Cela fait des années que la propagation des mouvements de foule à travers les espaces numériques me passionne. En effet, dans la catégorie des messages provenant des médias sociaux en situation d’urgence, ils sont une problématique importante dans la formation du personnel gérant l’urgence dans la mesure où il s’agit de situations où le chargé de situation d’urgence ne dispose que de peu d’informations, et où il va donc prêter une oreille plus qu’attentive aux signaux disponibles ce qui pourrait affecter sa clé de lecture.
Hier soir, alors que les premiers éléments circulaient, je me fendais d’un tweet, non pas pour dire de ne pas partager de rumeurs, mais pour dire que tous les signaux me disaient que nous avions affaire à une fausse alerte après avoir lu les différents tweets durant 2 minutes.
Les informations suivantes sont venues me donner raison, et prouvent que la jurisprudence en la matière est importante à partager. Je ne pouvais donc ne pas faire autre chose qu’un article d’analyse.
Pour celui-ci, je me suis aidé de Visibrain.
Les enseignements
La confirmation d’un modèle qui se reproduit
Il y a réellement confirmation de pas mal d’enseignements déjà observés auparavant :
Sur Twitter, il y a toujours un fond de vérité au départ de la rumeur. Un pétard, un mouvement de foule, un attroupement de policiers, etc. Ce fond de vérité va permettre de confirmer la rumeur grâce à des acteurs sur place qui diront aux gens non présents sur les lieux qu’il se passe effectivement quelque chose. Dans ce cas, ce fut le cas puisqu’il y a vraiment eu de nombreux témoignages et qu’il se passait effectivement quelque chose.
La rumeur est ensuite propagée par des acteurs qui ne sont pas sur place. Des questionnements de gens absents se demandant ce qui se passe, des «journalistes-Twitter». Les journalistes Twitter sont les principaux canaux d’audience de la désinformation à propos des faits. Ils glanent rapidement une vidéo, ne sont ni français ni sur place, et ne répercutent aucune information si ce n’est celle «qu’il se passe quelque chose». Ces comptes sont principalement retweetés par des gens proches de l’ED et des supporters de Trump.
La rumeur aura alors toujours une modification, un détournement. Un pétard devient une explosion, puis une fusillade. Un attroupement de CRS devient une prise d’otage, etc. De même, on a entendu des fusillades, une bombe, un tueur fou, etc.
La rumeur est confirmée par des éléments extérieurs (police sur place, hélicoptère dans le ciel, fermeture de magasin, etc.)
Une fois que l’infirmation de la rumeur est confirmée, cette dernière s’éteint rapidement. De fait, elle s’éteint. Mais 1h45 après si l’on prend en compte les retweets et seulement 30 minutes pour les tweets normaux. Cela montre la logique de timeline et de communautarisation de l’information. Se dire que l’on est un média ou une autorité n’est pas suffisant pour couper court à la rumeur.
Le pic est observé à 22h17, soit quelques minutes après l’infirmation de la rumeur. Cela permet d’obtenir le pic global et puis de redescendre clairement dans les volumes.
Je pense que nous pouvons dégager aussi un enseignement redondant.
Pour qu’il y ait une vraie crise, il faut qu’il y ait une évolution dans le scénario principal, c’est-à-dire la qualification de l’explosion. Dans le cas présent, personne ne parle plus de l’explosion. On parle d’un homme avec un fusil, mais pas de coups de feu. On parle de mouvement de foule, de RAID présent, de personnes confinées, mais les lieux mêmes de la crise ne sont pas décrits et n’évoluent pas.
Le bilan
253 articles si l’on en croit Twitter, 95 via Facebook. On a donc un écosystème médiatique largement couvert avec des chaines d’info en continu (BFM, LCI), mais aussi des quotidiens importants (Le Monde) sans oublier une couverture nationale (Belgique, Pays-Bas, USA, UK, etc.)
