Les gens co-construisent le récit en alimentant la rumeur par leurs faux messages.
- Les faits réels : c’est le volet actif de la rumeur. Elle permet de nourrir la co-construction pour dire « vous avez vu, c’est réel ».
- Les médias : c’est le volet central dans ce cas. Là où la plupart des rumeurs ne sont presque pas traitées par les médias si ce n’est pour les réfuter, les médias jouent ici le rôle de crédibilisation et de promotion de la rumeur. Les médias nourrissent la rumeur qui nourrit les médias. On assiste donc à un loop.
- La légitimation par la police : en lobbying et communication sensible, il y a une règle sainte : on ne communique pas sur ceux qui n’ont pas de pouvoir. La police a fait l’erreur de communiquer beaucoup trop vite en déclarant prendre la chose « très au sérieux », donnant ainsi du pouvoir à ceux qui n’en avaient pas.
Ces 3 vecteurs fournissent un bois plus que conséquent pour nourrir le feu de la psychose. Je voulais voir quelles étaient les conversations autour des clowns sur le réseau social Twitter. Après de nombreux tweets supprimés ( j’ai lu plus de 15 000 tweets) , je suis arrivé à la cartographie suivante :
Pour rappel pour ceux qui ne sont pas habitués de ce blog, je prends généralement une cartographie des conversations et la compare à la typologie des conversations :

Nous sommes dans une situation de Brand Cluster, à savoir des conversations que l’on observe pour les marques. En effet, aucune discussion n’étant engagée, des tweets arrivent seuls, prouvant que l’émetteur du message est presque certain que le récepteur sait de quoi l’on parle. Il devient aussi un sujet de prédilection où pour ne rien dire, on parle de clown.
https://twitter.com/awks_/status/528309345214562304
https://twitter.com/sunshniall_/status/528309497329360897
Comment le clown est devenu en quelques jours une véritable marque, et un sujet de discussion ? Analyse.
II. La théorie du paradoxe réactionnel
Revenons quelques années en arrière, lorsque le fait d’être connu était synonyme de réussite. Puis, ce schéma a été chamboulé. Le rapport de cause à effet a été inversé lorsque sont arrivés les premiers schémas de télé-réalité.
La télé produisait ainsi la célébrité qui légitimait l’apparition télévisuelle. Ainsi, Steeve Boulay a pu être un personnage uniquement grâce à sa légitimité née de la télé-réalité.
Le schéma a connu son premier dysfonctionnement avec l’arrivée de Mickael Vendetta, qui s’est proclamé lui-même une star.
Cette auto-proclamation a créé le bruit nécessaire autour de sa personne que pour être invité sur les plateaux télés. L’apparition sur les plateaux télé a légitimité son statut de star.
Le loop médiatique est apparu pour la première fois : la publicité créée par le média nourrissait sa réapparition dans le média.
Ce loop prend diverses formes sur les réseaux sociaux :
- L’effet Streisand : par le désir de censure sur quelque chose, je donne une publicité non voulue à l’objet que je désire censurer. On a donc une situation paradoxale de loop.
- Le loop médiatique : la visibilité médiatique que les médias créent, légitime le fait que les médias en parlent ( notre cas de Mickael Vendetta)
- Le faux bad buzz (ou l’artefact de communication) : le faux bad buzz utilise des ficelles assez incroyables. Je désire toucher une audience très spécifique. Je vais donc envoyer un petit message à peu de frais me servir du bruit créé par une certaine communauté pour toucher l’autre audience. ( J’avais déjà donné l’exemple de François Copé et du pain au chocolat.)

Tous ces cas fournissent un paradoxe : faut-il que la communauté visée réagisse au message ostensiblement mis comme un troll, ou se taise pour ne pas donner de la visibilité recherchée par l’organisation ?
- Lorsqu’ecovoiturage.fr fait des publicités sexistes pour qu’on parle d’elle, faut-il que les féministes réagissent ?
- Lorsqu’un contenu ne me plaît pas, faut-il le censurer sachant que sa censure va assurer la publicité de l’objet ?
- Lorsque je crée moi-même la visibilité qui légitime son apparition médiatique, est-ce qu’il est toujours légitime de voir ces personnes à la télévision ?
J’appelle cela la théorie du paradoxe réactionnel. Sachant que je sais que l’émetteur du message veut que je réagisse à quelque chose que je n’aime pas, faut-il que je fasse plaisir à celui qui me déplaît ? Dois-je jouer son rôle ?
Le cas de l’état islamique :
L’état islamique est un maître de cette théorie du paradoxe réactionnel, allant jusqu’à cumuler les différents loops. Lorsqu’ils montrent une vidéo d’un otage exécuté , les médias doivent traiter l’information mais ce faisant ils propagent la terreur voulue par l’état islamique. Les médias jouent ainsi le rôle de l’émetteur. ( l’état islamique)
Dès lors, faut-il diffuser l’information lorsqu’on sait qu’on nourrit ainsi tout un discours contre lequel il faut lutter ? Nous sommes là dans un mix entre faux bad buzz et loop médiatique. Le faux bad buzz est, lui, plus caractérisé puisqu’en même temps que le message de terreur qu’ils souhaitent envoyer aux occidentaux, ils se nourrissent également de leur indignation pour recruter de nouveaux combattants. La situation du schéma est ainsi la suivante :

