Loin de moi l’idée de vous refaire un énième article retraçant l’histoire, somme toute banale, qui est arrivée au Parisien.
D’autres l’ont fait bien avant moi et ont développé les analyses basiques, mais importantes à rappeler en allant de l’effet Streisand à la justice du Web en passant par les moyens de rebondir dessus.
Ce qui m’intéresse, c’est la propagation du bad buzz et la théorie que l’on peut déployer autour. Ce cas offre une excellente possibilité, car :
- Il s’agit d’un cas qui est passé des 2000 tweets habituels à plus de 10 000. La propagation était donc suffisamment lente que pour l’analyser.
- Il s’agit d’un cas où tout bruit est éliminé. En effet, sa propagation est accompagnée pour la majorité des tweets par un hashtag très spécifique ( #jesuisparisienne)
L’ensemble de ses raisons en fait le cas parfait. Décryptage !
Introduction
Si vous étiez totalement absent de Twitter ou des médias en ligne pendant une semaine, le cas The Parisienne contre Le Parisien est l’histoire d’un média surnommé Goliath qui attaque une blogueuse surnommée David parce que celui-ci voit d’un mauvais œil l’utilisation de “The Parisienne”, trop proche selon lui, de “La Parisienne” , nom d’une marque qui lui appartient.
Cela rappelle de nombreux cas juridiques sur Twitter comme Élisa Tovati contre la SNCF, Kwak, Oasis, etc. Le cas le plus proche étant celui d Figaro en mai 2012.
À l’époque, Le Figaro attaque en justice un blog qui porte le nom de madame de Figaro alors qu’il s’agit du nom de l’enseignante qui tient le blog. Très vite, la justice du Web avait pris le relais.
Ce cas est très bien analysé et traité par Digimind.
II. Analyse
1. Analyse des conversations
Contrairement aux cartographies que je fais d’habitude qui sont des cartographies qui schématisent non seulement les conversations, mais aussi les relations entre les différents acteurs, les différentes cartographies que je vous propose représente uniquement les conversations entre les gens. Concrètement, cela veut dire que l’on schématise toute mention d’un acteur à un autre.
PS: pour ceux qui débarquent, la majorité de la théorie utilisée est décrite ici
a) 15 h 40
Nous sommes vers 14 h quand les premiers tweets sortent à propos de l’affaire. Ce graphique représente la situation à 15 h 40 où nous décelons une très belle spirale :
Nous sommes à ce moment dans une situation de broadcast network (réseau de diffusion) :
Il s’agit en effet d’un réseau de diffusion autour de The Parisienne qui mobilise au début (500 premiers tweets) pleinement son réseau.
b) 16 h 06
Il est maintenant 16 h 06 et la situation évolue considérablement. D’un réseau de diffusion, on assiste à une situation de chaos total. Nous avons désormais 1000 tweets.
On évolue à ce moment vers un community cluster :
L’influence de The Parisienne est toujours importante vu que la majorité des gens la mentionne :
c) 17 h 12
Nous en sommes maintenant à 2000 tweets. La plupart des communautés prennent du poids et de l’envergure. Le message se propage donc au sein des différentes communautés :
On remarque que de plus en plus d’isolés commencent à être touchés. Nous sommes donc toujours dans un community cluster :
Où la présence de The Parisienne est toujours aussi importante.
Qu’est-ce que cela nous indique comme décryptage ? Que le Parisien, complètement absent, laisse la seule version de The Parisienne se propager et ne prend pas le dessus médiatique.
d) 18 h 21
Le pic des 3000 tweets est atteint. Le développement des communautés continue :
La Parisienne agit de nouveau sur le message :
e) 19 h 21
Plus de 4 heures après, il y a plus de 4000 tweets qui ont été postés. Le graphique de conversation atteint sa forme finale :
Que l’on peut qualifier de support network :
À savoir des réseaux de soutien où chaque communauté se forme autour d’une personnalité importante sur les réseaux sociaux comme Maître Eolas :
Si l’on met le graphique des conversations couplées avec les relations entre les différents acteurs (la cartographie habituelle), on obtient ceci :
Qui dans l’ensemble est un broadcast network propagé à des isolés. La répartition des communautés est :
- Bleu clair : la communauté de The Parisienne
- Bleu foncé : tous les influenceurs qui ont commenté l’affaire : Maître Eolas, Korben, Olivier Cimélière, Presse Citron, etc.