Disneyland Paris : des procédures MSGU (Medias Sociaux en Gestion d’Urgence) à revoir
Je vous le confie : je suis très étonné de la communication de Disneyland. Je ne me risquerai pas à être incendiaire dans la mesure où je ne connais pas les problématiques internes ou les discussions qui ont jalonné leurs prises de décision, tout comme je prends presque toujours le parti pris de ne pas critiquer les communications des organisations. Mais je dois quand même partager mon étonnement face au fait qu’une organisation qui trouve toute son exploitation paralysée, qui a tous ses clients dans des situations de confinement, où des rumeurs sont partout, ne prenne pas ses responsabilités, n’assure pas le niveau de leadership qui doit être le sien, laisse ses employés être les seuls ambassadeurs balbutiants, ceux-ci lâchant même le nom de leur opération “plan Omega” sans fonds d’explication.
La seule communication sur Twitter fut celle-ci : une promotion, avec un feu d’artifice dans les emojis; rien sur le compte PR; tout au plus un retweet tardif du tweet de la prefecture. Je ne peux que partager mon incrédulité.
Et en tout cas, dans le monde du risque dans lequel nous vivons, avec un climat d’attentat assez fort, je ne peux que dire qu’il faudrait revoir chez Disney les procédures MSGU pour prendre la main des débats quand il se passe quelque chose, pour ne pas laisser la presse écrire des papiers de doute sans citation, et pour ne pas laisser ses employés très nombreux s’exprimer sur des groupes privés en termes complotistes comme j’ai pu le constater (“Nous sommes formés aux plans anti-terroristes, et le plan Omega n’est pas déclenché pour un simple escalator” pouvait-on lire ça et là).
Le fil du récit
Le premier tweet survient de la part de ProjetDLP se demandant ce qu’il se passe à Disneyland Paris.
Déjà signe d’un manque d’information, des proches viennent entamer une conversation et celui qui se posait des questions ne peut que relayer des prises de parole physiques.
Seulement des cas de reporting surgissent.
Viens la première interprétation du bruit comme étant un une fusillade.
De quelqu’un qui dira “Je répète juste ce qu’on me dit wesh”.
A ce moment-là, le mouvement de foule commence à toucher de larges superficies à l’intérieur du village de Disney.
Le premier mot “attentat” surgit.
Une première image du confinement commence à surgir : cela agit comme une confirmation des événements pour Twitter qui va s’accélérer par la suite.
Pourtant, cela fait maintenant plus de 10 minutes que les signaux ont été lancés, signe qu’il n’y a que peu d’évolution de la narration primaire à l’exception d’un tweet, aujourd’hui supprimé.
Ces affirmations amènent évidemment son lot de questionnement.
21h31 | Les premiers contre-signaux sont disponibles.
Survient alors le premier article de presse provenant de la DH.Be, un quotidien belge.
Evidemment, compte-tenu de l’aspect international du parc d’attractions, il y a également des déclinaisons internationales.
Surviennent alors la première vidéo et le fait que La Libre Belgique parle d’une fausse alerte. Cette vidéo sera vue 385 000 fois.
D’autres témoignages remontent encore.
Les comptes “journalistes Twitter” en font l’écho :
https://twitter.com/BreakingNLive/status/1109557326887952386
Des premières explications commencent à survenir, mais qui ne sont que des hypothèses :
https://twitter.com/kadi53521481/status/1109557095693721600
Tandis qu’en néerlandais, il y a encore des commentaires montrant des évacuations :
https://twitter.com/teamlooopings/status/1109556728146944000
22h07 | La première confirmation avec tous les éléments.
Suivi des chaines d’information en ligne.
Et enfin la préfecture qui finit les discussions et retweeté par Disney.
La propagation complète
Quelques datas
Les pics de mentions sur Facebook et Twitter coincident ce qui tend à prouver que nous sommes face à un écosystème essentiellement médiatique.
La crise a été propagée à travers le monde entier.
Crédit photo : Unsplash