C’est le cauchemar absolu du communicant : la crise déclenchée par une ONG qui met tout son poids, sa légitimité et son réseau contre vous, en sonnant le clairon de la Cyberwar. C’est ce scénario qui est en train de se passer pour Lego à qui l’on reproche un partenariat avec Shell qui a pour but de mettre le Logo de Shell sur toutes les reproductions de garage de la marque. Ce partenariat est en cours depuis 1960 : Greenpeace se décide à attaquer maintenant. Autopsie d’un buzzflop.
I. Introduction
La guerre contre Shell se déroule depuis des mois. Souvenez-vous de ce troll lolesque lancé durant le grand prix de Spa :
À l’image, de cette vidéo, les attaques de Greenpeace sont pour l’instant un coup d’épée dans l’eau. Il a donc fallu revoir sa stratégie : si l’on ne peut pas avoir la cible principale, il faut la toucher sur des cibles plus accessibles.
Lego a dès lors semblé une cible pour l’ONG qui lui reproche son partenariat avec le pétrolier, ce qui lui procurerait des millions en publicité. (16 M de pièce ayant déjà été écoulée selon Greenpeace)
Pour mener à bien cette cyberwar, les dispositifs de communication restent les mêmes : la parodie. Si j’ai déjà expliqué auparavant pourquoi l’humour n’est en rien une bonne idée pour susciter l’indignation, Greenpeace s’entête à utiliser des effets de condensation sémiologique pour faire passer son message. Ainsi, on a plus envie de rire à la vue des visuels, que de prendre son clavier transformé en arme de combat 2.0 à l’encontre de Lego :



Qui sont réellement les gens qui protestent contre Lego ? Que disent-ils ? Enquête au-delà du bruit.
II. Analyse
Pour ce faire, j’ai analysé 3330 tweets qui mentionnent le #blockshell. (Corpus recueilli il y a 3 jours)
1. Typologie des conversations
La première chose à faire : classer la conversation selon la typologie des conversations. Pour celle-ci, je vous ai laissé non seulement les forces en présence, mais également le rapport à Greenpeace International :

Sans surprise, il s’agit d’une foule étroite.

On est donc loin d’une foule massive qui se porterait à l’assaut de Lego
2. Acteurs en place
Et pour cause, les différentes communautés que vous voyez ne sont qu’une segmentation géographique, à savoir :
- greenpeace
- savethearctic
- greenpeaceuk
- greenpeacesuomi
- greenpeaceaustp
- greenpeace_ita
- gp_sunrise
- greenpeaceusa
- greenpeace_esp
- greenpeacenz
- greenpeace_med
- greenpeaceca
- greenpeacearg
- greenpeacefr
Qui figure dans les 20 comptes les plus connectés du réseau. L’ONG a également pu compter sur ses ambassadeurs, employés et partenaires pour porter la voix (reste du top 20)




Les deux comptes restants étant Lego et Shell qui sont nommés et pointés du doigt.
Ce sont donc tous des activistes. Leur puissance dans le réseau prouve que l’on est loin d’une contamination à un public non activiste.
D’ailleurs, sur les 3330 tweets rapportés, il n’y a que 1477 acteurs, ce qui prouve que l’on a affaire à du spam sur le même sujet dans le but de gonfler les statistiques. Autre statistique qui vient prouver que l’on n’a pas affaire à des gens désintéressés, ils sont 1296 personnes à mentionner @Lego_group (en grande partie à cause du simple retweet de Greeenpeace)
Cela est confirmé par le graphe des relations :

Ce graphique en forme de spirale n’est pas sans rappeler le cas AlKanz/Barakacity vs M6
3. Analyse de contenu
a) Analyse des liens :
Les liens les plus partagés mènent tous sans surprise à Greenpeace :
http://www.legoblockshell.org
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246 |
http://grnpc.org/Ig0rO
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203 |
http://grnpc.org/Ig0D7
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147 |
http://grnpc.org/Ig0qc
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120 |
http://grnpc.org/Ig0qK
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115 |
http://med.greenpeace.org/lego/?tweet
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107 |
http://bit.ly/1oi6YvY
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62 |
http://legoblockshell.org
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62 |
http://grnpc.org/Ig0D6
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38 |
http://grnpc.org/Ig0qS
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35 |
b) Analyse des hashtags :

Il est intéressant de constater que le hashtag choisi est #BlockShell et non pas #StopLego ou autre. D’ailleurs, le hashtag #Lego est sous-exploité alors qu’il est justement un hashtag de contamination pour les personnes en dehors de Greenpeace, mais qui suivent Lego. Ce choix de hashtag est calqué sur les stratégies de marque qui se choisissent un hashtag exclusif à leur campagne. Si cela est pratique pour montrer la force du mouvement, ce qui était sans doute le but à l’aune de la pratique de spam constatée, l’objectif d’une ONG est également la contamination. Il faut donc contaminer un hashtag déjà utilisé. Il aurait donc fallu mettre #lego également.
c) Analyse des mots utilisés :