- Toutes les communautés à droite : le grand public.
2. Analyse des protagonistes
La cartographie des intervenants (ceux qui sont mentionnés et ceux qui tweetent) montre un certain nombre de communautés :
Attention quand même à prendre en compte le fait que cela ne contient que les 4000 premiers tweets sur un total de plus de 10 000. Les communautés ont donc dû migrer vers du plus grand public.
Par contre, c’est intéressant de voir ceux qui ont fait la crise à son départ. Les différentes communautés sont :
Communautés parisiennes (Paris Zig Zag, Deedeeparis, etc.)
Social media (Olivier Cimelière, Patrice Hillaire.etc)
Les poids lourds (Korben, Maître Eolas, Presse Citron, Le Monde)
Blogueuse maman/féminin (mon blog de maman, madameparle, etc.)
Blogueuse Mode (sogirlyblog, etc.)
Il était donc presque annoncé au vu des influents de départ que la mayonnaise allait prendre, car on regroupe presque le tout Twitter dès le début.
À noter que les 20 plus influents (plus mentionnés ou plus suivis) dans cette crise 2.0 furent :
- zeparisienne
- le_parisien
- maitre_eolas
- lemondefr
- korben
- pressecitron
- paris
- manhack
- anne_hidalgo
- deedeeparis
- pariszigzag
- leparisien_75
- paingout
- monblogdemaman
- papilles
- griottes_blog
- lafilledelacom
- sogirlyblog
- e_zabel
- vivilachipie
Voici par exemple la place occupée par Korben :
Et ici la place occupée par Maître Eolas :
III. Conclusions
1. Un effet Streisand ?
On peut se demander si dans ce cas-ci, il s’agit d’effet Streisand, c’est-a-dire l’augmentation de visibilité d’une chose que l’on voulait cacher. Si d’abord, j’avais émis l’analyse qu’il ne s’agissait pas vraiment d’un effet Streisand, mais plutôt d’un cas de justice du Web, l’avis de Fadhila BRAHIMI a changé ma vision puisque comme elle l’indique, il y a bien un désir de briser la visibilité de The Parisienne.
2. Un scepticisme : de la nécessité d’être user-centric.
Certains acteurs sur Twitter se montrent sceptiques par rapport à la communication de The Parisienne :
Ils reprochent le fait :
- D’avoir attendu trop longtemps avant de répondre à une convocation.
- D’avoir préparé son timing telle une communicante qu’elle est.
- De ne pas être si miséreuse que cela par rapport à sa situation financière afin de payer un avocat.
Seulement, tous ces arguments ne viennent pas contredire la principale idée que les gens ont :
- Le Parisien est un sniper juridique qui préfère la solution judiciaire au dialogue.
- Le Parisien n’a rien compris au Web. Force est de constater que toute la gestion de crise est tellement catastrophique qu’on ne peut avoir aucun doute sur l’amateurisme à l’œuvre.
- Le Parisien s’accorde le droit à certains mots comme The Parisien, The Parisian, La Parisienne, Les Parisiens. La Parisienne a été utilisée par de nombreuses marques et on comprend mal le droit juridique que le média dispose. Il y a donc une différence entre le légal et le vraisemblable.
Le Parisien s’est concentré sur des reproches qui sont à 100 000 lieux de la raison pour laquelle ils sont victimes d’un bad buzz.
Le journal n’a pas fait preuve d’empathie, il a analysé tout comme ses défenseurs, la situation selon son propre prisme.
- Oui, la méchante blogueuse se fait un peu de fric avec son blog comme la grande majorité des blogs. (Je devrais d’ailleurs y penser..)
- Oui, elle est communicante et sait gérer son timing.
- Oui, juridiquement, elle aurait dû répondre plus tôt.
Par contre, la majorité des gens s’en foutent royalement de tous ces arguments. Ce cas constitue un énième exemple de la nécessité pour les entreprises d’être user-centric et non corporate-centric dans leurs défenses de crises. Les crises ne se jouent pas sur la vérité (les faits), ils ne se jouent pas sur le droit (la légalité), mais sur le framing de la population (le fait d’être vraisemblable) !