Pour en revenir à notre cas des clowns, les médias sont également dans un paradoxe de loop médiatique :
En diffusant les informations, elle nourrit elle-même le phénomène de psychose. Si ces faits n’avaient aucun acteur déguisé en clown, ils ne feraient jamais l’objet d’un traitement médiatique. C’est le média qui crée lui-même son propre objet médiatique. Autrement dit, la publicité créée par les médias nourrit elle-même le phénomène des clowns puisque plus de gens ont l’idée saugrenue de se déguiser en clowns « pour le fun ».
On observe le même phénomène lors des bad buzz puisque la visibilité, somme toute éphémère, sur les réseaux sociaux n’est jamais autant nourrie que lorsqu’un article de presse cristallise la situation.
Les gens ont alors un objet matériel à se partager et de nouveaux acteurs sont au courant de la situation de par l’audience que la presse possède. Le fait qu’un média en parle le rend légitime comme information pour un autre média et c’est l’engrenage !
III. Le phénomène des masques
On observe également avec cette affaire des clown un phénomène de plus en plus habituel : le phénomène des masques.
Plutôt que d’offrir une identité définie et d’offrir un visage clair et net, on observe des organisations qui se définissent par des valeurs. Ce sont celles-ci qui définissent l’identité et les règles. Cette identité n’est pas incarnée par un quelconque chef ( Jules César, Angela Merkel, Steve Jobs)
N’importe qui peut être le masque et s’en revendiquer. 3 exemples récents nous illustrent cette tendance de fond :
1. Les Anonymous

Ce sont les premiers qui ont proposé un masque « Anonymous ». Au final, il s’agit d’un collectif fourre-tout qui se bat au nom de la liberté d’expression. Tout le monde peut se revendiquer d’Anonymous et partir lorsqu’il en a envie.
Il s’agit d’une « superconscience ».
Cela permet de développer une marque sans subir de critique particulière sur l’identité même du groupe.
Il permet également de créer une impression de chaos, une société secrète et nombreuse, impalpable et donc inatteignable, ce qui renforce l’idée d’impunité.
2. L’état Islamique
Présent sur plusieurs fronts, et sans véritable chef, on observe le même phénomène que l’on pouvait déjà observer avec Al Kaida. Chaque groupuscule terroriste dans chaque partie du monde musulman se réclame de l’état islamique car cela leur permet de paraître plus sérieux. Cela permet aussi d’assurer une propagande beaucoup plus productive et unifiée. Ici aussi, on observe le phénomène du masque qu’il suffit d’endosser même si l’on provient d’un pays occidentale. Le recrutement n’en est que plus facile.
3. Nos fameux clowns
Les clowns offrent la possibilité de se cacher derrière un déguisement afin de perpétrer des forfaits. On espère ainsi que son crime sera noyé dans la masse.
Cela renforce donc également le sentiment d’impunité.
D’autres ne font que ce qu’ils pensent être des « blagues » mais participent à l’image globale.
IV. Conclusions : ce que cela dit aux marques
Il est très important aux marques de comprendre ces deux phénomènes.
- La théorie du paradoxe réactionnel est déjà utilisée pour comprendre la production médiatique actuelle, l’effet Streisand, et la méthode pour faire des artefacts de communication/se servir des médias pour assurer sa promotion de façon non conventionnelle.
- Le phénomène des masques est, lui, bien plus important. Ce qu’il dit au marque ? Que le but n’est plus de développer son identité, de dire à tel point l’on est le meilleur et le plus fort.
Le but est de fournir à ses consommateurs un masque que celui-ci peut endosser. Comment faire ? Fonctionner en terme de valeur de marque que l’on retrouve à tous les étages de fonctionnement. Ceci fait, la marque devient plus que fonctionnelle : elle devient un marqueur d’identité qui produit des ambassadeurs qui défendront la marque et en assureront la promotion. Les meilleures marques sont celles qui arrivent à s’effacer pour laisser ses valeurs parler pour elles. Jusqu’à présent, Apple n’a jamais dû être présent sur les réseaux sociaux pour assurer son image et ses valeurs : ses fans le faisaient pour lui. Ils devaient juste fournir à ceux-ci du matériel pour que les médias et les gens le fassent pour eux. Les marques ont donc tout à gagner à devenir des masques.
Quant aux clowns, ils resteront comme tout phénomène sur les réseaux sociaux et comme toutes les rumeurs: ils disparaîtront aussi vite qu’ils sont apparus. Le phénomène est déjà en marche :

S’ils vont vous manquer, il ne vous restera plus qu’à dévorer « It » pour retrouver les clowns vengeurs, ou simplement attendre que la légende urbaine comme toutes celles de son espèce, ne réapparaisse sous une forme différente.