Là encore, l’adhésion aux mêmes mots est massive. Et pour cause, il s’agit pour la plupart de RT. (1216 retweets)
Or, pour avoir un effet de masse et un effet impactant, il faut des mots forts, différenciant et propre à chacun dans le but de susciter l’adhésion. Ici on se retrouve dans une situation non émotionnelle où l’on fait un choix rationnel : est-ce que je rejoins le mouvement ou pas ? La plupart du temps, une personne non sensibilisée répondra à la négative à cette question.
d) Compte les plus mentionnés :

À nouveau, la non-contamination au grand public est évidente. L’ONG ne crée pas de conversation entre les gens, elle impose son message massivement.
Conclusions
Greenpeace aurait dû faire le chemin inverse de mes 5 sens des crises 2.0, à savoir :
L’importance d’identifier les vrais actifs en jeux
Greenpeace ne réussissant pas à faire plier Shell, elle décide de se tourner vers un autre acteur partenaire. Cependant, ce choix est catastrophique. Lego est une marque émotionnelle qui dispose de véritables fans. Le lien entre Lego et l’arctique est plus que bancal. Le partenariat de Lego avec Shell est vieux de plus de 40 ans.
Finalement, tout est résumé par un commentaire sur le communiqué de presse :

Ce fan de Lego rappelle qu’ils n’ont plus rien fait depuis 2012. Le fait d’attaquer la marque ne repose donc sur aucun argument. Pour le PDG de Lego, il a suffi de botter en touche en rappelant « les contrats de copromotion, à l’instar de celui passé avec Shell, constituent l’un des nombreux moyens de rendre les briques accessibles à davantage d’enfants ». Tout est dit. Greenpeace n’a pas réussi à attaquer un actif faible de Shell. Retour à la case départ.
L’importance d’aller au-delà du bruit
Derrière le bruit provoqué par Greenpeace, il faut remettre les choses dans son contexte. Si l’on résume la situation à une situation marketing, l’action de Greenpeace a fait du bruit. Mais ce bruit n’est rien comparé au share of voice que développe la marque Lego chaque jour sur Twitter. Ce graphique parlera pour lui-même :

Non seulement en terme de share of voice, Greenpeace est perdante, mais les gens qui ont parlé en mal de Lego sont tous reliés entre eux. La situation n’a vécu aucune contamination. Tout au plus, quelques communicants ont entendu parler de l’affaire, mais la campagne de Greenpeace n’a eu aucune couverture média sur la scène médiatique francophone où ce sont d’ailleurs uniquement des sites d’information marketing qui en parlent. Le culture du spam et du bruit vie ses dernières heures. Il ne s’agira plus uniquement de produire du bruit, il faudra que ce bruit provienne de différentes communautés et qu’il soit différenciant.
L’importance du détail
Là où Greenpeace est le plus perdante, c’est dans son incapacité à produire le détail qui fera la différence, le message qui allumera la mèche. Le bruit et la campagne est travaillée, les différents matériels de communications le sont aussi, mais ce qui pêche, c’est le message. Indigner les gens ne marche pas avec une simple parodie et deux effets de contamination qui mettront l’Arctique et Lego ensemble dans un même visuel. Il faut développer son message. Pour ce faire, il aurait fallu développer un message qui indigne plutôt qu’un message cocasse qui fait pschit.
L’importance pour une organisation d’être ouverte sur le monde qui l’entoure et de tirer les vrais enseignements
Greenpeace montre donc qu’elle n’a pas su évoluer durant 5 ans, car elle n’a toujours pas compris son flop par rapport à Mattel, où personne n’a compris pourquoi cette marque-là et pas une autre. Elle n’a pas compris que ses parodies faisaient peut-être rire, mais qu’elles n’indignaient pas. Elle n’a pas compris les mécanismes qui ont fonctionné pour d’autres ONG.
On se demande d’ailleurs si elle fait encore preuve de l’empathie nécessaire pour se mettre à la place du récepteur, pour comprendre ce qui pourrait l’indigner, pour assurer l’indignation de celui-ci.
On se demande même si l’ONG sait encore dans quel monde elle vit, un monde où l’indignation et la critique sont partout, mais où chacun voit midi à sa porte sur l’endroit vers laquelle il faudrait la pointer :

Au final, Greenpeace donne l’impression de dériver autant que la banquise qu’elle cherche à protéger.
Update: avec un article sur MyCM