3. Une communication de crise de bas étage : mainstream sur les réseaux sociaux ne veut pas dire mainstream dans la population
Le Parisien, qui se dit le média du peuple met très longtemps à réagir. Sa part de voix et sa version de l’histoire sont totalement absentes durant l’ensemble du processus. Si vous voulez être une marque qui réagit en temps de crise, vous devez être présent à cette étape :
Non content de répondre bien tardivement, Le Parisien réserve sa réaction à un autre confrère : Le Monde. Pour un média qui se dit proche du peuple, l’image que cela renvoie est catastrophique. Le quotidien n’est pas en ligne avec ses valeurs de marque, ne répond pas où la crise se crée, et offre une visibilité supplémentaire à un bad buzz. (on voit clairement la place que prend Le Monde dans la cartographie des relations)
L’erreur est typique : “puisque cela fait du bruit sur Twitter et Facebook, cela doit être mainstream pour tout le monde. “
Ce piège né d’un biais de représentabilité est extrêmement grave. En effet, si le communicant se dit que le fait d’être trending topic #1 sur Twitter rend l’information “mainstream”, il ne faut pas perdre de vue que cela ne représente presque rien à l’échelle de la population.
De ce fait, le communicant ne se rend pas compte de l’échelle en terme d’impressions entre un “bruit” sur Twitter et un article de presse sur Le Monde.
On ne se rend également pas compte qu’en ayant une mention presse dans un média de référence, on offre de fait la possibilité de citation de l’affaire à tous les autres médias puisque l’on peut citer celui-ci comme source.
Pire, si un média se demandait encore si l’actualité était pertinente, le fait qu’un quotidien de référence en parle élimine toutes ses préoccupations en un clin d’œil. (“Au pire, on le mettra dans la catégorie buzz/Web”)
Or, là où le bruit peut être cartographié, et où la crise peut être contenue, à la minute même où l’on passe dans la presse généraliste, on ouvre une boîte de Pandore où la portée de la crise est maintenant indéterminée.
On passe d’un maximum de 30 000 impressions au triple, voire au quadruple sans que l’on puisse qualifier de façon quantitative ou sociodémographique la cible.
Là où la sortie de crise et la cristallisation peuvent se faire de manière adéquate par des actions microciblées, on passe à l’incertitude totale. Qui a eu conscience du message ? Auprès de qui la crise a eu un écho ? Impossible de le savoir à partir du moment où l’on ne peut plus mesurer les traces numériques.
4. Ce que cela nous dit sur la propagation du bad buzz.
En fait, ce cas ne fait que confirmer scientifiquement ce que beaucoup disaient sans preuve :
- L’importance de son propre réseau
- L’importance d’un message qui soit autoporteur.
- L’importance des relais d’opinions et des “influenceurs”.
Pour les fans de GIF, voici les différentes étapes de la propagation du bad buzz :
En gros :
a) Le broacast network
La première étape de la personne est la diffusion de son message. Il s’agit de l’événement de départ, celui qui va introduire un message auprès des gens. Dans cette étape, la personne qui se plaint va tenter de faire activer son réseau pour toucher d’autres réseaux :
B) Le community cluster
Signe que le message est autoporteur et qu’il a une capacité virale, de petites communautés vont naître autour de nouvelles personnes :
Avec de la chance, ses communautés se développeront par l’influence d'”influenceurs” comme Korben ou Maître Eolas. Le message sera cependant analysé par chacune des communautés pour voir la pertinence de celui-ci, si celui-ci est juste et si l’on participe au mouvement.
C) La finalité du plaignant : le support network
Les communautés vont se centrer autour du plaignant. Ils vont désormais supporter la personne jusqu’à la fin. Chaque communauté va grandir pour former de plus grandes. Des personnes isolées seront observables qui montreront que la crise est désormais devenue mainstream sur Twitter
L’ensemble peut être schématisé de cette manière :
D) La finalité des gens : le broadcast network
Si aux conversations, nous ajoutons les relations entre les gens, nous obtenons un broadcast network :
Signe qu’à l’échelle de Twitter, chaque bad buzz n’est au final qu’une histoire, une breaking news qui se passe à un instant X et qui se volatilisera la semaine prochaine au profit d’une autre.
Les histoires se succédant tour après tour, au rythme de 2 par semaines alors que les gens voguent d’émotion en émotion, d’indignation en indignation, d’un combat à un autre.